MCO des missiles : les questions à se poser
Véritables avions miniatures équipés de charges militaires, les missiles sont soumis à des environnements aussi variables que tourmentés. Dans des conditions changeantes et soumises à de fortes restrictions de sécurité, le MCO des missiles nécessite inventivité et rigueur.
Pour bien comprendre le MCO appliqué au secteur missilier, il est avant tout nécessaire de garder à l’esprit la nature même de l’objet concerné. Les missiles sont des munitions au caractère vital et, à ce titre, il est impératif que leur emploi soit sûr et leur fonctionnement fiable même après de longues périodes de stockage. Objets à très forte densité technologique, les missiles partagent de nombreuses spécificités avec les avions et ce, tout en incluant des technologies qui leurs sont propres. Dans un souci de maximiser la compacité des missiles, les redondances internes sont réduites aux fonctions de sécurité les plus essentielles.
Le missile Meteor présenté ici sous Rafale. Ce programme mené en coopération à 6 nations européennes génère un parc massif qui crée des opportunités de réduction des coûts de MCO.
Les missiles s’usent même si l’on ne s’en sert pas
Les équipements de missiles subissent un vieillissement différencié selon leurs technologies (pyrotechnie, joints d’étanchéité, composants électroniques de plus en plus empruntés au civil et souvent utilisés aux limites de leurs plages de fonctionnement, etc. Et dans ces conditions, la première mission du MCO a consisté historiquement à explorer le vieillissement de ces équipements pour corriger les faits techniques pouvant affecter la performance et/ou la sécurité et tenter de prolonger les produits au-delà de leur durée de vie spécifiée.
Les rendez-vous techniques que sont les opérations de maintenance à mi-vie doivent être mises à profit pour arbitrer entre :
- Rénovation à iso performances ;
- Insertion de nouvelles technologies/fonctionnalités quand il y a besoin d’accroître les performances opérationnelles ;
- Traitement des obsolescences électroniques quand on doit maintenir les niveaux de stock ;
- Ajustement du stock à rénover nécessaire pour couvrir les années restantes en cannibalisant les munitions qui ne seront pas conservées.
Ces divers arbitrages, qui visent in fine à maintenir la capacité opérationnelle au niveau souhaité par l’utilisateur, ne peuvent être faits sans la participation de la DGA et de l’industriel qui est l’autorité de conception.
Test au banc d’un missile Exocet : une opération fortement recommandée avant tout embarquement.
Intégrés directement dans les missiles, systèmes de missiles ou simulateurs, les data loggers permettent de recueillir un large spectre de données visant à affiner le diagnostic de l’état général du système. En se basant sur des informations telles que la température, l’hygrométrie ou la pression, les ingénieurs peuvent alors recouper les données entre elles afin de garantir la fiabilité des informations recueillies sur l’ensemble du parc ou de mieux comprendre l’articulation entre les informations issues d’un même missile. En traçant avec précision les conditions réelles de stockage et d’utilisation, le MCO peut donc être adapté aux besoins du client afin de lui garantir un planning d’entretien personnalisé et optimisé. |
Action de maintenance préventive sur un missile EXOCET (C) MBDA Adrien Daste 2016 |
Le MCO Aster est contractualisé par l’OCCAR au profit de l’armée de l’Air et de la Marine françaises, de l’armée de Terre et de la Marine italiennes ainsi que de la Marine britannique, ce qui permet de partager les coûts non récurrents de remise à hauteur des munitions et de leurs composants. On peut imaginer dans un futur proche que ces cinq forces armées mettent en commun les données de profil de vie de leurs munitions Aster, ce qui permettra un suivi d’autant plus précis de l’état de leurs stocks et de la planification des interventions à effectuer. |
Comme la plupart des missiles MBDA, les Aster sont livrés dans des conteneurs équipés de data loggers permettant de tracer leur profil de stockage et d’en déduire leur état de vieillissement. |
Les parcs subissent des vieillissements différenciés
Les missiles sont aujourd’hui fortement sollicités par les opérations extérieures où ils endurent des conditions de stockage qui ne sont pas toujours celles pour lesquelles ils ont été spécifiés. Leur vieillissement individuel est donc devenu beaucoup plus difficile à prédire. En plus de recaler les modèles de vieillissement des missiles en fonction de leurs conditions réelles d’emploi au cours de leur vie opérationnelle, il devient donc pertinent d’effectuer un suivi individualisé des munitions et de leur profil de vie. Cette approche, que les Britanniques appellent le Stockpile Management, est rendue possible grâce à l’émergence de nouvelles technologies. Ainsi, les munitions en conteneurs (de stockage ou de tir) peuvent d’ores et déjà être équipées de data loggers (« enregistreur de données » en français) qui enregistrent les paramètres liés aux environnements auxquels chaque missile a réellement été exposé durant son cycle de vie (conditions de stockage et déploiements opérationnels) afin de tracer l’état de vieillissement précis de chaque missile.
