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23 juin 2023

LE CIVIL, LIVRE DE CHEVET DU MILITAIRE
IL EST PLUS FACILE D’OPTIMISER LES PRIX EN AMÉLIORANT UNE SOLUTION SIMPLE, QU’EN DÉTARANT UNE SOLUTION COMPLEXE

La dualité, pour quoi faire ?

Pour faire mieux et moins cher !
Emmanuel Chiva, décembre 2020 : « Nous visons les entreprises qui ont un potentiel dual, à la fois civil et militaire dans des technologies qui sont importantes pour les armées. Ce qui nous intéresse, c’est de capter des technologies développées par des sociétés déjà établies sur leur marché primaire, mais qui présentent un intérêt pour la défense. »

La dualité, appliquée à quels navires ?

Je limiterai mon discours aux bâtiments de surface, où « tout ce qui n’est pas interdit est autorisé » ; dans le domaine des sous-marins, et aussi sur porte-avions ( combinaison centrale nucléaire/ pyrotechnie/ aéroport/ lieu de vie), c’est plus compliqué, on est plus proche de « tout ce qui n’est pas autorisé est interdit ». Dans ces cas, le civil avec lequel se comparer est très ciblé et le niveau de risque toléré est bien plus faible.

OPV argentins

OPV Argentins

BSAM

BSAM

Voilier Persévérance

Voilier Persévérance

AHTS Ulysse

AHTS Ulysse

La dualité pour les navires de surface, dans quel domaine ?

Concernant les bâtiments de surface, le concepteur sépare classiquement la plate-forme et le système de combat.

Pour ce qui est des systèmes de combat des navires, sans doute faut-il séparer les senseurs et les armes, et les systèmes de management de combat ( CMS) ; pour les premiers, la dualité est plutôt à rechercher dans les technologies, les composants, modules et quelques sous-équipements, mais force est de reconnaître que les chantiers navals intégrateurs n’ont quasiment pas de moyen de pression sur les fournisseurs ; pour les seconds, les chantiers constatent que les industriels proposent des solutions très diverses avec des prix variant notablement, ce qui amène à supposer que des pistes d’économie sont possibles, mais là aussi les chantiers intégrateurs ont peu de moyens de pression, et ils observent aussi que le coût moyen de l’ensemble de ces solutions ne cesse d’augmenter, et que l’apparition des contraintes cyber participe fortement à cette augmentation.

Il importe de savoir que, alors qu’il y a cinquante ans le prix d’une frégate était pour 60% voire les deux tiers lié à la plate-forme, et 40% voire un tiers au système de combat, on est aujourd’hui à la situation inverse, avec 40% voire 1/3 seulement lié à la plate-forme.

La dualité civil-militaire appliquée à la plate-forme traitera donc un tiers à 40% du coût d’un navire de surface.

LCT Maroc

LCT Maroc

Barge de transport Antilles<br>

Barge de transport Antilles

La dualité sur les plates-formes de navires

Les spécificités militaires des navires de surface sont liées à leur environnement militaire, survivabilité et discrétion, et aussi souvent à des objectifs de fiabilité et tenue dans la durée.

La fiabilité des équipements des navires civils est souvent moins bonne, et cela se retrouve dans le prix de la garantie : rapporté au prix du navire, le prix de la garantie, pour un chantier civil, est souvent supérieur au prix de la garantie pour un chantier militaire ; mais ce surcoût est largement compensé par l’économie sur le prix de réalisation du navire : à vouloir minimiser les risques de panne, les prix augmentent très fortement ; mais l’administration supporte mal la prise de risque… Le développement de la dualité dans les armées nécessite dans un premier temps une plus grande acceptation du risque, et donc de l’échec, au moins dans la fiabilité des matériels.

La survivabilité peut être traitée par les équipements, les installations, et l’architecture générale ; il est difficile, mais pas du tout impossible, de renvoyer vers l’architecture générale la résolution de problèmes de survivabilité, dès lors que l’équipement civil est notablement moins cher que le militaire : pour être simple, si le civil vaut trois fois moins cher, et qu’en le renforçant et en acceptant un peu plus de volume et de réseau on augmente le coût de 50%, on restera toujours deux fois moins onéreux que le militaire.

La question de la tenue aux explosions sous-marines et aux chocs, souvent avancée, devrait être traitée plus en amont avec la mise en œuvre de moyens d’essai ; des campagnes d’essai ont été effectuées dans le passé sur des tronçons de choc (cela est moins vrai depuis quelques années et est regrettable) et plus récemment sur des structures, modules, panoplies, qui permettent de qualifier des équipements, des assemblages et montages de réseaux et circuits utilisés dans la construction navale civile, et de réduire les coûts.

civil / militairecivil / militairecivil / militaire

Pour la discrétion, le civil n’est pas sans rien :

- En signature acoustique, les navires hydrographiques et océanographiques civils ont des performances qui s’approchent du militaire de surface.

