LES SAF
1% EN 2022, OBJECTIF 70% EN 2050 ?
Le 16 juin dernier, Emmanuel Macron a annoncé un plan d’investissement de 200 millions d’euros pour développer un SAF (Sustainable Aviation Fuel, ou carburéacteur durable), avec notamment la construction d’une usine à Lacq (Pyrénées atlantiques). Ce type de carburant aéronautique présente des caractéristiques particulièrement intéressantes pour les Armées en améliorant, par exemple, la furtivité des avions (1). Il s’agit donc là d’une opportunité dont le Service de l’énergie opérationnelle (SEO) s’est d’ores et déjà saisi.
Une certification chère et complexe
Le premier défi relève de l’industrie. Outre l’énergie qu’il apporte, le carburéacteur a la particularité d’être utilisé comme fluide hydraulique et liquide de refroidissement pour les turbines. Ses performances et sa composition sont strictement régies par deux normes internationales publiées par l’ASTM International (ex American Society of Testing and Materials). Une certification par cette dernière instance est incontournable pour un industriel souhaitant qualifier un carburant synthétique sous l’appellation de Synthetic Blend Component (SBC, ou composé synthétique pur) incorporable sans risque (drop-in) dans un SAF. Afin de garantir un produit sûr et performant, le processus de certification suit deux phases : la première vérifie le respect des standards par une analyse physico-chimique et une vérification de l’aptitude à l’emploi à bord des avions. Son coût est d’environ 400 k$ US. Lors de la seconde, des essais supplémentaires sont réalisés sur certains composants (pompes, injecteurs…) puis, le carburant est testé in situ via des essais moteurs au banc. Le coût de cette phase est d’environ 5 M$ US et peut durer 3 ans. Un rapport suivi d’un vote final des membres de l’ASTM acte la certification du produit. Un industriel souhaitant certifier son carburant doit donc être capable de financer ces différentes étapes tout en étant en mesure de produire plusieurs centaines de mètres cubes de carburant, ce qui représente une véritable prise de risque. Certains producteurs ont ainsi interrompu le processus en cours de route pour des raisons de rentabilité. En France, Total Energies produit d’ores et déjà des SAF dans ses raffineries de La Mède ou Grand-Puit et un SBC proposé par la société française Global Bioénergie a été certifié en juin 2023. Pour appuyer ces industriels français, le SEO est à l’initiative de la création d’un Comité français de coordination sur le carburéacteur (CFCC) qui regroupe des acteurs du secteur, dont la Direction générale de l’armement (DGA), afin d’adopter une position nationale sur la standardisation du carburéacteur.
Une fabrication difficile et des avions à modifier
Le deuxième enjeu est d’ordre technologique. Jusqu’à présent, seules 7 filières sont certifiées par l’ASTM. Chacune est définie par une ou des matières premières, un procédé de fabrication et des caractéristiques physico-chimiques. Celles-ci sont incorporables à hauteur de 10 à 50% dans le carburant final selon la filière. L’objectif ultime est une incorporation de SBC jusqu’à 100 % dans le carburéacteur utilisé par les Armées (F-34 pour l’Armée de l’air et de l’espace, F-44 pour la Marine). Le principal frein pour atteindre cet objectif, c’est-à-dire l’utilisation indifférenciée d’un carburant d’origine synthétique ou issu de la distillation du brut, vient de la chimie des carburants. Un carburéacteur est un assemblage complexe d’hydrocarbures (environ 250 molécules différentes contenant entre 8 et 16 atomes de carbone). Il est composé d’alcanes linéaires, ramifiés ou cycliques et d’aromatiques. Chacune de ces familles est essentielle pour assurer un fonctionnement optimal des turboréacteurs (puissance, qualité de combustion, intégrité des systèmes…). Or, les SBC issus des filières les plus anciennes (2009) sont essentiellement composés d’alcanes linéaires et ramifiés. Ils ne sont donc pas utilisables purs dans les avions actuels. Pour arriver jusqu’à 100 % d’incorporation, des groupes de travail ont été créés à l’ASTM International, ainsi qu’à l’OTAN et au sein des Armées. Deux stratégies coexistent. La première consiste à fabriquer artificiellement des alcanes aromatiques et développer des carburants synthétiques chimiquement similaires au carburéacteur, c’est-à-dire drop-in. La deuxième stratégie, plus radicale, consiste à créer un carburant totalement nouveau, dédié à des avions spécifiquement conçus pour. Cela imposerait toutefois un coût total d’investissement pour les motoristes et avionneurs de l’ordre de 15 Md$ US. En parallèle, il s’agit de s’assurer dès la conception, que les futurs avions soient capables de fonctionner avec les deux carburants 100 % SAF. En attendant le 100 % d’incorporation, certaines filières produisent également des sous-produits utilisables dans les domaines terrestres et marins, comme par exemple les HVO (Hydrotreated Vegetable Oil) utilisables dans le gazole. Le SEO, via son Centre d’expertise technique (CETSEO), et en liaison avec la DGA, est particulièrement actif sur la veille et la certification de ces nouveaux carburants pour les Armées. La France est ainsi la première nation de l’OTAN à avoir autorisé tous les carburants certifiés par l’ASTM pour tous les appareils de l’État.