Dans ce concept de Stockpile Management, la connaissance des paramètres de chaque munition peut être exploitée à plusieurs niveaux pour en tirer le maximum de bénéfices :
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au niveau local, pour décider d’employer tel ou tel missile de préférence et renvoyer les missiles plus « tangents » vers la maintenance ;
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au niveau d’un état-major, pour lancer des réapprovisionnements et ajuster les planifications budgétaires ;
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au niveau de l’industriel pour modéliser le vieillissement des missiles afin d’optimiser les interventions techniques (tests périodiques, rénovation mi-vie, etc.).
Avec la démocratisation des algorithmes d’intelligence artificielle capables de traiter des quantités massives de données (deep learning), il devient pertinent pour les clients de mettre en commun les données relevées par leurs data loggers afin de tracer une photo d’ensemble plus précise dont les acteurs peuvent bénéficier mutuellement. Les clients restant propriétaires de leurs données, ils déterminent quels éléments peuvent ou non être partagés avec leurs homologues. Une fois l’accord obtenu, MBDA garantit l’anonymisation des informations avant de les compiler entre elles, afin de garantir à chaque client la protection optimale de ses intérêts.
Les tests restent nécessaires
Le concept de Stockpile Management représente une véritable voie d’avenir pour le MCO des missiles car il permet de sécuriser au mieux l’emploi des munitions et de planifier au plus près les interventions techniques (révisions, remplacements, rénovations) en fonction de l’état réel du stock. Il implique cependant une gouvernance stricte, tant du côté de l’industriel qui détient l’autorité de conception et peut s’engager sur des aspects de disponibilité opérationnelle, que du côté du client qui doit exprimer sa stratégie de gestion des munitions et la mettre en place. Cette stratégie de gestion devra prendre en compte les technologies disponibles pour gérer le Stockpile Management et leur validation vis-à-vis des règlements.
Si le Stockpile Management induit une révolution pour le MCO, il ne peut répondre à toutes les problématiques liées aux profils de vie quelquefois tourmentés des missiles qui rendent la seule maintenance préventive insuffisante pour assurer une totale fiabilité lors du tir. Rien ne remplace pour cela les campagnes de test au banc permettant de trier les missiles avant de les expédier sur des théâtres extérieurs.
Olivier Martin, IGA
Olivier Martin, X77 - ENSTA, débute sa carrière à la DGA comme Directeur du programme Mesures du BEM Monge. En 1991, il rejoint Matra Défense comme Directeur des Opérations Internationales, en charg e des compensations et offsets. En 2003, il rejoint le groupe EADS où il dirige l’entité Defence Electronics France. Depuis fin 2007, il est le Secrétaire Général du groupe MBDA. Il est chevalier de la Légion d’Honneur et dans l’Ordre National du Mérite.
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Auteur
En 1991, il rejoint Matra Défense comme Directeur des Opérations Internationales, puis responsable Business Development du secteur anti-surface, puis directeur des programmes anti-surface.
En 2003, il dirige l’entité Defence Electronics France d’EADS, puis la stratégie de l’entité DS SAS d’EADS.
En 2007, il rejoint MBDA en tant que Secrétaire Général du groupe.
En 2021, il crée la société de conseil ICARION Consulting dont il est le Président.
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