- Pour la signature électrique et magnétique, il est possible de renvoyer une part du traitement du sujet vers l’architecture et la conception générale.

Il est donc possible de tirer du domaine civil une très large partie des équipements de la plate-forme.

En complément, il faut accepter que les exigences soient plus souvent exprimées en termes de solution, et pas en termes systématiquement fonctionnels : cela gagne du temps, les prescripteurs et acheteurs passent moins d’heures, les fournisseurs fournissent sur étagère.

Pour les installations (ou les circuits et réseaux), leur architecture est là pour compenser le caractère civil des équipements via des dispositions intelligentes.

architecture 1

Exemples d'architectures

architecture 2

On notera que, sur certaines installations, l’échange civil – militaire est encore insuffisant, c’est en particulier le cas des propulsions électriques, depuis longtemps mises en œuvre sur les paquebots ou aussi les navires de pêche.

Tout cela impacte la conception d’ensemble du navire ; cela a conduit et conduira encore à des navires plus gros ( tendance depuis des décennies pour des raisons variées : les escorteurs d’escadre anti-aériens avec 40 missiles Tartar faisaient 3000t , les frégates Horizon faisant plus du double) ; la miniaturisation de l’électronique , si elle permet d’avoir des senseurs de taille plus faible ne devrait pas compenser l’accroissement de volume résultant de l’intégration d’équipements civils dans un environnement militaire.

Remorqueur RP30

Remorqueur algérien

Remorqueur algérien

La dualité dans les diverses phases de réalisation et d’exploitation d’un navire :

La dualité civil – militaire ne doit pas seulement être regardée pour les matériels, elle doit aussi l’être dans la façon de conduire et réaliser les programmes.

La relation Client-Chantier, en civil, est plus directe ; il est fréquent que le Client impose le choix du fournisseur et de l’équipement ; le représentant du Client suit de près l’avancement des études, des achats et de la construction sans intermédiaire , s’appuyant totalement sur la société de classe pour la qualité et la conformité de la conception et de la construction au règlement et au pavillon. Et, dès lors que Client et Chantier sont d’accord sur les choix techniques, les dossiers de justification sont allégés.

Entre le coût d’études d’un navire supply et celui d’un BSAM, il y a un facteur supérieur à deux ; à fonctions voisines, les études de plateforme d’un navire civil et celles d’un navire militaire sont dans cet ordre de grandeur, avec un facteur de 2 à 3.

Les durées de réalisation des navires civils, à taille équivalente, sont plus courtes, ce qui permet de réduire les coûts de management et d’études, et d’avoir des coûts des achats figés.

Pour l’activité de production des navires de surface , il n’y a pas lieu d’avoir des dispositions différentes entre les navires militaires et civils ; simplement, les navires militaires, souvent rapides, exigent fréquemment des allègements de masse, et des épaisseurs de coque plus faibles, plus chères en € /kg, des réseaux électriques mieux organisés et répartis pour des problèmes de compatibilité électromagnétique, des réseaux et des circuits mieux fixés pour des questions de tenue aux chocs, et de façon plus souple pour des raisons de discrétion acoustique, mais ces écarts sont finalement simples et la main d’œuvre des chantiers civils est apte à les traiter, moyennant éventuellement une formation courte à quelques standards et pratiques.

Les durées des mises en route et essais sont globalement plus faibles, dans la plupart des cas l’équipage armateur est l’équipage de la génération de navires précédente, et donc a une bonne connaissance pratique de ce qu’il attend du navire ; la représentation Client est souvent plus ramassée , avec des personnels à temps plein pour une durée limitée, avec un Client intéressé par la sortie du bateau dans les délais sous peine de pertes d’exploitation ou de devoir procéder à une visite réglementaire onéreuse pour prolonger le classement du bateau précédent par la société de classe.

BSAM en cale sècheBSAM en cale sèche Chalutier pélagique en cale sècheChalutier pélagique en cale sèche

Pour ce qui est de l’entretien, dans le civil, les équipages s’impliquent plus dans l’entretien régulier de leurs navires, sont plus pragmatiques et le préventif est moins important ; les équipages civils acceptent plus facilement que le navire ne soit pas opérationnel à 100% dès lors que les installations pour remplir la mission principale fonctionnent et que la sécurité des personnels et des biens est assurée.

En synthèse,

Le civil est l’aiguillon du militaire pour discerner les tendances d’innovation, pour réduire les coûts, le civil doit être un livre de chevet du militaire.

Photo de l auteur
Patrick de Leffe, IGA

X75, Ingénieur Général de l’Armement, il débute sa carrière à la DCN, dans l’entretien Flotte BS à Lorient, puis à Paris comme architecte naval de frégates (La Fayette, …), et directeur de divers programmes; il est ensuite sous-directeur production SM à Cherbourg, directeur de l’Ingénierie de 1999 à 2008, des Achats, de l’Audit ; en 2013, il devient Directeur Général de Kership, puis de Piriou en 2017.

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