LES BATTERIES DANS LE NAVAL
Les batteries jouent depuis longtemps un rôle important pour le stockage de l’énergie dans le domaine naval. Auparavant, principalement destinées à apporter de l’autonomie en plongée aux sous-marins diesel-électrique, elles ont désormais un champ d’utilisation potentielle qui s’élargit avec la nécessaire décarbonation à laquelle sont confrontés l’ensemble des acteurs maritimes tant civils que militaires. De plus, la montée en puissance des drones, qu’ils soient de surface ou sous-marins encourage le recours à des propulsions par batteries.
Cette utilisation dans le naval n’est néanmoins pas sans risque et nombreux sont les cas d’accidents créés par des batteries à bord de bateaux qui l’utilisent comme moyen de propulsion ou en transportent dans leur cargaison.
Ainsi, la disparition le 17 novembre 2017 du sous-marin diesel-électrique argentin San Juan qui a implosé dans l’Atlantique sud à 430 km des côtes sud-américaines avec 44 personnes à bord a probablement été causé par un problème de batterie.
Lors de mon premier poste à Lorient en sortie d'école, je me souviens d’embarquements à bord de sous-marins type Daphné dans le golfe de Gascogne au départ de la base de Keroman où existait encore l’escadrille des sous-marins de l’Atlantique. A la mer, ma place d’invité au carré lors des repas était sur une trappe qui devait être soulevée toutes les heures pour permettre à un matelot de mesurer le taux de dégagement d’hydrogène dans le local batteries juste sous le carré, information essentielle pour la sécurité en plongée.
Aux batteries au plomb ont désormais dans de nombreux cas succédé les batteries lithium-ion, qui présentent l’avantage d’une densité énergétique nettement supérieure. De plus, la directive REACH pousse à supprimer l’usage du plomb pour protéger la santé humaine. Ainsi les Japonais ont installé des batteries lithium-ion à la mise en service des derniers sous-marins de la classe Soryu et ont construit un sous-marin autonome avec une batterie de Panasonic.
Les constructeurs automobiles se concentrent sur des batteries lithium-ion avec des prix de batteries désormais très compétitifs, de l’ordre de 100€ du Kilowatt/heure, alors que dans le naval le prix est plus proche de 450€ du Kilowatt/heure. Ces batteries – par ailleurs très utiles et performantes – présentent un vrai risque d’incendie et d’explosion accompagnés d’émissions de gaz toxiques et particulièrement difficiles à éteindre. Le transport maritime des voitures électriques devient un problème. L’incendie du roulier Felicity Ace, entre l’Europe et les États-Unis, en mars 2022, a d’autant plus marqué les esprits que le bateau a coulé avec sa cargaison de quelque quatre mille voitures de luxe. La source du feu n’est pas confirmée officiellement. En revanche, il est communément admis que la présence à bord d’un certain nombre de véhicules électriques et de leurs batteries a entretenu le feu et empêché de le contenir. Plus récemment, le 26 juillet 2023, le cargo Fremantle Highway transportant 3000 véhicules a pris feu au large des Pays-Bas. Un marin y a laissé la vie. Là encore le coupable serait un véhicule électrique dont la batterie aurait pris feu. Les assureurs sont en alerte.
On peut aussi citer le cas du cargo BBC Virginia transportant en pontée trois yachts à propulsion électro-solaire. Au cours d’une tempête au large de Taïwan, l’un d’eux a été percuté à cause d’un mauvais arrimage, sa batterie a été atteinte, une fuite d’électrolyte a créé un violent court-circuit et un incendie qui a totalement détruit les trois yachts.
La filiale maritime d’Allianz a consacré un rapport entier, se félicitant que les pertes de navires aient diminué de moitié en dix ans. Elle s’alarme, à l’inverse, de voir le nombre d’incendies (toutes causes confondues) considérablement augmenter. En tête des causes possibles des feux très difficiles à maîtriser, elle pointe les batteries lithium-ion, qui peuvent déclencher l’incendie par emballement thermique, surchauffe, explosion, ou court-circuit.
L’opérateur de ferry suédois Havila, a pris la décision en janvier 2023 de refuser les batteries, y compris les batteries de vélos.
Les marins pompiers de Marseille et les sauveteurs en mer ont développé des moyens spécifiques pour intervenir sur des feux de batteries sur les navires.
Dans l’aéronautique, le BNAE travaille sur une norme de transportabilité des batteries en avion , avec l’objectif d’éteindre un feu en moins de 20 minutes.
