LA FUSION INERTIELLE, MIRAGE LOINTAIN OU MANNE PROVIDENTIELLE POUR NOTRE FUTUR ÉNERGÉTIQUE ?
La fission nucléaire reçoit des critiques comme productrice de déchets et pour la sûreté nucléaire. La fusion est parfois présentée plutôt comme « une énergie abondante sans pollution », titre d’un ouvrage que lui a consacré en 2008 l’ingénieur Jean Robieux (X46), qui nous a quittés en 2012. S’il convient de nuancer ce slogan pour ne pas verser dans le techno-solutionnisme, la recherche dans ce domaine accélère fortement.
Pour illustration, le 5 septembre dernier la ministre allemande de la recherche se serait exclamée, en signant une rallonge budgétaire à un programme de plus d’1 M€ : « la fusion est une chance énorme de résoudre tous nos problèmes énergétiques ». Un tel enthousiasme, qui tranche avec le tabou ancré sur l’énergie nucléaire, pourrait faire suite au passage du « breakeven » fin 2022 par le National Ignition Facility (NIF) de Livermore : l’énergie de fusion a dépassé celle injectée par des lasers sur une cible composée de deutérium et de tritium. L’Allemagne ne souhaite pas rater le train des brevets industriels, qui accélère, ou tomber dans une dépendance industrielle ; et au contraire mettre en avant certaines pépites, comme en optique (Schott, Laseroptic, etc.). Il s’agit aussi de former suffisamment de spécialistes et de se mettre en capacité de construire des coopérations internationales fructueuses. Un mémorandum solide précise cette ambition, illustrée aussi dans un dossier plus « promotionnel » qui table sur la multiplication par un facteur 2,5 à 3 de la consommation électrique de l’Allemagne, d’ici 2050.
Comme Jean Robieux l’explique dans son livre, la cible type, un mélange de deutérium et de tritium sous la forme d’une pastille sphérique d’1 mm de rayon, est compatible avec le parc électrique actuel : sa fusion complète, au rythme de 10 pastilles par seconde, produirait une énergie de rayonnement (principalement neutronique et gamma) donnant, après transfert par fluide caloporteur à un turbo-alternateur, la puissance électrique d’une tranche de production actuelle (1 GW). Ce format paraît aussi équilibré, du point de vue de l’ingénierie de production des pastilles et du dimensionnement d’une centrale électrique à fusion, où la réaction serait provoquée au centre d’une chambre sphérique d’une dizaine de mètres de rayon, parcourue par un fluide caloporteur qui pourrait être de l’eau.
Comme il suffit de ne plus introduire de nouvelles pastilles, ou d’éteindre les lasers pour arrêter de produire du rayonnement, il n’y a pas de risque d’emballement, et encore moins d’un accident de type Tchernobyl ou Three Miles Island. La bonne nouvelle pour la fusion inertielle par laser, est donc que le coût de la sécurité sera modeste par rapport à celui des centrales à fission.
Le concentrateur en or utilisé dans le NIF (crédit : publication scientifique de R. Betti, O.A Hurricane, 2016, https://www.osti.gov/biblio/1255527 )
Mais il faudra atteindre un ratio élevé entre l’énergie des lasers et celle recueillie. On est très loin du rapport minimal de 1 à 100 pour compenser le faible rendement de la chaîne laser (environ 1% à ce jour). . Pour cela il faut parvenir à comprimer la pastille d’une manière précise pour qu’elle atteigne, notamment, une température comparable à celle d’une étoile (100 millions de degrés) et une densité bien plus élevée que celle de la matière à l’état solide. Des lasers d’une puissance phénoménale sont nécessaires, sans parler de leur réglage et leur synchronisation. Ce domaine fait l’objet d’intenses recherches au niveau international, notamment en France et aux ÉtatsUnis, et aussi au Japon (qui dispose de bons industriels comme Nikko, Hoya, AGC…) et dans quelques autres pays européens.
Au centre de la chambre d’expérience du Laser Mégajoule ©MS-BEVIEW / CEA)
Le Lawrence Livermore National Laboratory et le CEA/CESTA, avec des unités gigantesques logées respectivement au sein du NIF et du LMJ (Laser MégaJoule, près de Bordeaux), sont seuls à ce jour à pouvoir créer des impulsions laser suffisamment brèves et puissantes (typiquement 1 MJ en 1 ns) pour atteindre le breakeven.
