Retour au numéro
Un MRTT de la flotte européenne en action
Vue 85 fois
01 juin 2021

SOUVERAINETÉ EUROPÉENNE
OU ET COMMENT COOPERER ?

Un « marché » où la coopération peine à se développer

Les initiatives poussées par les Etats Membres de l’Union Européenne en faveur de la coopération capacitaire depuis le début des années 2010, sur fond d’abord de crise économique puis d‘avancées du projet politique de l’UE, bien aidé il est vrai par l’aiguillon de l’administration Trump, ont fini par générer un accroissement de l’intérêt et de l’activité de coopération de défense à l’échelle européenne. Si cette évolution est générale pour les différents domaines de défense, la situation du domaine aéronautique, à y regarder de plus près, paraît cependant nuancée. Je ne suis pas vraiment d’accord avec cette assertion, car c’est à mon sens justement dans le domaine aéronautique (vs les domaines naval et terrestre) qu’il y a le plus de coopérations européennes (outre les programmes mentionnés, on peut citer l’Eurofighter et le Tempest (quand même), les missiles Scalp et Meteor, le NH 90 et le Tigre ... Où sont les équivalents navals (FREMM, MU 90, Guerre des mines ...) et terrestres (CTA 40 mm, MGCS ...)?

Bien que les investissements des Etats Membres dans le domaine aérien représentent près de 40% (130 Md€) de l’effort tous domaines confondus[1] sur la période 2017-2023, force est de constater que nombre de ces activités sont encore nationales, avec quelques exceptions notables comme le système de gestion du trafic aérien pour le Ciel Unique et les coopérations déjà abouties telles que le MRTT ou l’A400M. Les raisons de cette situation sont connues : divergence de visées stratégiques, hétérogénéité des besoins opérationnels, marché morcelé en dépit de l’existence de champions industriels européens incontournables, présence marquée des USA facilitée par l’OTAN. Il convient toutefois de relativiser cette situation en notant que 4 des Etats Membres réalisent à eux seuls 75% des dépenses d’investissement à l’échelle européenne dans les domaines du combat et du transport aériens : que ces Etats développent plus de coopérations et le bilan sera significativement impacté. La perspective des grands programmes à venir, tels que le Système de Combat Aérien Futur (SCAF), et l’arrivée à maturité des dispositifs incitatifs de l’UE comme le Fond Européen de Défense (FEDEF) permettent d’escompter une telle évolution.

Le soutien UE

En 2016, l’Union Européenne s’est dotée d’une stratégie globale définissant l’autonomie stratégique européenne comme un de ses objectifs et la coopération comme un de ses moyens. S’en est suivi un train d’initiatives dont la révision du Plan de Développement Capacitaire (CDP) en 2018 couvrant désormais le spectre complet des capacités, la relance de la Coopération Structurée Permanente (CSP), le lancement de l’Examen annuel coordonné en matière de Défense (CARD) et la préparation du FEDEF par le biais de ses deux programmes précurseurs.

S’agissant du domaine Air, la révision du CDP a conduit les Etats Membres à agréer deux priorités sans préjuger de leur cadre de développement. La première concerne la Supériorité Aérienne, couvrant les capacités de combat aérien, d’ISR aéroporté, d’A2/AD et BMD et de ravitaillement en vol. La seconde concerne la Mobilité Aérienne et couvre la mobilité tactique et stratégique. Ces priorités constituent la référence pour l’ensemble des initiatives liées au développement capacitaire. Dans le cadre de la CARD, elles sont la base du dialogue avec les Etats Membres et des opportunités de coopération de développement capacitaire identifiées. Pour la Supériorité Aérienne, ces opportunités ont trait au développement d’avions et d’hélicoptères de combat de nouvelle génération et de capacités d’entrainement adaptées, au développement de systèmes de guerre électronique, de drones tactiques, MALE et HALE, de capacités de surveillance et de défense aérienne, de défense anti-drones, de ravitaillement en vol. Pour la Mobilité Aérienne, les opportunités de coopération identifiées ont trait au développement de capacités supplémentaires de transport tactique et stratégique, ainsi qu’au développement d’hélicoptères multi-rôles.