HIL Guépard de la Marine nationale avitaillé en SAF à l’occasion du salon du Bourget 2023
Une filière tendue
Le dernier enjeu est d’ordre logistique. En amont de la production, les industriels doivent faire face à une compétition pour accéder aux matières premières sans affecter le secteur de l’agroalimentaire.
En aval, le produit certifié peut devenir lui-même plus rentable dans un autre secteur, voire arriver en rupture de stock très rapidement. Par exemple, la filière Synthetised Iso Paraffine (SIP), composée d’une unique molécule, a trouvé un marché plus rentable dans l’industrie cosmétique et ne devrait donc pas se développer par la suite. Outre ce cas presque anecdotique, il reste difficile de s’approvisionner en SAF car la plupart sont déjà vendus avant même d’être produits. Enfin, d’un point de vue opérationnel, l’arrivée des SAF bouleverse la politique du carburant unique de l’OTAN qui consiste à additiver du carburéacteur pour l’utiliser dans des moteurs diesel. Les SAF, en raison de leurs compositions chimiques différentes, n’ont pas tous le même indice de cétane, facteur clé de la combustion dans un moteur à allumage par compression. La question est donc de savoir s’ils sont tous utilisables dans les matériels terrestres. Il s’agit là de l’un des volets de l’étude en cours appelée GENOPTAIRE (Gestion ENergétique OPTimisée des plateformes militAIREs), dont le CETSEO est partie prenante avec la DGA. Une modification des modalités d’additivation du carburéacteur pourrait ainsi être à prévoir selon la filière, voire une limitation ou interdiction de certaines d’entre elles. La logistique s’en trouverait considérablement affectée. Une autre révolution pourrait être la production locale de carburant, grâce à la synthèse du carbone issu du dioxyde de carbone ambiant et de l’hydrogène issu quant à lui de l’hydrolyse de l’eau, alimentée par de l’électricité issue des panneaux solaires. Ce solar fuel appartient à la catégorie des e-fuels, terme regroupant les carburants produits à partir d’électricité décarbonée (hydrogène, méthanol, ammoniac). Ces derniers obéissant aux mêmes règles de certification évoquées plus haut, ce point ne sera pas davantage détaillé.
Une fois ces verrous industriels, technologiques et logistiques levés, les projections actuelles les plus optimistes sur les capacités de production indiquent toutefois que les SAF ne permettront de répondre qu’à 40 % de la demande à l’horizon 2050. Des améliorations technologiques, une meilleure gestion du trafic et des infrastructures ainsi que des mesures de sobriété devront s’ajouter pour réduire les émissions de CO2 du secteur de l’aviation. Pour les Armées, le carburant ne doit plus être considéré comme un produit abondant. Il doit être économisé, voire remplacé à chaque opportunité.
(1) : La combustion d’un carburant synthétique permet, à iso paramètres, de produire des fumées moins chaudes et de réduire les suies produites.
Saint-Cyrien (06-09), diplômé de l’IFP School (2021), après une première partie de carrière dans l’armée de terre, il a rejoint le service de l’énergie opérationnelle en 2021. Il occupe un poste d’expertise dans le domaine des produits pétroliers.
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