LA FORMATION D’INGÉNIEURS POUR LE SECTEUR DES ÉNERGIES
UN TRIPLE ENJEU TECHNICO-ÉCONOMIQUE, ENVIRONNEMENTAL ET DE SOUVERAINETÉ
La transition énergétique est un défi majeur de ce siècle, qui ne relève pas uniquement d’une optimisation technico-économique sous contrainte environnementale, celle de la préservation du climat. Comme le montrent les récents événements, il s’agit bel et bien d’un enjeu de souveraineté, à l’heure du retour de tensions géopolitiques qu’on a cru, un temps, pouvoir oublier. Dans ce contexte, comment l’ENSTA Paris conçoit-elle ses formations de futurs ingénieurs pour le secteur de l’énergie ?
Dans sa leçon inaugurale de la Chaire annuelle Avenir Commun Durable du Collège de France, Christian Gollier(1) recommandait en 2021, pour respecter l’objectif d’un réchauffement global limité à 2 °C, de fixer immédiatement à 150 €/tCO2 le prix du carbone payé par tous les émetteurs, avec un taux de croissance de 4 %/an pour atteindre 500 €/tCO2 en 2050. A titre de comparaison, le CO2 s’échange actuellement un peu moins de 100 €/tCO2 sur le marché européen des permis d’émission négociables (EU ETS), tandis que la plupart des systèmes comparables mis en place dans les autres grandes zones économiques valorisent le CO2 à des prix nettement plus bas encore. Face à l’ampleur de la tâche et à la menace que représente le dérèglement climatique en cours, rester passifs ou remettre à plus tard les décisions difficiles n’est pourtant plus acceptable.
Cependant, les raisons de ne pas agir restent nombreuses : externalité des atteintes climatiques (pourquoi devrais-je consentir des efforts qui profiteront à d’autres ?) ; tragédie des horizons temporels (fin du Monde/fin du mois) ; délocalisation des activités fortement émettrices (déplacement du problème vers des pays moins exigeants). Un événement de taille est venu récemment changer bien des perspectives : le retour de la guerre sur le continent européen et, avec lui, le bouleversement des certitudes bien établies concernant nos approvisionnements en matières premières (gaz naturel et pétrole russe) et notre accès à certaines technologies indispensables à notre développement durable (batteries et métaux rares venus de Chine, semi-conducteurs). Les réponses apportées en catastrophe à ce choc par l’Europe ont eu des effets contradictoires : d’un côté, le regain d’intérêt pour les énergies renouvelables et la filière nucléaire française va dans le sens d’une décarbonation du mix énergétique ; de l’autre, la réouverture de centrales thermiques au charbon et le recours accru au lignite serait une catastrophe si cela devait se prolonger.
La bonne nouvelle dans ce tableau assez sombre viendra de la jeunesse : l’importance et l’urgence de la transition ne font plus vraiment débat chez les étudiants, qui sont pour la plupart prêts à s’engager pour la planète, le climat et la biodiversité, y compris de manière radicale pour certains d’entre eux. Les formations dispensées dans le domaine des énergies à l’ENSTA Paris visent donc autant à répondre aux attentes des ingénieurs citoyens de demain qu’aux défis que pose la transition à notre société, sans rien renier du positionnement traditionnel de l’Ecole sur les enjeux de souveraineté. Que ce soit dans le domaine de l’énergie nucléaire, des énergies marines renouvelables ou dans un parcours plus généraliste baptisé “énergies en transition”, il s’agit plus que jamais de porter les compétences fondées sur les disciplines scientifiques au plus haut niveau d’excellence qui a fait la réputation de l’Ecole. Ce socle de compétences interdisciplinaires, basées sur la mécanique, la physicochimie et les mathématiques appliquées, permettra aux futurs diplômés de maîtriser les défis techniques complexes qu’ils auront à affronter et de s’adapter aux bouleversements qui ne manqueront pas d’intervenir. Mais il s’agit également de leur donner les outils de la maîtrise des enjeux économiques et sociétaux évoqués plus haut. Et, plus largement, d’offrir à chacun la possibilité de donner un sens à son action, en accord avec ses principes et ses aspirations les plus nobles.
(1) Directeur général de la Toulouse School of Economics; « Entre fin du mois et fin du Monde : économie de nos responsabilités envers l’humanité », 9 décembre 2021
Ingénieur Chimiste, Docteur en Génie des Procédés, Habilitation à Diriger des Recherches. 1989 Ingénieur de Recherche, Laboratoire de Mécanique et Energétique, ENSTA. 2000 Enseignant-chercheur, UER de Chimie et Procédés, ENSTA ParisTech. 2017 Directeur Adjoint de l’UER de Chimie et Procédés, ENSTA Paris. Responsable du Parcours de spécialisation « Energies en transition », responsable de la Mention Energy du Master IP Paris
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.