PRODUIRE UN KÉROSÈNE DURABLE ?
RAPPORT DE L’ACADÉMIE DES TECHNOLOGIES PAR DANIEL IRACANE
La possibilité de voyager en avion dans l’économie décarbonée de demain suscite des controverses parfois enflammées. Elles ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel, à savoir que la réponse à cette question doit être préparée sans plus tarder sous peine de voir émerger un scénario en forme d’impéritie collective.
Un rapport téléchargeable ici.
Une étude réalisée par notre camarade Daniel Iracane au sein de l’Académie des Technologies, présente un tableau précis du carburant durable, maillon clé de cette transition. En effet, pour le long et moyen-courrier, le tout-électrique n’est pas à l’ordre du jour et l’hydrogène restera minoritaire au moins jusqu’en 2050. Il faut donc envisager d’autres pistes, dans l’intervalle, permettant d’utiliser les infrastructures et les avions existants, comme le recyclage, le raffinage de biomasse ou la synthèse de kérosène à partir d’hydrogène obtenu par électrolyse. Ceci est préconisé dans le futur paquet législatif de transition pour le transport.
Les besoins en carburants verts sont estimés à 6 Mt pour la France (30 Mt pour l’Europe) à horizon 2050, ce qui donne la mesure du défi.
La biomasse séduit mais n’est pas la panacée. Des limitations existent, liées notamment à un encadrement européen soucieux de pertinence environnementale et du respect des besoins agricoles. Des incertitudes pèsent sur les coûts de collecte, la résilience des forêts et leur capacité de captage de CO2. Il faut donc estimer avec prudence la quantité disponible. Elle devra faire l’objet d’un engagement collectif pour sécuriser les investissements nécessaires à l’industrialisation de procédés de production performants. La biomasse seule ne suffisant pas, un supplément de production électrique sera requis pour produire des e-fuels et augmenter peu à peu la part d’hydrogène dans l’aviation.
Le succès d’une filière de kérosène durable suppose donc de sécuriser la quantité de biomasse disponible, l’augmentation (conséquente) d’électricité disponible et l’industrialisation des procédés d’obtention, qui doit être engagée sans délai car elle est sur le chemin critique des objectifs 2050.
La production d’1 Mt de kérosène de synthèse nécessitera environ 37 TWh d’électricité pour actionner les électrolyseurs et capturer le CO2, sous réserve d’émergence d’un procédé suffisamment performant ; soit un peu plus que 4 gros réacteurs nucléaires. Le rapport examine la surproduction épisodique des ENR au regard de la flexibilité des électrolyseurs, et les conséquences sur l’arbitrage des flux électriques. Pour établir un schéma industriel crédible, il faut décortiquer au préalable les multiples procédés d’obtention du « SAF » (Sustainable Aviation Fuel », acronyme bien commode regroupant de multiples approches), préciser les maturités et perspectives d’évolution, les éléments de viabilité économique, et sonder les incertitudes. Tout cela est analysé pas à pas, à bonne profondeur.
Précis et rigoureux, le raisonnement est assemblé comme une horloge ou une démonstration de physique (Daniel a œuvré principalement dans ce domaine au CEA). En fin de compte, la viabilité économique, conjuguée aux contraintes environnementales, suppose une électricité à peine plus décarbonée qu’en France aujourd’hui, ce qui nous épargnera un dilemme auquel peu de nos voisins échapperont : achever au préalable la transition vers une électricité décarbonée, ou importer massivement des carburants verts ou de la biomasse, au bilan environnemental mitigé. Le coût d’abattement direct du carbone ressort à 300 €/t (meilleur que celui des voitures électriques).
Limpide et imparable, la conclusion pose un message optimiste mais solennel : « Est-ce possible ? Oui, si on le prépare sans plus tarder, méthodiquement et avec lucidité. » En plus d’un parcours exigeant, ce rapport constitue donc un exercice nécessaire de pédagogie. En effet, la question concerne toute notre économie, dans un monde où les besoins en électricité seront appelés à doubler.
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