L’HYDROGÈNE PEUT-IL SAUVER L’AVIATION ?
AVANTAGES ET LIMITES DE L’HYDROGÈNE COMME SOURCE D’ÉNERGIE, À BORD DES AÉRONEFS FUTURS
Il est désormais admis que l’efficacité énergétique seule ne permettra pas au secteur du transport aérien d’atteindre son objectif de neutralité carbone d’ici 2050 : l’introduction massive des carburants durables, voire un changement complet de paradigme dans la source d’énergie embarquée est nécessaire. Quel rôle l’hydrogène peut-il y jouer ?
L’avion à hydrogène, séduisant mais difficile
Utiliser l’hydrogène comme source d’énergie ne produit potentiellement que de l’eau : cela n’est vrai que si son mode d’élaboration est également décarboné. Cela n’est vrai également que si cette production d’eau, trois fois plus abondante qu’avec du kérosène à puissance équivalente, n’entraîne pas trop de traînées de condensation, suspectées de contribuer en grande part à l’impact climatique de l’aviation. Mais les propriétés et la persistance de ces traînées peuvent être très différentes : le développement de modélisations vérifiées par des essais en vol est indispensable pour dresser une étude d’impact indiscutable.
L’hydrogène a un contenu énergétique trois fois supérieur à celui du kérosène par unité de masse, mais il est très peu dense, un handicap pour des applications volantes en raison de la masse des réservoirs (dans le cas d’un stockage gazeux à haute pression) ou de leur volume (dans le cas d’un stockage liquide cryogénique). Alors que le stockage gazeux ne semble donc pouvoir s’envisager au-delà du transport de quelques passagers, le stockage liquide est un défi pour les avions commerciaux, car ces réservoirs fortement isolés thermiquement ne peuvent être installés que dans le fuselage, rendant difficile de conserver la finesse de la cellule sans réduire le volume de la cabine.
Entre les deux grands paradigmes que sont la combustion dans des moteurs thermiques d’une part et la pile à combustible d’autre part, cette dernière apparaît séduisante car silencieuse et non émettrice d’oxydes d’azote (NOx). Elle est maintenant vue comme une alternative intéressante aux batteries électrochimiques pour la génération ou la propulsion électrique, mais doit encore résolument progresser en matière de compacité, de durée de vie et de coût avant de se poser en concurrent sérieux aux turbomachines pour l’aviation commerciale.
Les travaux de recherche sur la maîtrise de la formation de NOx, défi majeur de la combustion aérobie de l’hydrogène, laissent entrevoir des solutions ; pour autant il reste primordial de maîtriser finement la stabilité de la flamme et juguler la forte dépendance de l’injection en phase gazeuse à la température et à la pression, facteurs prépondérants dans les moteurs modernes très chauds et fortement comprimés.
Le transport de l’hydrogène du réservoir au moteur est un autre défi, souvent sous-estimé, et dans lequel le retour d’expérience de la propulsion spatiale s’avère précieux : Safran et Airbus y travaillent conjointement. L’hydrogène induit un fort couplage entre le moteur et son système d’alimentation avec de très complexes et énergivores systèmes de pompage et de réchauffage, depuis les réservoirs cryogéniques jusqu’aux conditions compatibles avec l’injection dans le moteur. Cela nécessite le développement de solutions dédiées, compatibles avec les exigences d’opérabilité, de durée de vie et de sécurité du transport aérien. Cela nécessite également une attention particulière à la fragilisation des matériaux par cette molécule de très petite taille.
In fine, un avion civil à hydrogène liquide apparaît plus léger au décollage que son équivalent au kérosène, mais nettement plus lourd à vide en raison de la masse accrue des systèmes de stockage et de conditionnement. Ainsi, pour un même nombre de passagers, la distance franchissable maximale est réduite, rendant les applications long-courrier difficilement envisageables tant que l’on se cantonne aux configurations « tube-andwings » des avions actuels, optimisées depuis des décennies.