Un procédé clé est celui dit de compression d’impulsion, inventé en France au début des années 60 et inspiré du carcinotron, autre innovation émanant de la CSF (à présent Thales). Jean Robieux précise dans son ouvrage qu’en 1967, le centre de recherche de la CGE à Marcoussis fabriquait des lasers 30 fois plus puissants que partout ailleurs, par ce procédé. Cela intéressait peu de monde à l’époque, mais le général de Gaulle soutenait ces recherches. Aujourd’hui, les applications se multiplient. En guidant le faisceau d’un laser à impulsion courte par fibre optique, on peut fabriquer un instrument de taille modeste permettant de réaliser de de la chirurgie oculaire d’excellence. Au sein du LMJ et du NIF, les guides optiques ne sont pas des fibres mais des verres fabriqués par les meilleurs opticiens de la planète, le tout pesant des dizaines de tonnes (et encore plus, en euros). Le flux de photons est tellement intense que son passage soumet cette instrumentation de l’extrême à rude épreuve : c’est dire le chemin qu’il reste à parcourir dans ce domaine !
Pour tenir la cadence de 10 cycles / seconde, il faudra assurer la répétabilité des impulsions laser (puissance moyenne : plusieurs dizaines de MW), fabriquer de nombreuses pastilles (plusieurs procédés sont à l’études, avec ou sans congélation du mélange deutérium-tritium), les acheminer et les positionner à ce rythme de manière précise, chacune dans un porte-cible permettant d’optimiser l’effet du rayon laser.
Il faudra gérer les sous-produits de fusion (principalement le tritium). A noter que du lithium, inséré dans la paroi de la chambre, sera peu à peu transformé par les neutrons en hélium et en tritium, que l’on pourra récupérer.
Enfin, la fabrication et la maintenance de la chambre de fusion pose quelques autres défis, compte tenu des flux d’énergie à transférer au fluide caloporteur et des effets du rayonnement de fusion (vieillissement rapide et production de sous-produits radioactifs).
Quant à l’autre méthode pour obtenir la fusion, dite de confinement magnétique, elle consiste à créer un plasma peu dense mais de température comparable, et à le confiner pendant une longue durée, d’où la nécessité de champs magnétiques très puissants. L’architecture la plus répandue est celle du réacteur Tokamak, en forme de tore : celle du projet international ITER, qui doit produire, selon son calendrier de référence actuel, un plasma froid vers 2025, puis un premier plasma chaud vers 2035 en vue de créer ensuite un démonstrateur industriel vers 2050. ITER pose l’avantage, par rapport à la fusion inertielle, de l’existence d’une feuille de route précise et financée. Mais elle pose d’autres questions délicates, comme la maîtrise des instabilités du plasma, pas très bien élucidées et complexes à modéliser. Comme la réaction est lente, il faudra, au stade industriel, une quantité de plasma bien plus importante que pour la fusion inertielle. L’arrêt du réacteur ne sera donc pas immédiat. Or tout contact entre le plasma et la paroi de la chambre de confinement pourrait endommager celle-ci ... On peut donc entrevoir, sans même parler des financements nécessaires, que la maturation suppose que de nombreux physiciens et ingénieurs spécialisés se consacrent à la physique du plasma pendant un certain temps. La startup grenobloise Renaissance Fusion utilise une architecture différente, le stellarator. Aux États-Unis, en Chine, … même en Allemagne, on en trouve des dizaines, principalement en fusion par confinement magnétique, y compris pour la propulsion spatiale avec la startup britannique Pulsar Fusion. Son fondateur compte sur l’IA pour dompter un plasma qu’il décrit comme « aussi instable que la météo », et atteindre une vitesse d’éjection de 300 km/s pendant un essai en orbite en 2027.
Docteur en mathématiques appliquées. Après un début de carrière à des postes techniques au CEA et à la DGA, il rejoint le ministère de l’industrie pour le développement des usages et technologies numériques, puis réintègre la DGA en 2006, aux affaires industrielles puis pour initier des projets transverses d’amélioration de performance. Depuis 2018, il œuvre à des projets innovants faisant une large place à l’exploitation de la donnée.
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