FORCES SPÉCIALES ET INGÉNIEURS DE L’ARMEMENT
LE GOÛT DE L’INNOVATION ET DE LA TECHNOLOGIE EN PARTAGE
De l'espace au cyberespace, du sous-marin au Rafale, du nano-drone au Serval, il n'y a pas une capacité développée par la DGA - ou d'autres - qui ne soit susceptible d'être utilisée dans le cadre d'une opération spéciale et, partant, qui ne suscite l'intérêt des forces spéciales. Dépasser les mythes et les fantasmes pour mieux comprendre ce que sont et font ces unités, pour in fine "faire autrement" - devise du COS - et aider les forces spéciales à disposer des moyens nécessaires à leurs missions, telle est l'ambition de ce numéro spécial.
Comprendre l’univers des forces spéciales, c’est d’abord comprendre leur organisation et leurs missions.
Tout a changé en 1992 : les premiers enseignements de la guerre du Golfe font prendre conscience que l’emploi des unités spéciales françaises n’a pas été à la hauteur de ce que l’on pouvait en attendre.
L’article sur les origines du Commandement des Opérations Spéciales (COS) apporte un éclairage sur l’intuition du général Le Page, son créateur, et sur ses choix fondateurs : un commandement opérationnel (et non organique) mais aussi interarmées pour cultiver diversité, émulation et synergie ; une chaîne de décision courte - de l’info-valorisation déjà -, pour mener des opérations spéciales à forts enjeux stratégiques et niveau de risque élevé. Ces missions, discrètes voire désilhouettées mais revendiquées, se distinguent de celles menées par les « cousins » de la DGSE, secrètes et clandestines.
Dans cette intuition, le général Le Page identifiait déjà l’importance de l’innovation, qu’elle s’applique à des modes d’action (l’embuscade par ex.), des procédures techniques (comme la « grappe » sur la couverture, ou l’infiltration sous voile), ou des équipements (innovation d’usage ou invention).
L’esprit d’innovation reste la marque de fabrique des forces spéciales, comme en témoignent Benoit de Préval (Thalès), Louis Le Pivain, ou Grégory, lequel pour sa part, analyse les difficultés du passage à l’échelle et met en exergue les perspectives offertes par la création de l’AID. Toutes les innovations n’ont pas la chance d’avoir la réussite « commerciale » du PLYO (Plasma LYOphilisé) dont nous parle Anne Saillol !
Enfin, le général Le Page identifiait qu’il n’y aurait pas d’innovation et d’équipement sans l’expertise de la DGA : en 1996 l’affectation d’un ingénieur de l’armement au sein de son état-major répondait à ce besoin. Gilles Depardieu fut le premier, d’autres ont suivi. Vous retrouverez leurs témoignages tout au long de ce numéro.
Le général Vidaud, actuel GCOS, retrace le chemin parcouru depuis trente ans, évoque l’adaptation progressive à l’évolution des enjeux stratégiques, aux zones et aux types de conflictualités ; il anticipe également les conflits asymétriques et les engagements en zone grise. Anticiper et faire autrement, toujours, nécessairement, avec une attente forte vis-à-vis de nous, Ingénieurs des corps de l’armement pour ces nouveaux défis.
Put.. 30 ans, déjà ? mais c’est le temps écoulé depuis la sortie du premier char Leclerc !
En matière d’équipement, la constante de temps dans l’univers des forces spéciales ne peut être celle de la majorité des opérations d’armement. Ce n’est pas un caprice, c’est une nécessité, imposée par le tempo des opérations spéciales, et illustrée par les quelques « docu-fictions », que vous trouverez tout au long de ce magazine, retraçant différentes opérations.
Il y a le temps « long » de la séquence SEARCH - FIND - FIX, et puis il y a le surgissement de l’opportunité pour l’action - libérer des otages, capturer une HVI* - qu’il faut pouvoir saisir pour le FINISH. Disposer alors de l’équipement adapté à la mission permet de s’affranchir au mieux des contraintes d’environnement (jour/nuit, météo), de garantir la discrétion et l’effet de surprise (ex. ISV* à très haute altitude), de multiplier les options tactiques. Cette panoplie d’effets et de moyens, servis par des hommes spécialement sélectionnés, formés et entraînés, éclaire la prise de décision et permet l’engagement sans délai. Pour les forces spéciales, l’enjeu est de disposer, « hic et nunc », du meilleur de l’état de l’art en matière d’équipement. Et cet état de l’art, elles le connaissent bien.
Cette singularité posée par les forces spéciales en matière d’équipement, questionne la capacité à accélérer les processus, qu’il s’agisse d’acquisition ou de qualification ; plusieurs articles de ce numéro l’évoquent (Georges Henry, Le Moudic ou Nicolas). Elle interroge sur la façon d’appréhender la prise de risque, entre celui à qui l’on demande de qualifier (DGA) et celui qui doit en autoriser l’emploi (états-majors d’armées), et incite au dialogue pour une juste répartition du fardeau. Elle mène aussi à une remise en cause du poids des normes qui, quoiqu’offrant un cadre rassurant, n’invitent pas à développer une approche pragmatique, comme le constate Augustin.
Le « faire autrement » doit être le paradigme lorsqu’il s’agit d’aborder le cas d’un équipement déjà en service dans un autre pays comme l’expose l’article de Pyrotechnicus. Il s’impose parfois, par la force des choses, comme le montre F. Rogeré dans sa saga sur la qualification du largage de parachutistes depuis l’A400M. Enfin, le « faire autrement » devient un challenge à relever comme dans la qualification aérolargage d’un nouveau matériel racontée par J.B. Saint-Pierre et J. Breton.
Le commando FS : de l’opérateur au compagnon.
L’homme est au coeur de toute opération spéciale. On n’a pas fait mieux, pour l’instant, en terme d’autonomie, d’intelligence de situation, de capacité d’adaptation et de résilience, que ces commandos sélectionnés et surentraînés. De là à parler de machines de guerre ?
Eux-mêmes se désignent en parlant « d’opérateur FS », établissant, par le choix de ce terme, un lien étroit entre le commando et la technique ou la technologie. Abordant le fantasme de l’homme augmenté, le MC Nicolas soutient que le commando ne peut/doit pas être réduit au statut de « machine » car sa supériorité lui vient de cette force d’âme qui fait la différence dans les moments ultimes.
Le terme de compagnon vient aussi à l’esprit. Celui de la Libération, du saut dans l’inconnu, prêt à tous les sacrifices pour sa Patrie. Celui du Devoir et du tour de France aussi. Un individu au sein d’une communauté forte, faisant croître son expérience d’OPEX en OPEX, s’enrichissant au contact de l’autre (d’une autre armée, d’un autre pays), nouant des amitiés et créant un réseau, et capable de façonner ses outils à sa main.
Cette pâte humaine est celle qu’ont rencontrée nos camarades Matthieu, Augustin, Damien, Aurélien, Alexis ou Jules et dont ils partagent le souvenir pour nous. Elle méritait bien qu’on lui consacre un numéro spécial.
* HVI : High Value Individual
* ISV : Infiltration Sous Voile
Christophe, ICA
Christophe consacre 18 années à s’imprégner de la culture industrielle (Nexter, Manurhin), de la conception d’un produit au pilotage de contrats, en passant par la production, la qualité ou l’ingénierie. Il regagne la DGA (2009) pour mettre cette expérience au profit du MINARM. Il se tourne vers le MCO, comme architecte de soutien puis responsable de domaine à la SIMMT (2013) avant de rejoindre le COS (2018) pour accompagner la démarche capacitaire et l’innovation.
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