Le défi de l’écosystème, des opérations et de la sécurité
L’opération d’une flotte d’aéronefs à hydrogène implique une rupture et des investissements massifs dans les infrastructures d’approvisionnement, de stockage et de distribution sur plateforme aéroportuaire. Le ravitaillement en co-activité avec le débarquement et l’embarquement des passagers est un défi majeur, alors que l’expérience spatiale illustre la complexité de cette opération nécessitant assainissements et mise en froid progressive. Le niveau d’exigence de maîtrise des fuites est sans commune mesure avec ceux existants pour le kérosène, et d’un cran supérieur en stockage liquide cryogénique par rapport aux standards développés par les transports terrestres pour le gaz pressurisé. Il ne peut y avoir de régression sur la sécurité au sol et à bord et cela nécessitera un processus de certification dédié : le travail d’anticipation avec les autorités est d’ores et déjà engagé.
L’introduction de l’hydrogène dans l’aviation peut être à la fois un accélérateur et un bénéficiaire de l’évolution de l’ensemble du secteur de l’énergie vers l’adoption massive de cette molécule ; encore faut-il que les quantités fléchées vers le transport aérien soient suffisantes et à un prix soutenable. Les projections récentes(1) montrent que des coûts d’hydrogène bas carbone sous forme liquide de l’ordre de 2 $/kg pourraient être atteints à l’horizon 2050, rendant cette voie compétitive avec les filières conventionnelles. Ces objectifs nécessiteront l’alignement d’un ensemble de facteurs dépendant de multiples acteurs : coût de l’électricité bas carbone, développement massif et amélioration de l’efficacité de l’électrolyse et des liquéfacteurs…
L’hydrogène, une option de long terme au sein d’un ensemble de solutions
On voit donc possiblement se dessiner une introduction de l’hydrogène dans l’aviation en deux étapes. La première, envisageable avant la fin de la décennie mais cantonnée à des applications de petite taille compatibles avec un stockage gazeux, pourrait bénéficier de synergies avec le secteur des transports terrestres et serait précurseur à une seconde étape d’introduction de l’hydrogène liquide qui nécessitera un effort de préparation technologique, logistique et réglementaire beaucoup plus important. Il est capital de s’y préparer en adressant dès à présent tous les verrous évoqués, mais une introduction massive d’aéronefs à hydrogène dans le transport aérien reste peu probable avant 2050. Une part substantielle de réduction des émissions de CO2 devra encore longtemps être portée par l’introduction volontariste de carburants durables substitutifs au kérosène, en particulier sur les segments de marché les plus élevés (moyen et long-courrier).
Et les applications de défense ?
Les premiers pas dans l’aviation à hydrogène furent militaires, avec le projet d’avion de reconnaissance 1 : “H2-powered aviation – Design and economics of green LH2 supply for airports”, Energy Conversion and Management: X 20 (2023) 100442
supersonique Lockheed CL-400 Suntan, abandonné en 1958 face à ses limitations en distance franchissable et aux difficultés de mise en œuvre opérationnelle, malgré des essais au sol prometteurs. Aujourd’hui, si l’on peut difficilement envisager un avion de combat à hydrogène liquide, les applications duales (transport, hélicoptères) et celles où le stockage gazeux reste possible, comme des drones de petite taille, seraient possibles sous réserve d’envisager une logistique « durcie » propre aux opérations militaires. Pour l’ensemble des autres applications, l’usage de l’hydrogène ne s’entend actuellement qu’en combinaison avec du CO2 sous forme de « e-fuel » de synthèse dont le développement est fortement soutenu au niveau européen, et qui permet une compatibilité avec les carburant actuels et avec la politique de carburant unique de l’OTAN. En revanche, le champ des véhicules hypersoniques à missions courtes, pilotés ou non, se prête idéalement à l’utilisation de l’hydrogène, par l’ouverture des performances propulsives et de l’optimisation thermique véhicule qu’il offre. Ces nouveaux vecteurs ont l’intérêt d’être potentiellement produits sur le territoire national, répondant aux nécessités d’indépendance énergétique réaffirmés dans la Stratégie énergétique de défense de 2020.
Diplômé de l’École Centrale de Paris et docteur en énergétique, il débute sa carrière chez Snecma en 1992 avant de rejoindre la SEP (aujourd’hui ArianeGroup). Il retourne chez Safran en 2013 à la création du centre de recherches Safran Tech comme directeur du Pôle Énergie & Propulsion, en charge des concepts aéronefs et systèmes énergétiques pour la décarbonation du transport aérien, puis comme directeur des programmes Hydrogène du Groupe.
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