MISSILES TACTIQUES : LA PROPULSION SOLIDE INNOVE
LA TECHNOLOGIE BI-PULSE ET LA MODULATION DE POUSSÉE BIENTÔT DISPONIBLES ?
La propulsion solide, incontournable dans les futures applications Défense
Les nouveaux acteurs privés du spatial (Space X et Blue Origin en tête), tout comme les fabricants des lanceurs Soyouz et Proton, ne jurent que par la propulsion liquide pour lancer des satellites dans l’espace. Les nouveaux entrants aux ÉtatsUnis, ou les start-up françaises dans le cadre de France 2030, mais aussi ArianeGroup au-delà d’Ariane 6, privilégient cette technologie pour de nouveaux lanceurs réutilisables. Cependant, dans le domaine militaire, force est de constater que la France et d’autres pays continuent de privilégier la propulsion solide pour les missiles.
La propulsion liquide présente en effet plusieurs obstacles pour le domaine de la défense, et ce qui s’applique au spatial n’est pas toujours transposable. Le conditionnement des ergols liquides impose pour un missile l’utilisation d’ergols « stockables », ergols qui se présentent naturellement sous forme liquide (conditions normales de température et de pression).
La famille des missiles russes SCUD utilise ce type d’ergols, dits « hydrocarbures », kérosène et acide nitrique et le moteur Viking (Ariane 4 notamment) fonctionnait avec une combinaison UDMH/N2O4 dans le spatial. Compte tenu des législations européennes en vigueur, ces ergols très toxiques ne pourraient être utilisés dans un missile français (hors problématiques de sécurité).
La propulsion avec ergols liquides reste opérationnellement coûteuse, complexe et trop contraignante pour présenter un intérêt pour des moteurs de missiles tactiques.
L’avenir de la propulsion solide passe par l’accroissement du potentiel énergétique des propergols solides et par leurs capacités notamment à permettre de la modulation de poussée ou des cycles allumage-extinction (propergols extinguibles(1).)
Rappelons que dans le domaine militaire, certains missiles utilisent du carburant liquide pour la phase de croisière(2) : ce sont les statoréacteurs et les turboréacteurs. Ces technologies ont été retenues en France pour les missiles de croisière et certaines versions de missiles antinavires.
L’innovation en propulsion solide, une réponse face aux menaces et défenses futures
Depuis des décennies, la recherche en propulsion solide vise un accroissement des performances allié à une maîtrise des coûts. Les voies actuellement explorées portent sur des méthodes de production plus efficientes (mélange par résonance acoustique), des propergols plus performants et une flexibilité opérationnelle accrue permise par la mise en œuvre de la modulation de poussée.
L’étendue des missions demandées impose actuellement la conception de deux moteurs distincts pour assurer les fonctions de mise en vitesse (accélérateur) et de maintien en vitesse (croisière) d’un missile. Le profil de poussée est aujourd’hui imposé par la nature et la géométrie du chargement, il ne permet donc pas de s’adapter à la manœuvrabilité accrue des nouvelles menaces.
La modulation de poussée ou l’utilisation de propergols extinguibles permettraient en revanche de réaliser les phases accélération et croisière avec un unique propulseur solide, réaliser des manœuvres en phase de pénétration, enchaîner des cycles phase propulsée – phase balistique (type extinction – rallumage d’un moteur à ergols liquides), etc.
Diverses opportunités seraient ouvertes pour les futurs besoins opérationnels.
Le propulseur bi-pulse
L’avant-projet d’un missile anti-aérien futur (2012-2016) a apporté la première brique technologique de la modulation de poussée à la propulsion solide. L’objectif de ce projet, destiné à préparer l’arrivée du missile air-air MICA NG (premières livraisons prévues en 2026) tiré depuis Rafale, était triple :
• conserver les dimensions et interfaces du missile anti-aérien actuel ;
• augmenter substantiellement la portée du missile ;
• accroître sa manœuvrabilité à proximité de la cible, et donc sa capacité d’interception.