Les batteries au plomb sont actuellement encore la solution de référence pour les sous-marins conventionnels et nucléaires. Cependant, les optimisations possibles de la technologie au plomb semblent atteindre une asymptote.
Nombre des concepteurs se tournent pour des applications sur sous-marins conventionnels vers la technologie LIB (Lithium-Ion Batteries) beaucoup plus prometteuse en termes de densité énergétique. Les avantages sont de plusieurs ordres : une maintenance simplifiée par rapport aux batteries au plomb, la suppression du risque de dégagement d’hydrogène, pour autant que l’on maîtrise bien le risque d’emballement thermique ou « venting », la possibilité d’utiliser la batterie dans des conditions opérationnelles réalistes sur une plage de capacité bien plus large (5-95% pour le lithium-ion contre 20-80% pour le plomb) et enfin un potentiel d’évolution des performances et de gain sur les prix tiré par d’autres secteurs industriels, en particulier l’automobile.
Les installations de stockage d’énergie par batteries sont aujourd’hui prises en compte par le Bureau Veritas et par son équivalent norvégien, le DNV, qui ont tous deux édité des règlements spécifiques.
Le «Felicity Ace» à la dérive après qu’un incendie s’est déclaré à son bord le 16 février 2022 au large des côtes portugaises. © Marine portugaise
En dehors du Lithium-ion, pour lequel Naval Group a une solution qui concilie la densité énergétique et la sécurité par un choix judicieux sur la chimie et la mise en système, d’autres technologies de substitution du plomb, sont en cours de développement.
Ainsi, le couple Nickel-Zinc peut être intéressant en termes d’alternative au plomb car des développements récents sur cette technologie ancienne ont permis de contourner les problèmes liés aux zincates et à la formation de dendrites au niveau des électrodes améliorant significativement la durée de vie de ces équipements. Il est désormais envisageable de les utiliser pour des applications marine. D’une résistance interne faible, les accumulateurs NiZn n’utilisent ni mercure, plomb, cadmium ou autres alliages de métaux, ce qui améliore leur recyclabilité. Ils n’utilisent pas non plus d’électrolytes inflammables ou organiques et les derniers modèles sont pourvus de séparateurs polymères pour éviter la formation de dendrite. Enfin, le Nickel et le Zinc sont des métaux abondants, argument non négligeable dans la guerre des matières premières rares que nous vivons au niveau mondial.
Il y a désormais une montée en puissance de l’utilisation des batteries dans le monde maritime, principalement pour des usages courts, mais pas uniquement, car la recharge à la mer des batteries peut se faire par du solaire ou de l’éolien, dans un cycle vertueux totalement décarboné. Les exemples de bateaux tout électriques commencent à se développer pour les professionnels de la pêche côtière, les embarcations portuaires, les traversiers. La plaisance n’est pas en reste.
On peut rêver à un paquebot ou un cargo à propulsion vélique qui utiliserait un pack de batteries chargé par de l’éolien ou du solaire pour ses manœuvres de port ou pour la traversée de zones à faible émission.
Un signe ne trompe pas : plusieurs fabricants de batteries tels que Accuwatt , GCK qui électrifie les navires de croisières du lac d’Annecy, ont rejoint récemment au GICAN des adhérents plus anciens tels que Saft et Heliodive associé à son partenaire SCM, qui développe des batteries sécurisées utilisables dans les trois environnements, terrestre, aérien et maritime.
Un chantier chinois a lancé récemment un navire de 120 mètres de long, porte-conteneur de 700 EVP à propulsion totalement électrique par batteries.
Long de 120 mètres, large de 24 mètres, ce navire de 10 000t du chinois Cosco Shipping Heavy Industry dispose d'une capacité de charge de 700 conteneurs EVP . Sa propulsion est assurée par deux moteurs principaux de 900 kW, alimentés par 36 "batteries-conteneurs". Un sister-ship est en construction.
Ne nous laissons pas distancer par nos concurrents asiatiques !
Louis Le Pivain,
IGA, Vice-président du GICAN
Auteur
Membre de l’Academie de marine
Président de Kermenez SAS
Conseiller du commerce extérieur de la France
De 1978 à 1989 a travaillé pour DCN à Lorient, en Arabie et au Canada. 1997/99 Directeur au SGDSN chargé de la coordination interministérielle de l’intelligence économique et du soutien à l’export Président de Raidco Marine de 2006 à 2018 Voir les 13 Voir les autres publications de l’auteur(trice)
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