LA PRODUCTION EN FRANCE D’HYDROGÉNE DÉCARBONÉ, C’EST BIENTÔT UNE RÉALITÉ
INTERVIEW DE FLORENCE LAMBERT, CEO DE GENVIA
Florence Lambert a effectué un parcours de 22 ans au CEA, notamment à la tête du CEA-LITEN, deuxième centre de recherche européen entièrement dédié à la transition énergétique. Elle dirige l’entreprise Genvia depuis sa création, en mars 2021. Elle est membre de l’Académie des Technologies et Ambassadrice France 2030. L’objectif de Genvia est d’industrialiser rapidement la fabrication d’électrolyseurs haute température (HT) pour produire en masse de l’hydrogène décarboné, une première en France : un défi technologique, industriel et humain, qui s’inscrit dans le cadre des objectifs gouvernementaux de décarbonation et de réindustrialisation des territoires.
La CAIA : Vous présentez Genvia comme un modèle unique de partenariat public-privé. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Florence Lambert : La société Genvia est en effet née au travers d’un modèle unique de partenariat, qui associe les savoir-faire et expertises de ses deux actionnaires majoritaires, le CEA via CEA investissement et SLB (ex-Schlumberger), à ceux de VINCI Construction, Vicat et de l’Agence Régionale des Investissements Stratégiques Occitanie. En complément des équipes de recherche du CEA, SLB apporte une expertise d’ingénierie système et de production incontournable qui nous permet de raccourcir la durée d’industrialisation de notre technologie d’électrolyseur HT. Vinci Construction et Vicat, sont, quant à eux, en recherche de nouvelles solutions de décarbonation, tandis que la Région Occitanie veut être la première région à énergie positive d’Europe. Genvia a pour objectif d’accélérer le développement de la technologie d’électrolyseur HT à oxyde solide du CEA, basée sur 40 brevets initiaux déposés par cet organisme et autant en préparation. L’hydrogène décarboné produit à partir d’électricité bas carbone issue du réseau électrique, de champs solaires ou éoliens, sera utilisable par les industriels de secteurs-clés (acier, ciment et chimie) mais pourra aussi permettre la production de futurs carburants de synthèse.
La CAIA : En quoi consiste la technologie Genvia d’électrolyseurs HT ? Quels sont ses avantages différenciants par rapport à des technologies concurrentes ?
FL : La technologie Genvia d’électrolyseur à haute performance fonctionne avec de l’eau vaporisée et répond à un enjeu d’efficacité globale. Cette technologie permet en effet un rendement supplémentaire de 15% par rapport aux autres technologies d’électrolyse (alcaline, PEM – Proton Exchange Membrane) qui peut être porté à 30 % par couplage avec des sources de chaleur fatales émises par les process industriels. Elle constitue une solution incontournable pour la décarbonation de l’industrie qui utilise de l’hydrogène produit aujourd’hui par vaporéformage de méthane, procédé qui émet 10 kg de CO2 par kg d’hydrogène produit.
Electrolyseur à oxyde solide haute température - Crédit photo Genvia
Au-delà de la seule production d’hydrogène, Genvia vise d’autres applications où l’hydrogène peut être utilisé en substitution du méthane dans les fours industriels, sachant que l’oxygène produit simultanément permet de générer une oxycombustion, ce qui a un effet accélérateur. Il peut également être combiné avec du CO2 ultime, qui est alors valorisé en carburant de synthèse, pour répondre notamment aux besoins de l’aviation.
La CAIA : Quel est votre calendrier directeur de montée en maturité technologique ?
FL : Nous respectons notre feuille de route, avec une ligne pilote de fabrication d’électrolyseurs haute température inaugurée au printemps dernier à Béziers, première étape vers la construction de notre factory qui deviendra gigafactory, au rythme du marché. En parallèle, les équipes design et ingénierie ont développé le premier démonstrateur qui sera installé et testé d’ici la fin de l’année sur les sites Genvia de Béziers puis de Grenoble, avant qu’un démonstrateur en conditions réelles soit installé sur le site lozérien d’ArcelorMittal en 2025 ! A partir de 2026, nous projetons une phase de croissance industrielle forte dont l’évolution sera en cohérence avec la maturité du marché cadencé luimême par la capacité de nos futurs clients à se décarboner. Nous n’identifions plus de verrou technologique et nous développons un jumeau numérique de notre outil de production, ce qui nous permet d’optimiser simultanément le produit et le process, et ainsi de maîtriser notre calendrier. Nous disposons de 2 ans pour prouver que notre produit va atteindre sa cible économique.
