MAITRISE D’OUVRAGE DU PROGRAMME NOUVEAU NUCLEAIRE FRANCE
QUELLE ORIGINE, QUELS OBJECTIFS ?
Parmi les causes qui ont pu expliquer les difficultés rencontrées lors de la construction de l’EPR de Flamanville 3, Jean-Martin Folz, dans un rapport de 2019, avait pointé « l’absence de maître d’ouvrage bien identifié ». Afin de sécuriser son programme de nouveaux réacteurs nucléaires (dits EPR2), EDF a donc pris la décision en 2022 de se doter d’une maîtrise d’ouvrage interne. C’est ainsi qu’a vu le jour le programme « Nouveau Nucléaire France » qui a notamment la tâche de contrôler l’avancée industrielle et technique de ce projet majeur et de garantir le respect du triptyque « Qualité, Coûts, Délais » de ce qui est un des plus grands projets industriels du siècle en France.
La longueur des cycles de développement, de construction et d’utilisation de ces réacteurs nucléaires, aussi bien que les enjeux technologiques et de souveraineté industrielle, sont très semblables à ceux que connaît le monde de l’armement. Il est donc intéressant de se pencher sur le processus de création de cette maîtrise d’ouvrage interne à EDF, qui pourrait rappeler à plusieurs égards le rôle et le fonctionnement de la DGA.
Qu’est-ce que le projet EPR2 ?
Le projet EPR2 consiste dans un premier temps dans le développement et la construction de six réacteurs répartis en paires sur trois sites nucléaires déjà existants : Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord), Bugey (Ain). Son extension pour huit réacteurs supplémentaires est actuellement à l’étude, conformément à la demande du Président de la République. Les six premiers réacteurs assureront, chaque année pendant plus de 60 ans, la production d’une électricité décarbonée représentant près de la moitié de la consommation de la région Île-de-France.
Le défi technologique associé est immense : ce projet, qui représente plusieurs dizaines de millions d’heures d’ingénierie, des centaines de milliers de m3 de béton armé, est aussi le premier à prendre en compte, dès la conception, les recommandations qui ont fait suite à l’accident nucléaire de Fukushima. Au plan économique, il s’élève à plusieurs dizaines de milliards d’euros et son calendrier prévoit un « premier béton nucléaire » (l’équivalent de la « découpe de la première tôle » dans le naval) à l’horizon 2027. La mise en service industrielle du premier réacteur, c’est-à-dire le début de la production d’électricité, est prévue à l’horizon 2035.
Une maîtrise d’ouvrage dans tout ça ?
Pour quiconque est familier des programmes d’armement, les caractéristiques de ce projet EPR2 évoquent celles d’un grand programme industriel de défense. Dans le respect des recommandations du rapport Foltz, le projet EPR2 bénéficie ainsi d’une maîtrise d’ouvrage interne portée par la direction de programme Nouveau Nucléaire France. Il s’agit en particulier de sécuriser le bon déroulement de ce projet, d’abord en établissant un cahier des charges prenant en compte les besoins en électricité du pays, les contraintes d’exploitation et de maintenance, mais également les aspects réglementaires qui sont portés par différents organismes publics (ASN, IRSN, ANSSI, HFDS,…). Ces spécifications sont établies avec l’impératif du « juste besoin », notamment d’un point de vue technico-économique. Ensuite, il s’agit de mettre sous contrôle la qualité, les coûts et les délais du projet. Cela passe notamment par une identification précise (et un challenge !) des chemins critiques, et par une vérification de la bonne fourniture des livrables (en coûts et en délais).
« LE MODÈLE DGA EST UN MODÈLE QUI A FAIT SES PREUVES »
Une prérogative importante de cette maîtrise d’ouvrage interne consiste également en la validation du franchissement des jalons techniques majeurs. De même qu’il existe des « revues de changement de stade » au sein de la DGA, pour sanctionner les étapes importantes de la vie d’un programme d’armement, EDF a mis en place, en s’appuyant sur un collège d’experts présidé par Hervé Guillou, une « revue de programme », qui permet d’ausculter le projet sous tous ses angles (technique, financier, calendaire, filière industrielle, achats...) et d’apporter à la gouvernance d’EDF et aux pouvoirs publics l’assurance d’un projet piloté et sous contrôle, en s’appuyant sur toute l’expertise du groupe EDF.
Le financement d’un projet de construction de réacteurs nucléaires ne repose pas sur des crédits budgétaires comme c’est principalement le cas dans une loi de programmation militaire. Il repose plutôt sur des modalités de financement variés qui peuvent impliquer des emprunts, nécessiter des aides d’État, etc. C’est une des missions de la maîtrise d’ouvrage que d’établir le financement du projet, et d’assumer le pilotage du business plan, le contrôle fin des investissements (CAPEX et OPEX) et la libération des provisions financières le cas échéant, sous le contrôle de la direction du groupe EDF et de son actionnaire.
Enfin, et c’est une différence notable par rapport à l’écosystème de l’armement, EDF doit également gérer une phase de débat public indispensable à la réalisation d’un tel projet. En effet, EDF doit présenter à la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) un dossier précisant les objectifs et principales caractéristiques du projet et ses enjeux socio-économiques. De nombreux débats publics sont organisés dans toute la France qui viennent nourrir un avis de la CNDP, avis obligatoire pour obtenir in fine l’approbation du Dossier d’Autorisation de Création (DAC), l’équivalent du « permis de construire » pour les centrales nucléaires. La visibilité sociétale, médiatique et politique d’un projet de construction de réacteur nucléaire est très forte : elle nécessite donc que la maîtrise d’ouvrage y consacre de l’énergie.
Finalement, au-delà d’une relation « client-fournisseur » classique, la maîtrise d’ouvrage a également la responsabilité de créer un environnement de travail favorable pour la maîtrise d’œuvre. Outre la sécurisation du financement du projet, le programme Nouveau Nucléaire France s’est particulièrement engagé aux côtés du gouvernement pour un environnement réglementaire plus souple avec notamment l’adoption le 22 juin 2023 de la loi d’accélération du nucléaire facilitant un certain nombre de démarches du projet.
Une maîtrise d’ouvrage, un modèle pertinent au-delà de la DGA
Le projet EPR2 en est encore au début de son histoire et il est donc certain que la répartition des rôles entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre évoluera encore pour continuer à s’adapter à la maturité du projet.
Le modèle DGA est un modèle qui a fait ses preuves pour sécuriser le déroulement de projets technologiques d’ampleur sur des temps longs, qui nécessitent un soutien de la supply chain et une politique industrielle claire. C’est donc une source d’inspiration naturelle pour une industrie nucléaire qui est celle de la compétence, du temps long et de la souveraineté. Quel que soit le domaine technologique, force est de constater qu’un fournisseur est d’autant plus compétent qu’il a un client « intelligent » et exigeant. S’il peut en outre favoriser un environnement de travail favorable, aux plans budgétaire et réglementaire, les premiers ingrédients du succès sont réunis !
Clément Gambier (X2019) est actuellement en formation administrative et militaire des ingénieurs de l’armement. Dans le cadre de son école d’application (Mines Paris), il a effectué un stage auprès du directeur des opérations et de la stratégie industrielle du programme « Nouveau Nucléaire France » d’EDF.
Hervé Grandjean, a été rapporteur de la mission conduite par Bernard Attali sur l’Ecole polytechnique en 2015. Conseiller pour les affaires industrielles de la ministre des armées en 2017, il est nommé Porte-parole du ministère en 2021. Il est directeur des opérations et de la stratégie industrielle du programme « Nouveau nucléaire France » à EDF depuis 2022.
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