BOUM !
PYROTECHNIE & MATERIAUX ENERGETIQUES
LE POUVOIR DU FEU APPARTIENT À CELUI QUI SAIT LE MAÎTRISER
Chacun le sait : si la flamme éclaire et réchauffe, elle est aussi dangereuse ; et quand il se transforme en incendie, un feu non géré peut devenir dévastateur.
Culture de sécurité
La pyrotechnie, par étymologie, vise à contrôler le feu mais dans des échelles de temps bien plus faibles : la réaction mise en œuvre, de type combustion, y est quasi instantanée, brutale. En cas d’emballement incontrôlé, la catastrophe est immédiate. Aussi, contrairement à une première intuition, la première vertu d’un explosif n’est pas d’exploser, mais… de ne pas se déclencher quand il ne doit pas exploser !
La sécurité en premier : ce principe fonde la culture des pyrotechniciens, sur lequel, génération après génération, ils ont construit un corpus de règles et de bonnes pratiques. Cela se traduit en France par exemple par les études de sécurité au travail (EST) qui définissent ce qu’il est autorisé de faire ou manipuler, et seulement cela. On peut les relier à la fameuse consigne « Ici, tout ce qui n’est pas autorisé est interdit » (phrase qui, dit-on, aurait provoqué l’ire d’un Ministre de la Défense des années 80!). Aujourd’hui encore, la culture collective est au partage des retours d’expériences, même entre concurrents, comme l’illustrent les bases de données d’accidentologie accessibles à tous, avec une idée simple : chaque accident, ou situation de presque accident, est l’occasion pour tous de progresser. Et les pyrotechniciens partagent avec les pompiers la même patronne protectrice, Sainte Barbe, qu’ils honorent chaque année en se rassemblant le 4 décembre.
Au carrefour des sciences et techniques
La pyrotechnie et les matériaux énergétiques, c’est d’abord de la chimie, science expérimentale par excellence, pour en comprendre le fonctionnement intime. Une chimie qui s’intéresse à des phénomènes extrêmes : au premier ordre, l’objectif est de délivrer le maximum d’énergie dans le minimum de temps… qu’il faut savoir caractériser avec son cortège de concepts et d’échelles. Tous les BOUMs ne se valent pas ! Entrer en pyrotechnie, c’est commencer par comprendre qu’une détonation n’est pas une déflagration, encore moins une combustion rapide, ni même une explosion pneumatique, même si les différents phénomènes peuvent cohabiter (pour les non-initiés, je recommande à ce sujet la lecture des articles de nos camarades Narboni et Reydelet).
C’est aussi de la mécanique, pour en comprendre les effets. Pendant plusieurs siècles, à l’exception notable des feux d’artifices, l’art de détruire a tiré la discipline et attiré à elle toute l’attention du monde militaire et des exploitants de mines et carrières. Puis au vingtième siècle, l’émergence des matériaux énergétiques permet de nouveaux effets, dont la génération de gaz contrôlée et ses nouvelles applications : propulsion de vecteurs au plus grand bénéfice de l’industrie spatiale et de défense, puis de l’industrie automobile avec le développement des airbags.
Enfin, au tournant de ce siècle, l’électronique y a trouvé aussi sa place, pour des fonctions miniaturisées de transmission d’ordre et de sécurité d’armement.
Les ingrédients du succès
Le sujet est vaste et nous avons reçu de nombreuses contributions : pour construire ce dossier, nous avons choisi de regrouper les articles autour des 4 ingrédients qui font le succès de cette filière.
1. L’Etat en pivot
Premiers concernés, les ingénieurs militaires ont structuré cette discipline et fournissent aujourd’hui le vivier d’expertise de l’Etat en la matière. Et il en a bien besoin, tant les enjeux de l’Etat sont nombreux dans ses différents rôles : régulateur pour la sécurité au travail, donneur d’ordre pour l’industrie de défense, manipulateur de munitions dans l’armée et les forces de l’ordre, protecteur pour l’évaluation des menaces et le déminage, formateur pour garantir la transmission des savoirs aux prochaines générations d’ingénieurs et techniciens...
2. Un flux constant d’innovations
On pourrait croire cette « vieille » industrie endormie : il n’en est rien, et il suffit d’observer le flux d’innovations illustrées dans ce numéro. Qu’il s’agisse de nouveaux matériaux, de procédés industriels, de nouvelles applications ou des activités de dépollution, la créativité est à l’ordre du jour chez tous les acteurs publics et industriels.
Ce numéro contient de nombreux exemples : les munitionnaires travaillent à la sécurité d’emploi de leurs munitions (muratisation) et à la précision de leurs effets, l’industrie spatiale à améliorer sa fiabilité et à réduire le poids de ses lanceurs, et pour les mines et carrières, grâce à ses deux acteurs nationaux, la France est le premier pays européen à s’être quasiment débarrassé de la nitroglycérine, produit certes efficace mais instable (vous souvenez vous du « Salaire de la peur » ?). Même le monde de la santé s’intéresse à la pyrotechnie désormais, avec les perspectives ouvertes par l’injection sans aiguille.
3. L’existence de champions industriels
En France, cette filière industrielle représente 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 45 000 emplois qualifiés, et elle est exportatrice. Elle repose sur plusieurs champions industriels : beaucoup d’entre eux sont représentés dans ce dossier.
Ces entreprises sont les fruits d’une longue tradition. Ainsi, trois des plus grandes pyrotechnies en activité datent du Grand Siècle de Louis XIV : Saint-Médard-en-Jalles, Vonges et Pont-de-Buis, aujourd’hui exploitées par différentes entreprises performantes et qui ont le rare privilège d’écrire à leur tour un chapitre de cette longue histoire.
4. Une autonomie européenne couplée aux enjeux de souveraineté nationaux
En pyrotechnie, notre supply chain dispose d’une bonne résilience à l’échelle européenne : à l’exception des feux d’artifice, la quasi-totalité des matières premières peuvent être synthétisées en Europe, par plusieurs acteurs. Quant à la souveraineté nationale, elle se décline particulièrement pour toutes les applications relatives à la dissuasion, pour laquelle l’Etat veille à la stricte autonomie nationale. Ce modèle hybride est donc peu soumis aux aléas des longues supply chains intercontinentales et véritablement au service de notre indépendance.
Une filière à découvrir
Sauf évènement dramatique, on parle rarement de pyrotechnie et de matériaux énergétiques sur la place publique. C’est une activité habituée à la discrétion, à l’image de ses sites, nombreux mais cachés dans nos paysages : pour des raisons évidentes, les centres, usines et stockages pyrotechniques fonctionnent à l’écart des centres urbains et reçoivent peu de visiteurs, même si ce sont souvent des acteurs locaux bien ancrés et très structurants pour leur territoire. Quant aux acteurs industriels de cette filière, leur production est souvent cachée derrière celle de leurs grands donneurs d’ordre intégrateurs.
Autre signe : il aura fallu attendre 126 numéros de notre magazine pour consacrer enfin un dossier entier à cette discipline. L’occasion de rendre hommage à ces générations d’ingénieurs pyrotechniciens qui ont construit un écosystème souverain, dual, innovant et exportateur : en un mot, performant.
Auteur
Après des débuts chez DCN, Pierre a dirigé plusieurs établissements industriels chez SNPE et THALES, où il anime le commerce France depuis 2018. Voir les 4 Voir les autres publications de l’auteur(trice)
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