La solution technologique proposée a été un propulseur bi-pulse, composé d’un premier propulseur (pulse) placé à l’arrière d’un second propulseur, les deux étant séparés par une cloison intermédiaire. Cette paroi isole le second chargement du fonctionnement du premier, tout en laissant ultérieurement passer les gaz de combustion générés par ce second chargement.
Les principaux défis technologiques se situent au niveau de la cloison intermédiaire qui doit :
• être suffisamment robuste pour résister aux contraintes de pression (> 100 bar) et température (> 3000 K) générées par la combustion du premier pulse ;
• permettre un désoperculage « doux » de la cloison intermédiaire lors de l’allumage du second pulse, afin de ne pas endommager les équipements du missile placés à proximité.
Les essais de développement de cette cloison intermédiaire sont en cours chez ROXEL, responsable du propulseur. Le missile MICA NG développé depuis 2018 par MBDA sera le premier missile français à bénéficier de cette technologie bi-pulse.
Un PSD, pulse séparation device permettant à un 2ème réacteur de fournir un complément de poussée pour augmenter la portée et accroître la manoeuvrabilité près de la cible
Technologie DVT (Discrete Variable Thrust)
La DGA et l’AID prévoient de financer très prochainement l’industrie sur cette technologie de modulation de poussée d’un moteur à propergol solide.
L’intérêt de cette technologie DVT réside dans la capacité à faire varier par paliers la poussée d’un moteur à propergol solide avec une très forte différence d’amplitude entre les phases d’accélération et de croisière, grâce à une variation d’aire au niveau du col de la tuyère. Pour un système simple de type roquette sol-sol, les gains attendus sont un doublement de la portée opérationnelle du système.
Dans ce contexte, le marché DVT a pour objectif la maturation technologique :
• d’un dispositif de variation d’aire au col, avec évaluation des gains de performance, opérationnels voire économiques par comparaison avec les solutions actuelles de dimensionnement des moteurs à propergol solide ;
• d’un moteur à propergol solide de nouvelle génération intégrant ce dispositif, afin d’étudier les bénéfices de cette architecture au niveau missile.
Il permettra d’établir les perspectives d’intégration de cette technologie dans les futurs missiles à l’horizon 2030 et d’adapter selon les résultats obtenus la feuille de route des technologies de management de la poussée. Le niveau de maturité technologique (TRL) visé varie entre 4 (pour le moteur complet à propergol solide) et 5 (pour le dispositif de variation d’aire au col).
i%DVT, une variation du flux entre la phase d'accélération et la phase de croisière qui permettra un doublement de la portée%F%
Pourra-t-on aller plus loin ?
Deux barrières restent à lever : disposer d’un matériau pour le pointeau capable de résister pendant un temps suffisant à la température des gaz de combustion proche de 3000 K et disposer de propergols extinguibles. Dès que la brique technologique DVT sera acquise et que les nouveaux propergols seront suffisamment matures, il deviendra possible de moduler la pression de sortie à la demande et ainsi d’accéder à la brique technologique CVT (Continuous Variable Thrust).
Le propulseur bi-pulse, les technologies DVT et CVT constituent des innovations qui pourraient à terme être autant d’outils à disposition de nos armées pour répondre aux menaces actuelles et futures...
1 : Qui peuvent être allumés et éteints
2 : Pour la mise en vitesse, ce type de missile requiert parfois des propulseurs d’accélération (booster ou accélérateur intégré) utilisant du propergol solide
Christophe Jacq, IETA, Architecte propulsion solide sur missiles tactiques Diplômé de l’ESTACA/ISAE-SUPAERO, spécialité spatial, Baptiste Barré a débuté sa carrière en 2017 chez ArianeGroup site de Vernon comme architecte sur le moteur Vinci d’Ariane 6, avant de rejoindre en 2019 son affectation actuelle à DGA/IP. |
Baptiste Barre, ICT, Architecte propulsion solide sur missiles tactiques et CNA Diplômé de l’ENSTA Bretagne, option systèmes pyrotechniques, Christophe Jacq a débuté sa carrière en 2015, à DGA/EM site Gironde comme expert en sécurité des missiles et munitions, avant de rejoindre en 2020 son affectation actuelle à DGA/IP. |
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