INDUSTRIE DE DEFENSE ET RESPONSABILITE SOCIETALE
La mission de Défense nous mobilise et nous passionne mais peut également susciter chez certains des tensions contraires. La pratique militante des critères ESG(1) et de la responsabilité sociétale peut être utilisée au détriment des entreprises de défense dont les pratiques en la matière sont ignorées ou mésestimées.
Le service que je dirige au sein de la DGA s’emploie quotidiennement à remédier aux difficultés de toutes natures rencontrées par les entreprises de la base industrielle et technologique de défense. Il constitue à ce titre une tour de contrôle privilégiée pour accompagner l’évolution de leurs relations avec leurs donneurs d’ordre, leurs fournisseurs et leurs investisseurs. Une tendance préoccupante s’est invitée dans leurs relations avec les partenaires bancaires qui leur opposent de plus en plus fréquemment des critères extra-financiers, environnementaux, sociétaux et de gouvernance pour refuser de les accompagner dans leur activité, notamment à l’export. Certaines communautés de pression estiment en effet que les activités de défense ne sauraient être compatibles avec ces critères, ce qui induit une pression d’image, notamment sur les banques et les assureurs.
Une tendance dogmatique préoccupante à la stigmatisation a priori des activités industrielles de défense
Certains projets de directives européennes autour de la finance durable (taxonomie de la finance durable, extension de l’Ecolabel), couplés à la complexification du cadre de conformité bancaire, démontrent une tendance dogmatique préoccupante : celle de l’exclusion de nos entreprises de défense, et d’abord des plus petites d’entre elles, de l’accès aux instruments financiers nécessaires à leur développement.
Les cas concrets restent difficiles à dénombrer et les raisons semblent multiples : refus par précaution contre un risque juridique à portée extraterritoriale ou, et c’est plus dommageable, refus par prévention contre un risque réputationnel dont la perception est amplifiée par l’efficacité de la communication militante de certains lobbies.
Les travaux normatifs européens ont été ralentis du fait des critiques formulées par certains Etats-membres, dont la France, puis par la guerre en Ukraine. Mais ils n’ont en aucun cas été abandonnés, car la finance durable est un phénomène sociétal de fond qui s’impose progressivement comme la norme. D’autres projets de même inspiration se développent, comme par exemple la proposition de directive « Devoir de vigilance en matière de durabilité des entreprises », qui visent à instaurer une responsabilité des entreprises sur la chaîne de production et la chaîne des clients de leurs produits. Si la responsabilisation environnementale et éthique des entreprises sur leur modes de production n’est pas discutable, la responsabilisation des industriels de l’armement sur l’usage qui sera fait de leurs équipements par des Etats souverains n’est dans la pratique pas applicable.
Des conséquences financières et sociales
Cette tendance présente plusieurs conséquences dommageables. Sur le plan financier d’abord, elle entraînerait la réduction de l’accès de nos entreprises de défense aux sources de financement et pourrait causer la déflation de leur capitalisation boursière. Elle rendrait ainsi les entreprises du secteur plus vulnérables, à moindre coût, à une prise de contrôle par des investisseurs étrangers qui n’ont pas cette image « anti sociale » de la défense, comme les américains par exemple.
Ensuite, au-delà de l’aspect financier, cette stigmatisation signalerait négativement les activités de défense aux yeux de l’opinion publique, fragiliserait le lien Armée-Nation et réduirait l’attractivité du secteur à l’embauche pour de jeunes talents qui sont, naturellement, de plus en plus sensibilisés aux problématiques de durabilité environnementale et sociétale.
ferme solaire d’Urbasolar qui alimente le site d’ArianeGroup
Eviter toute incompréhension dommageable entre le secteur de la défense et le secteur financier
Il est essentiel d’éviter toute incompréhension dommageable entre le secteur de la défense et le secteur financier qui a toujours su soutenir les missions régaliennes. Les acteurs privés du secteur financier (banques, sociétés d’investissement, assurances) sont et doivent rester des partenaires essentiels du développement et de la pérennité des entreprises de la base industrielle et technologique de défense, en particulier des PME. C’est pour cela que nous travaillons auprès des banques et avec les banques, pour faire preuve de pédagogie quant aux spécificités de notre secteur d’activité, l’un des plus réglementés qui soit.
