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11 mars 2024

MAN MACHINE TEAMING
INITIATIVE POUR L’AVIATION DE COMBAT

Un avion de combat n’emporte qu’un ou deux membres d’équipage, avec ses capacités cognitives qui ne devraient pas changer dans le futur. Les facteurs humains restent la plus grande source d’accident en aéronautique. Face à l’augmentation des informations à assimiler par l’équipage en cours de mission, et en dépit de l’aide apportée par intelligence artificielle, des évolutions du cockpit sont indispensables. Retour sur l’initiative Man Machine Teaming lancée par la DGA en 2018.


Petite histoire du cockpit des avions de combat

Les tous premiers avions n’avaient pas de cockpit. Tout se faisait en regardant dehors, et ce fut encore la priorité lorsque les premiers instruments de mesure sont arrivés pour afficher des informations liées à la conduite de la machine : vitesse par rapport à l’air, état du moteur... Puis sont arrivés les premiers instruments pour naviguer et s’orienter, y compris par mauvaises conditions météorologiques (compas, conservateur de cap, horizon artificiel...) et les radios pour communiquer. Ensuite la tendance s’est poursuivie en rajoutant un boitier dans le cockpit à l’arrivée de chaque nouvelle fonction, chaque boitier venant avec son lot de lampes ou cadrans gradués avec des aiguilles, et boutons de commande associés.

Dans le cockpit étriqué d’un avion de combat qui comporte de nombreux systèmes (radar, armement, guerre électronique, optronique...), la planche de bord s’est rapidement apparentée à un puzzle très complexe. Difficile alors pour les équipages d’arriver à garder du recul pour gérer la mission tout en maîtrisant leur machine, et que dire en cas de situation dégradée (panne, météo capricieuse...) ! Le début de l’histoire des cockpits, c’est donc un empilement des couches de « progrès ».

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Les progrès technologiques ont continué mais heureusement la tendance s’est inversée, en commençant sur le Mirage 2000 et plus encore dans le cockpit du Rafale. En centralisant sur un seul calculateur l’ensemble des données, et en développant des écrans multifonctions, on peut maintenant afficher aux équipages l’information pertinente au bon moment et au bon endroit. Avec l’ensemble des automatisations présentes, la quasi-totalité de la charge cognitive d’un équipage peut désormais se concentrer sur la mission.

LA QUANTITÉ DE FERRAILLE NE VA PAS BAISSER, L’INFORMATION NON PLUS


Quelles informations pour demain ?

On n’arrête pas le progrès, et l’enjeu à venir est de traiter l’augmentation exponentielle du nombre d’informations. Les capteurs fournissent de plus en plus de données, les acteurs sont reliés par des tuyaux de communication plus nombreux et plus gros... La fusion des informations est vitale, mais les situations tactiques pourraient aussi se complexifier. Par exemple avec l’arrivée en plus grand nombre de nouveaux acteurs, dont les porteurs DEWOITINE 520 cr‚dit www.aerovfr.com
non habités, incluant des armements (liaisons avions missiles), et demain en essaim des drones ou des « remote carriers ». La quantité de « ferraille » en l’air ou au sol ne devrait pas baisser, la somme d’informations tactiques échangées non plus, et il faut aussi penser que le même équipage devra commander les porteurs autonomes de son dispositif depuis son cockpit.

Comment adapter les cockpits à l’arrivée de l’IA : l’initiative MMT

C’est face à ce constat qu’a été lancée l’initiative MMT, Man Machine Teaming, pour dépasser le concept d’interface homme machine (IHM) et s’orienter vers un concept de travail en équipe. Cette étude a été imaginée en observant l’ensemble des progrès de l’intelligence artificielle, et en se posant la question de ce qu’elle pourrait apporter à l’aviation de combat. Elle a aussi été mise au point au moment où le projet FCAS de drone de combat franco-britannique avançait à pleine vitesse pour proposer une première capacité dès la décennie actuelle.

FACTEUR HUMAIN DANS LES SYSTÈMESAinsi l’idée a été d’identifier les technologies d’IA susceptibles d’apporter une plus-value opérationnelle. Cela concerne l’avion piloté, mais également ses capteurs et les drones. Une partie des travaux a consisté à associer des start-up, PME et laboratoires, aux grands industriels de défense, Dassault Aviation et Thales, pour identifier les technologies les plus prometteuses. Les thèmes explorés étaient les suivants : - Assistant virtuel & cockpit
intelligent ;

- Interactions homme-machine ;
- Gestion de mission ;
- Capteurs intelligents ;
- Services capteurs ;
- Soutien & maintenance robotisés.

