BLINDAGE EXPLOSIF CONTRE CHARGE CREUSE
50 ANS DE COMPÉTITION POUR L’ISL
En Ukraine, les blindages explosifs réactifs ne suffisent pas à sauver les chars, pourtant réputés invulnérables. L’ISL, pionnier dans la mise au point de ces systèmes et ayant maintenu des compétences pointues dans le domaine, en poursuit le développement avec de nouveaux matériaux, de nouvelles géométries, des scénarios spatio-temporels en temps ultra-court, pour adapter le blindage à la menace.
Bardée d’une multitude de briques de blindage explosif réactif, la carapace réputée infranchissable des chars russes, surtout sur l’arc avant, a néanmoins révélé ses faiblesses en Ukraine face à l’exploitation du point encore faible des véhicules blindés : le toit. Les nombreuses images de chars à la tourelle éjectée illustrent une vulnérabilité particulière des chars russes : le risque élevé d’initiation des munitions présentes dans le système de chargement automatique dans la tourelle.
Les conflits actuels mettent particulièrement en évidence la vulnérabilité des véhicules blindés, à travers l’emploi intensif de missiles et roquettes antichar à charge creuse, qui projettent un jet de métal hypervéloce aux effets perforants dévastateurs. Des drones de combat équipés de missiles, des munitions rodeuses kamikaze et des engins explosifs improvisés vectorisés sur drones récréatifs civils permettent de démultiplier les attaques par le toit : ces menaces agressent désormais les cibles sur tout l’hémisphère entourant le véhicule.
La protection ne peut reposer sur le seul blindage explosif réactif, même le plus performant contre les charges creuses. Le blindage n’est que l’ultime couche de l’oignon de survivabilité : détecter sans être détecté - ne pas être acquis - ne pas être touché - ne pas être percé - si l’on est percé, survivre. L’amélioration de la survivabilité passe par l’innovation au niveau de toutes les couches : depuis les concepts de manœuvre dans un environnement collaboratif et info-valorisé, jusqu’au blindage, qui n’a pas dit son dernier mot !
Prototypage virtuel d’une architecture de protection complexe
Des blindages explosifs réactifs…
La découverte et la mise au point à l’ISL des blindages explosifs réactifs dès 1972 ont marqué un tournant dans la lutte entre les charges creuses et les chars.
Le principe du blindage réactif consiste à disposer sur le passage du jet de charge creuse un sandwich incliné composé de deux plaques métalliques enserrant une feuille d’explosif. Lors de l’impact du jet sur le sandwich, l’explosif entre en détonation et les deux plaques de métal sont mises en mouvement dans des directions opposées. Les interactions multiples entre le jet et les plaques en mouvement perturbent le jet et réduisent son pouvoir perforant. Les blindages réactifs peuvent également être efficaces face aux projectiles-flèche (des barreaux de métal très dense tirés à très grande vitesse) comme cela a été démontré à l’ISL dès 1974 ; dans ce cas il est nécessaire d’utiliser des plaques d’acier plus épaisses que face aux charges creuses et de résoudre certains des problèmes de mise en détonation de l’explosif des sandwichs.
Radiographie éclair par Rayons-X et simulation numérique de l’interaction d’un projectile-flèche sur un étage explosif réactif intelligent déclenché par détonateur et à dommages collatéraux réduits
Si ces blindages explosifs réactifs sont très performants en termes d’efficacité massique, ils présentent quelques inconvénients : par exemple, des limitations vis-àvis de certains projectiles-flèche, ou encore le risque de dommages collatéraux engendrés par la mise en mouvement des plaques lors de la détonation de l’explosif. En effet, la plaque éjectée à grande vitesse vers l’extérieur du véhicule peut constituer un danger pour les véhicules ou robots amis environnants, tout comme pour les combattants débarqués ou les civils. Ceci peut être limité par l’utilisation de plaques projetées non métalliques ou pré-fragilisées. L’autre point faible est que l’explosif doit être mis en détonation face à un jet de charge creuse, sans être prématurément leurré par des jets ou des projectiles précurseurs (dans le cas de charges tandem) ou par des vecteurs multiples voire initié par la simple mitraille du champ de bataille.
…au « smart-armor »
Les systèmes de protection active, qui projettent des éléments pour neutraliser la menace avant même qu’elle ait touché sa cible, sont complexes, onéreux et ne permettent pas de répondre à toutes les situations. Comment faire de meilleurs blindages explosifs réactifs ? Il faut aller au-delà des solutions largement empiriques déployées jusqu’à présent. Mieux comprendre et décrire finement tous les phénomènes physiques, afin d’exploiter au mieux les vulnérabilités intrinsèques des menaces et minimiser les vulnérabilités des cibles. Choisir le bon matériau avec la bonne géométrie au bon endroit pour la bonne raison.
L’accélération des moyens de simulation numérique actuels permet désormais d’accéder à des moyens de prototypage virtuel de systèmes de protection. Pour autant, la validité du prototypage virtuel repose sur des expérimentations de calibration préalables très finement instrumentées mettant en œuvre le meilleur de l’état de l’art en métrologie des phénomènes ultra-rapides.
L’ISL est leader dans ce domaine, grâce à des compétences que la période dite « des dividendes de la paix » n’a pas entamées et à l’apport de jeunes chercheurs, ingénieurs et de nombreux doctorants. L’ISL investigue ainsi des architectures de protection novatrices en amont et au profit des développements des industriels.
L’innovation sur ces systèmes de blindages explosifs réactifs réside d’une part dans l’utilisation de matériaux nouveaux et de géométries non conventionnelles, d’autre part dans l’optimisation en temps réel du scénario d’interaction spatio-temporelle entre la menace et les éléments mis en mouvement dans le blindage. C’est rendre le blindage intelligent : le rendre apte à localiser et identifier la menace directement au premier impact, pour qu’il décide soit de laisser la menace initier l’explosif selon le mode conventionnel, soit de déclencher par un détonateur l’explosif du blindage au lieu et à l’instant le plus favorable selon le type de menace. La maîtrise précise de la chronométrie d’initiation commandée de l’explosif peut être facilitée par la technologie ISL de Détonateur Opto-Pyrotechnique qui permet une plus grande précision de déclenchement, une meilleure capacité d’amorçages multiples et une faible vulnérabilité du système. Ce blindage explosif réactif intelligent permet d’optimiser les performances de protection face à un spectre élargi de menaces et facilite la discrimination des leurres. Un challenge consistant à optimiser la boucle de détection/identification au contact a dès à présent été relevé et la faisabilité du système a été démontrée face à un projectile flèche à 1500m/s.
Ces blindages explosifs activables constituent une première famille des blindages intelligents –smart armor- qui adaptent la réponse du blindage à la menace. D’autres travaux sont en cours à l’ISL sur la modification en temps réel du mode d’action des éléments de blindage face notamment aux effets de souffle ou aux engins explosifs improvisés.
Jean-François Legendre, Directeur du Laboratoire « Protection contre les explosifs etmenaces balistiques » à l’ISL. JF Legendre est ingénieur de formation et titulaire d’un doctorat de l’Université de Poitiers, spécialité Energétique. Il a rejoint l’ISL en 1989 pour se consacrer à la course de vitesse entre le Glaive et la Cuirasse. Tout d’abord du côté de la létalité avec les explosifs non conventionnels et les projectiles-flèche antichar, il passe en 2004 du côté de la survivabilité avec les activités de protection des systèmes d’armes terrestres puis navals et aériens. |
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