INDUSTRIE ET INTENSITÉ DES PÉRILS
un air de déjà vu ?
« j’ai eu la chance de vivre dans un monde en paix ». Beaucoup d’ingénieurs de l’armement pourraient prononcer cette phrase, qui avec son côté très positif, a apporté avec elle un mode de penser faisant parfois passer au second rang la notion de souveraineté. Heureusement, notre pays a su conserver une armée complète avec ses deux composantes pour la dissuasion grâce à une BITD technologiquement performante. A l’heure des conflits, comment compléter le qualitatif par du quantitatif ? Ce numéro fait le point sur les nécessaires évolutions à apporter et les difficultés associées et donne quelques.
Mes nombreuses années de carrière m’ont permis de participer à des programmes emblématiques (Aster, FREMM) qui font aujourd’hui l’actualité, m’ont conduit à renforcer le rôle de la fonction financière de la DGA pour s’adapter au mieux aux contraintes budgétaires, puis à élaborer une vision stratégique pour le ministère que ce soit dans le domaine capacitaire lorsque j’étais à la tête du SPSA et industrielle avec mon passage au S2IE. Le panel de ces compétences, complétées par un passage dans l’industrie me permet de témoigner sur ma perception de la situation et la révolution qu’il nous appartient de mettre en œuvre.
Les dividendes de la paix
Après la chute du mur de Berlin, les états ouest Européens ont engagé une réduction de l’investissement de défense. Alors que la France dépensait de l’ordre de 5% de son PIB dans la défense dans les années 60, cet investissement s’est réduit à 3% en moyenne dans les années 80, pour atteindre un point bas à 1,8% dans les années 2010. L’Allemagne pour sa part a réduit son investissement de 4% de son PIB dans les années 60 pour tangenter les 1% en 2005.
La disparition apparente de menace en Europe a conduit dans un deuxième temps à suspendre la conscription et à se doter d’armées de métier aptes à intervenir sous forme de corps expéditionnaire. On passait alors d’une notion de défense de la nation et du territoire à celle d’intervention extérieure avec des effectifs restreints mais professionnalisés. Cette période s’accompagnait d’un usage maitrisé de la force, d’une consommation très modérée de munitions, d’une très faible attrition matérielle avec néanmoins des pertes humaines parfois conséquentes.
Dans ces conditions, pour maintenir un outil industriel apte à répondre aux besoins nationaux, l’export, la coopération, la réduction des cadences et l’étalement des programmes ont été, en France, le mantra des différentes générations d’ingénieurs de l’armement au détriment parfois de la souveraineté.
D’autres pays ont alors, pour leur part, fait le choix de dépendre fortement de fournisseurs étrangers pour leur équipement dans une logique de moindre coût. Ce choix permettait également de s’« acheter » une assurance et s’accompagnait parfois de licences permettant d’acquérir certaines compétences industrielles…
La montée des périls
En 2014, la Russie envahit la Crimée et le Donbass, prémices de ce que nous appelons maintenant la guerre en Ukraine. Elle se matérialise alors par des combats le long d’une ligne de front quasi stable. L’Europe, malgré des sanctions dans le domaine de l’armement, continue à commercer avec la Russie en augmentant ses dépendances vis-à-vis de ce pays aussi bien dans le domaine énergétique que dans celui des matières premières. Elle ne s’engage en revanche pas dans une démarche volontariste d’armement de l’Ukraine. Tout le monde est alors convaincu que la dépendance mutuelle avec la génération de richesse associée permettra de ramener la Russie à la raison.
En 2016, Donald Trump est élu président des états unis d’Amérique. Son discours, dont celui concernant le rôle et le positionnement de l’OTAN, émeut alors fortement certains dirigeants européens. La notion d’Europe de la défense, longtemps soutenue par la France seule, est alors remise sur la table et portée au niveau de la commission Européenne. Un commissaire en charge du dossier est nommé. L’Europe assure alors le financement de projets de défense toujours dans une logique de marché ; pas encore d’équipements...
En 2020, une crise sanitaire stoppe l’activité mondiale. Alors que Donald Trump est remplacé par Joe Biden qui présente un discours étasunien bien plus policé, l’occident découvre alors sa dépendance dans le domaine de la santé aux usines chinoises et indiennes. La coopération reste dans tous les discours ; néanmoins on se « vole » entre européens des cargaisons de masques lors de leur transit dans les aérogares. Le terme souveraineté, qui semble alors s’opposer en partie à la vision portée par 30 ans de mondialisation, fait un retour dans les discours politiques et s’accompagne d’une volonté de relocalisation de certaines activités industrielles. Cette volonté est amplifiée alors que la reprise économique est entravée par les contraintes logistiques et la non réouverture des usines chinoises. La pénurie de composants électroniques et de matières premières est alors un marqueur de cette situation.
Enfin en 2022, La Russie tente d’envahir l’ensemble de l’Ukraine qui repousse cette attaque. 25% du territoire de l’Ukraine est néanmoins occupé. Une guerre de haute intensité avec une très forte consommation de munitions, et une très forte attrition en matériel et personnel se déroule sur le territoire Européen. L’occident se porte au secours de l’Ukraine et constate alors que ni ses stocks, ni ses capacités de production, ni ses marges financières sont aptes à répondre aux besoins générés par un tel conflit. La Suède et la Finlande demandent compte tenu de la situation leur adhésion à l’Otan qui redevient le cœur de la sécurité collective de l’occident.
Pendant ce temps-là, la Chine continue à afficher ses ambitions aussi bien vis à vis de Taiwan qu’en mer de Chine. Cette ambition se concrétise par des manœuvres aéromaritimes de plus en plus importantes et des frictions dans toute cette zone géographique accompagnées d’une très forte accélération de la production chinoise en matériel de guerre.
Au regard de cette situation, quels sont donc les enjeux humains, industriels, savoir-faire… auxquels doivent faire face et l’industrie et les États afin de se préparer aux prochains événements qu’ils soient militaires ou civils en intégrant non seulement les enseignements du passé mais également une vision prospective, le conflit en Ukraine n’étant qu’un des nombreux conflits qui émaillent le monde.
La géopolitique a fait revenir au cœur de l’Europe des conflits, dans un monde fortement globalisé. Si comme le disait le général de Gaulle, c’est la connaissance de l’histoire qui nous permet de gouverner avec sagesse, cette période n’est pas foncièrement différente de celles qui ont généré des grands conflits. En ce qui concerne les équipements, comment le triptyque politique, industrie et forces saura-t-il réagir et s’adapter ? C’est ce que nous vous proposons de découvrir, entre annonces, réalités industrielles, budgets et programmes.
François Mestre
François Mestre, IGA Inspecteur de l’armement pour l’armement terrestre
|
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.