LES LASERS INTENSES, AU CŒUR DE LA PRODUCTION DES NOUVELLES ÉNERGIES DU FUTUR
Les progrès récents dans la maîtrise de la fusion nucléaire sont prometteurs, en particulier grâce à la technologie des lasers intenses. En effet, ces derniers permettent, littéralement, « l’ignition » de la réaction de fusion, source d’une énergie maîtrisée et non polluante.
La production d’une énergie propre, sûre et souveraine est un enjeu majeur de notre temps, dans le contexte de la lutte contre le dérèglement climatique et de l’instabilité géopolitique actuelle sur l’accès aux énergies fossiles. L’énergie produite actuellement par fission nucléaire traite ces problématiques de manière globalement satisfaisante : c’est le cas en France, où la filière électronucléaire lui permet d’être un des pays européens les moins émetteurs de gaz à effet de serre.
Cependant, la décarbonation à grande échelle de notre économie va accroître les besoins en électricité propre à l’horizon 2050. Les nouvelles énergies renouvelables comme l’énergie éolienne et l’énergie solaire répondent en partie à ce besoin mais incomplètement car elles ne sont pas pilotables. Au contraire l’énergie produite par fusion nucléaire répondra à la totalité des besoins, notamment celui d’une très grande agilité dans la connexion ou la déconnexion au réseau électrique pour s’adapter à la demande.
Un peu de physique nucléaire…
La fusion nucléaire résulte d’une réaction de fusion entre des éléments légers qui libère une énergie directement liée à la différence de masse entre les atomes fusionnant et le produit de cette fusion.
La réaction de fusion la plus répandue met en œuvre deux isotopes de l’hydrogène, le Deutérium et le Tritium. Le Deutérium est abondant à l’état naturel et fait partie des constituants de l’eau de mer. Le Tritium n’existe pas à l’état naturel mais peut être produit à partir du Lithium qui est extrait en de nombreux endroits, y compris sur le territoire Français.
Les réactions de fusion restent cependant très difficiles à obtenir car ces deux particules chargées positivement se repoussent sous l’effet de la force électrostatique. Il est donc nécessaire de chauffer le « combustible » à des températures extrêmes, de l’ordre de 100 millions de °C, pour créer les conditions propices aux réactions de fusion…. Un énorme défi technologique !
Confinement magnétique et confinement inertiel
Les développements de la fusion pour la production d’énergie ont démarré il y a plusieurs décennies. Ils ont fait appel exclusivement à des configurations de confinement magnétique, principalement basées sur des tokamaks. Il s’agit notamment du réacteur Français Tore Supra et du réacteur Européen JET, tous deux précurseurs du réacteur en cours de construction dans le cadre du projet International ITER qui prévoit de délivrer ses performances nominales entre 2035 et 2040. Les résultats d’ITER serviront de base à la réalisation du prototype de production d’énergie DEMO, prévu à l’horizon 2055-2060.
Cependant, à côté de ces grands et longs projets portés et financés par des acteurs étatiques, nombre d’initiatives ont vu le jour durant la décennie écoulée avec une forte accélération ces 5 dernières années. Les investissements associés, en grande majorité privés, sont en croissance exponentielle : leur montant cumulé dépasse désormais 7 milliards de dollars.
Il y a à ce jour 35 sociétés privées qui ont un projet de développement de réacteur de fusion. Parmi ces acteurs, on trouve désormais 8 sociétés développant des solutions basées sur la fusion par confinement inertiel.
Ce schéma de fusion bénéficie pleinement des résultats obtenus récemment sur l’installation NIF (National Ignition Facility) aux États-Unis. Le 5 décembre 2022, la première ignition a pu être obtenue, c’est-à-dire la capacité à délivrer une énergie de fusion (3,15 Mégajoules) supérieure à l’énergie totale délivrée par les lasers (2,05 Mégajoules) à la capsule de combustible Deutérium-Tritium (D-T). Un nouveau tir d’ignition a eu lieu en Juillet 2023, délivrant cette fois 3,5 Mégajoules. Ces résultats sont d’autant plus remarquables que le NIF, tout comme l’installation équivalente LMJ (Laser Mégajoule) en France, n’a pas été conçu pour la production d’énergie mais pour des applications de défense dans le cadre de programmes de garantie des performances des armes nucléaires par simulation.