L’industrie de défense assure un des droits essentiels du citoyen, le droit à la sécurité, et incarne de façon concrète le principe d’autonomie stratégique de notre défense.
Le secteur industriel de l’armement contribue à une mission régalienne essentielle, la défense de notre pays, et ne saurait être traité comme un secteur commercial usuel. Sur le fond, en soutien de nos Armées et de notre diplomatie, il contribue au droit essentiel de nos citoyens : le droit à la sécurité, sans lequel tout autre droit est compromis et toute ambition de durabilité est vaine. Tout cela au moment où l’invasion de l’Ukraine par la Russie démontre qu’une agression n’est plus ni théorique ni rhétorique aux portes de l’Europe.
Les entreprises de l’armement jouent aussi un rôle essentiel dans la mise en œuvre concrète du principe d’autonomie stratégique de notre défense. Là aussi, la guerre en Ukraine et auparavant la crise sanitaire ont rappelé les conséquences concrètes et vitales de certaines dépendances critiques dans nos chaînes d’approvisionnement et démontré la pertinence et l’actualité de ce principe d’autonomie.
Le secteur est concrètement engagé dans le champ de la durabilité environnementale et de la responsabilité sociétale
Notre base industrielle et technologique de défense est innovante, compétitive et robuste, ouverte sur le monde et en particulier sur l’Europe. Ses entreprises sont le plus souvent des petites entreprises, employeurs de proximité, innovantes, agiles et créatives dont l’activité de pointe vitalise les territoires nationaux dans lesquels elles sont ancrées par nature. Elles apportent donc une contribution sociétale essentielle en termes de recherche et développement, d’innovation, de création d’emplois hautement qualifiés.
Elles sont aussi concrètement engagées dans les champs de la durabilité environnementale, sociétale et de la bonne gouvernance. Ainsi, Airbus Helicopters et Safran Helicopter Engines recherchent et testent l’utilisation de carburants durables avec des démonstrations de vols d’hélicoptères n’utilisant que ce type de carburant. ArianeGroup prévoit d’implanter sur ses sites, notamment au Mureaux, à Vernon et à Issac, plusieurs centrales solaires pour réduire ses consommations énergétiques carbonées. Naval Group a adopté une stratégie RSE, qui prévoit entre autres de diviser par 6 ses émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 2014. Et les PME ne sont pas en reste et cherchent à réduire leur empreinte carbone autant que de possible.
Spécialisés mais ancrés dans la société
Nous devons, ensemble, rester vigilants à ce que les entreprises contribuant à la défense nationale ne soient pas stigmatisées au seul motif de leur activité ou de la destination de leurs productions. Il faut pour cela montrer son plein ancrage dans la société, au service de la société et au profit de la sécurité de la société. Il faut aussi mettre en valeur toutes les actions prises pour accompagner l’évolution sociétale liée aux aspects environnementaux et sociaux et rester au cœur de la préoccupation de nos citoyens.
Nous nous employons donc avec une persévérance résolue à ce que la taxonomie européenne de la finance durable se refuse à une exclusion a priori des entreprises du secteur de la défense mais évalue ces entreprises sur la base de critères évaluant leur contribution réelle à la durabilité, comme cela est fait pour les autres secteurs.
1 : Environnementaux, Sociétaux, Gouvernance
X-Supaéro, Alexandre Lahousse a une carrière teintée par l’aéronautique : des débuts dans la technique, au CEAT puis sur programme NH90, puis à l’AIA de Cuers dont il sera sous-directeur technique. Il devient ensuite directeur de programme NH90, avant de préparer les systèmes futurs en tant qu’architecte de préparation des systèmes futurs des domaines « aéromobilité, surveillance et protection ». Après avoir été chef de cabinet du DGA, il prend la direction du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique.
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