Je ne m’attarderai pas sur les chiffres ou les sociétés impliquées dans cette étude dans le cadre de ce magazine, tout cela est disponible sur internet. Je préfère n’en retenir qu’une synthèse : l’IA doit permettre dans le futur d’améliorer les performances des capteurs et de la maintenance, d’identifier l’état physique et cognitif de l’équipage (niveau de fatigue et de concentration par exemple). Elle devrait aussi faire une synthèse et une interprétation de la situation tactique et proposer une optimisation de la suite de la mission, en incluant l’ensemble du dispositif (avions pilotés ou non). Au niveau des interfaces à proprement parler avec les équipages, on s’oriente toujours vers des écrans et un viseur de casque (avec plus ou moins de réalité augmentée voire virtuelle), mais également de la commande vocale ou des moyens haptiques. Le principal enjeu ne sera pas de développer le « hardware » d’interaction, mais de présenter une information explicable et compréhensive à l’équipage.

Un défi : le passage à l’échelle

Le projet FCAS franco-britannique n’aura finalement pas vu le jour, et le calendrier du SCAF
MMT cockpit Dassault – QR code vers table ronde FID
hispano-germano-français laisse un peu plus le temps avant de voir un nouveau porteur opérationnel avec un cockpit fait à partir d’une feuille blanche. Tous les résultats seront néanmoins utiles pour définir le cockpit de demain, dont celui du futur avion de combat, et les technologies déjà à l’étude aujourd’hui comme celles qui le seront dans le futur pour gagner en maturité.

ASSOCIER START-UP PME ET LABORATOIRES AUX GRANDS INDUSTRIELS POUR IDENTIFIER DES TECHNOLOGIES

Cependant, il ne faut pas oublier que le Rafale continue d’évoluer pour s’adapter aux besoins des forces. Pour rajouter des nouvelles fonctions, il faut aussi rajouter des capacités de traitement de données et donc du hardware, ce qui n’est pas un « sport de masse » dans un avion de combat. Si un changement complet du cockpit n’est pas à l’ordre du jour, le standard F4 permettra le changement des écrans latéraux, le rajout d’un viseur de casque, mais aussi une extension du calculateur suffisamment autonome pour ne pas perturber le cœur de l’avionique, et avec des capacités de calcul augmentées pour accueillir de façon très réactive des fonctionnalités nouvelles. Le standard F4 devrait aussi apporter les capacités de maintenance prédictive.

En conclusion, nombreux sont les progrès technologiques à avoir trouvé leur place dans les cockpits d’avions de combat. Mais bien appréhender leur utilité, leurs contraintes, et surtout les risques associés demande une approche raisonnée, sans toutefois tuer l’innovation. C’est aussi le cas pour l’intelligence artificielle qui sera certainement le moteur d’évolution principal des cockpits de nos futurs avions de combat.

Vincent Sol a commencé sa carrière dans l’aéronautique qu’il a connue depuis tous les points de vue possibles : essais en vol, direction technique, direction des opérations, innovation et industriel. Il est maintenant en charge du suivi de la BITD des domaines numérique, électronique, terrestre et naval à la future Direction de l’Industrie de Défense de la DGA.

 

Photo de l auteur
Vincent Sol, ICA
Vincent Sol a commencé sa carrière dans l’aéronautique qu’il a connue depuis tous les points de vue possibles : essais en vol, direction technique, direction des opérations, innovation et industriel. Il est maintenant en charge du suivi de la BITD des domaines numérique, électronique, terrestre et naval à la future Direction de l’Industrie de Défense de la DGA.

 

Auteur

Après une première partie de carrière au centre d'essais en vol comme ingénieur d'essais sur Mirage 2000 et chef de division, il rejoint Balard pour s'occuper d'aéronefs de combat, d'abord dans l'encadrement technique puis en tant qu'adjoint au DUM ACE, en charge des feuilles de route et des études amont. Il est actuellement chef du bureau industrie aéronautique au service des affaires industrielles et de l'intelligence économique. Voir l’autre publication de l’auteur(trice)

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