Ces opportunités basées sur l’analyse des planifications nationales et les déclarations d’intérêt des Etats Membres restent à concrétiser. Pour cela, elles requièrent la confirmation de la synchronisation des calendriers budgétaires et politiques, de la convergence des besoins et de celle des solutions, et la résolution des questions liées aux choix des cadres de coopération et de partenariat, notamment avec des Etats tiers et des organisations comme l’OTAN. Les initiatives de l’UE déjà citées (CARD, CSP, FEDEF) ont à cet égard un rôle structurant et incitatif qui devrait croître avec la maturité de ces outils. A ce jour, 5 projets[2] parmi les 46 de la CSP concernent le domaine Air (ne portant, il est vrai, que sur un champ encore limité du domaine). Le premier programme de travail annuel du FEDEF est quant à lui en cours d’élaboration, et son précurseur pour le développement capacitaire, le PEDID, n’abordait pas le transport aérien mais consacrait 134 M€ aux capacités de combat aérien sur un programme de 2 ans de 500M€[3] .

La coopération, fort enjeu d’industries nationales, est plus facile en R&T

Ces efforts de coopération capacitaire s’appuient sur la coopération en matière de R&T et dans ce domaine, la coopération européenne a souvent été plus fructueuse sur les sujets transverses qui nécessitent de mettre en commun les moyens pour s’assurer l’accès à des technologies clés qu’au niveau système. Au sein de l’Agence Européenne de Défense, on peut par exemple citer les actions concernant les composants à base de nitrure de Gallium (GaN) qu’on retrouve aussi bien à bord du Rafale que de l’Eurofighter. Les systèmes « détecter et éviter » pour les drones sont aussi développés en commun dans ce forum. Cette dynamique ne s’essouffle pas (au contraire).

Logo de la flotte d’avions ravitailleurs européens


De plus, le groupe dédié au domaine aérien, le « Captech Air », est redevenu un forum animé avec une douzaine d’Etats Membres actifs. Ses nouvelles feuilles de route technologiques ont été produites et elles foisonnent d’idées de projets à mener en coopération, bien au-delà d’un financement réaliste que ce soit au titre du FEDEF ou de la mise en commun de budgets nationaux. Parmi les sujets mis en avant, on pourra en particulier noter l’interaction homme-machine, la coopération entre véhicules aériens ou bien la supervision de l’état des systèmes et leur résilience.

Les mois qui viennent devront donc être mis à profit pour faire le tri dans ces idées de projets pour se focaliser sur ceux qui ont le plus de chance d’être lancés à court terme, c’est-à-dire ceux pour lesquels des budgets sont disponibles, les calendriers sont alignés et les industries ou centres de recherche ont la volonté de coopérer. En effet, la dimension politique est en général moins prégnante pour la R&T. S’il est permis d’espérer qu’un bon nombre de ces idées se concrétisent, cela ne doit pas occulter la difficulté qu’il y a à inclure des acteurs provenant de pays européens ne possédant pas d’industrie dans le domaine aéronautique ou se contentant de sous-traitance vis-à-vis de l’industrie américaine. Difficulté qui risque de demeurer présente encore plusieurs années.

A la croisée des chemins

D’une façon générale, la coopération européenne en matière de développement capacitaire est à la croisée des chemins. D’un côté, jamais autant n’a été fait pour la dynamiser et les conséquences à venir de la pandémie actuelle sur les budgets de défense ne peuvent que renforcer ce besoin de coopération. De l’autre, il est à craindre que la fenêtre d’opportunité politique se referme déjà. Il est urgent que les outils mis en place démontrent rapidement leur valeur ajoutée. Mais derrière l’objectif initial de meilleure compétitivité des acteurs sous-tendant l’autonomie stratégique de l’UE, chacun vise ses propres objectifs. Au final, cette dynamique impactera-t-elle l’approche de coopération sur des programmes structurants tels que le SCAF et le paysage industriel européen associé ? Tout devrait dépendre de la capacité de chacun à faire des compromis. C’est aussi cela la coopération.

[1] Source : Examen annuel coordonné en matière de Défense (CARD).

[2] Helicopter Hot and High Training, Eurodrone, Tigre Mark III, C-UAS, Airborne Electronic Attack.

[3] Eurodrone, Airborne electronic attack, Combat Jet Training Platforms, NG combat helicopters (Call en cours), Self-protection systems for fixed and rotary wing aircraft (Call en cours), EU multiplatform mission management capabilities for air combat systems (Call en cours)

Auteurs

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.