La CAIA : L’électrolyse HT peu-telle accompagner le développement des sources d’énergie bas carbone, voire contribuer à la flexibilité des réseaux électriques ?
FL : L’hydrogène constitue un vecteur énergétique déterminant, en termes de stockage et de transport, pour le développement des énergies renouvelables qui sont par nature intermittentes à l’image de l’éolien et du photovoltaïque. L’électrolyse HT, compte tenu de son rendement et de sa capacité à permettre des couplages énergétiques variés, sera une des technologies d’électrolyse majeures répondant aux besoins de flexibilité des réseaux. Le nucléaire peut fournir une source de chaleur et d’électricité stable et continue, permettant aux électrolyseurs HT de fonctionner dans leur zone de meilleur rendement à un prix compétitif.
La CAIA : Comment voyez-vous le déploiement de l’hydrogène décarboné sur le territoire national ?
FL : La France s’est dotée dès 2018 d’une stratégie hydrogène avec 9 Md€ mobilisés pour un objectif de 6,5 GW de production sur le sol national d’ici 2030. Les projections dépassent aujourd’hui le million de tonnes d’hydrogène par an en 2030 et plus de 50 000 créations d’emplois sont attendues(1) sur l’ensemble de la chaîne de valeur (technologies, production, stockage, transport). Nos industries essentielles se transformeront, se regrouperont, pour combiner la production d’hydrogène avec probablement des réacteurs nucléaires de type SMR à proximité. Ces hubs seront de véritables traits d’union entre industrie, énergie et mobilité dans le paysage énergétique français et européen.
La CAIA : Quels défis industriels et humains vous attendez-vous à relever ?
FL : La montée en puissance de la filière hydrogène sera globale ou ne sera pas. Les premiers projets de gigafactory seront conditionnés par l’émergence et la mise à l’échelle de tout un écosystème d’acteurs sur l’ensemble de la chaîne de valeur. C’est tout l’enjeu de la stratégie nationale hydrogène et du programme France 2030, qui structurent actuellement et coordonnent les acteurs dans une logique de « Concurrent Engineering » pour dérisquer et accélérer le déploiement des solutions. Il en va de même au sein de Genvia où nous développons en simultané les différents éléments de notre système électrolyseur. Enfin l’enjeu est aussi humain. Nous recrutons tous les mois de nouveaux talents avec le défi de redonner de l’attractivité aux métiers de l’ingénierie mécanique et de la production qui attirent de moins en moins les nouvelles générations mais qui sont pourtant indispensables au déploiement des nouvelles énergies.
La CAIA : Votre parcours professionnel est impressionnant et inspirant pour de nombreux jeunes. Quelles sont les valeurs qui animent vos actions ?
FL : Ma passion pour l’énergie et la technologie vient de la visite d’une centrale hydroélectrique en Tarentaise alors que j’étais en collège à Grenoble et qui m’a absolument fascinée. En 1996, mon doctorat a porté sur un sujet de thèse financé par l’ADEME, le premier en France et au CEA, sur le stockage des énergies renouvelables. Depuis cette époque, j’ai continué à creuser le sillon des énergies renouvelables avec le regard tourné vers l’impact de l’énergie sur les populations. Toute ma carrière a été influencée par le sens de mes actions, par les valeurs auxquelles je suis toujours restée attachée et par mes racines. Le trait d’union de toutes mes expériences est d’abord l’humilité puis surtout la fierté de faire s’élever les équipes qui m’entourent. Mon management est profondément ancré autour de la transparence, de la proximité et de la sincérité, avec l’objectif de donner envie à mes collaborateurs et de les embarquer sur des projets novateurs. En soi, il n’est pas révolutionnaire, mais jusqu’ici il a fait ses preuves, et c’est ma meilleure recette !
1 : https://www.economie.gouv.fr/industrie-nouvelle-strategie-hydrogene-pour-la-france
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