Les lasers intenses, éléments déterminants pour atteindre l’ignition
Dans ces deux cas d’ignition, un schéma « indirect » a été utilisé : les faisceaux des lasers sont dirigés vers un tube cylindrique (le « hohlraum ») dont les parois internes recouvertes d’or vont convertir le rayonnement UV des lasers en rayonnement X lors de leur réflexion sur la paroi. Cette étape de conversion est bénéfique à l’uniformité d’illumination de la cible de D-T, mais diminue significativement le rendement global, lui-même limité par la technologie assez ancienne de ces lasers dont l’efficacité énergétique reste faible (de l’ordre de 1%) et la récurrence de tir limitée à quelques tirs par jour au maximum.
Or les progrès récents permettent une orientation vers des solutions très différentes et crédibles pour la production d’énergie basées sur un schéma « direct » (illumination directe de la cible par les lasers) et l’adoption de la technologie des lasers à état solide pompés par diodes, compatibles à la fois avec une efficacité énergétique supérieure à 10% et avec une récurrence de tir jusqu’à 10 Hz. Certaines solutions, soit conservant le D-T dans un schéma dit d’« allumage rapide », soit changeant de combustible en passant à un mélange Proton-Bore, nécessitent des lasers de durées d’impulsions ultra-brèves (quelques picosecondes à une centaine de femto secondes).
Il faut pour produire ces impulsions ultra-brèves utiliser la technologie CPA (Chirped Pulse Amplification) démontrée pour la première fois en 1985 par Gérard Mourou et Donna Strickland (prix Nobel de Physique en 2018) et mise en œuvre par Thales depuis 1992 dans ses systèmes laser ultra-intenses. Thales est devenu le leader mondial des systèmes CPA de haute énergie et a construit le système laser du projet européen ELI-NP (Extreme Light Infrastructure Nuclear Physics), qui a délivré en 2019 une puissance crête de 10 PetaWatts, record mondial. Il a été focalisé pour la première fois en Mars 2023 sur une cible solide, produisant une intensité de l’ordre de 1023 W/cm2. Cette installation (dont la taille est d’environ 4000 m2) est désormais utilisée par des startups de fusion par laser qui viennent y conduire des expériences préliminaires dans le cadre de leurs feuilles de route de développement.
Un savoir-faire français
La solution CPA développée par Thales utilise des cristaux de Saphir-Titane pompés par des lasers nanosecondes de haute énergie, filière d’excellence au sein de l’activité laser de Thales. L’expertise accumulée depuis 30 ans dans le domaine des lasers intenses et celui des lasers nanosecondes pompés par diodes pour des applications de production industrielle exigeantes (traitement du silicium sur les chaînes de fabrication de semi-conducteurs et d’écrans plats) est un atout majeur en vue de solutions industrielles compétitives pour la maîtrise de la fiabilité et du rendement énergétique de la réaction.
Cette ambition s’inscrit également dans un contexte plus large où les lasers impulsionnels d’ultra haute énergie, notamment ceux basés sur la technologie CPA, sont en plein essor, par exemple pour l’accélération d’électrons et de protons en vue d’une nouvelle génération de systèmes médicaux de traitement des cancers plus efficaces, moins coûteux, autonomes. On peut également citer la modification de trajectoire de débris spatiaux par des lasers basés soit au sol, soit dans l’espace.
La recherche dans ce domaine est très prometteuse. Dans ce cadre, Thales a créé en 2021 avec le CNRS, l’Ecole Polytechnique / Institut Polytechnique de Paris et l’ENSTA le laboratoire de recherche commun HERACLES qui s’appuie notamment sur les compétences scientifiques reconnues de deux laboratoires de recherche du plateau de Saclay, le LOA et le LULI, engagé depuis plusieurs décennies dans des travaux de recherche sur la physique de la fusion par confinement inertiel.
X83, ENSTA, Emmanuel Sprauel a démarré sa carrière à la DGA avant de se tourner vers le secteur privé, chez FirstMark Communications, Impac Acquisition & Finance, Alcatel-Lucent puis Thales, où il a exercé successivement dans les systèmes d’information critiques puis dans l’optronique et l’électronique. Il est désormais vice-président stratégie et marketing pour les systèmes aériens et terrestres et président de Angénieux.
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