LES GRANDES SOUFFLERIES DE L’ONERA
LE SOUFFLE DE L’INNOVATION AÉRONAUTIQUE ET SPATIALE
A l’ONERA, on a coutume de dire que tous les grands programmes aérospatiaux en France et en Europe portent une part de son ADN. On pourrait tout aussi bien dire que tous les grands programmes aéronautiques et spatiaux, français et européens voire au-delà, portent la marque des grandes souffleries de l’ONERA. Visite guidée de cet outil exceptionnel et dual par excellence !
Le site exceptionnel de Modane en Savoie
Petit tour des grandes installations industrielles de Modane Avrieux et du Fauga Mauzac
« Waouh ! » (sic) : c’est l’effet produit à l’arrivée dans la chambre de tranquillisation de la grande soufflerie S1MA de Modane Avrieux, à quelques mètres de la veine d’essai. En version plus technique, S1MA c’est 155 m de longueur de tube, 24 mètres au point le plus haut, 8 mètres de diamètre pour la veine d’essais qui peut accueillir des maquettes de 3 mètres et surtout une puissance délivrée de 88 MW permettant de simuler des vitesses atteignant celle du son.
Pour ménager l’effet de surprise, on commence en général la visite par les installations de taille plus modeste mais non moins stratégiques. Certaines, comme S3MA et S4A, sont les plus secrètes : atteignant l’hypersonique, elles accueillent missiles, munitions et autres vecteurs de la dissuasion ou du spatial.
Les grandes souffleries en chiffres :
- 10 grandes souffleries et installations spécialisées couvrant tout le spectre de vol des aéronefs et missiles jusqu’à l’hypersonique (> Mach 6)
- Valeur à reconstruction : 1,5 Md€
- 220 personnes en 2022, CA 2022 : 22,5 M€
S2MA est le couteau suisse des souffleries grandes vitesses : couvrant tout le domaine de vol d’un avion de combat ou d’un missile, elle permet d’évaluer notamment de nouvelles configurations pour orienter les développements : c’est typiquement ce qui a été fait lors de la première phase du projet SCAF (système de combat aérien du futur) dès 2021.
Aux côtés des souffleries grandes vitesse de la vallée de la Maurienne, les souffleries du Fauga Mauzac près de Toulouse, accueillent les essais basses vitesses pour y valider en particulier les phases critiques de décollage et d’atterrissage, phases dans lesquelles une erreur sur la prédiction des conditions du décrochage peut être fatale.
Avec cette palette de moyens, complétée par quelques installations spécialisées pour tester, par exemple, les performances de tuyères de moteur ou le bruit de jet, l’ONERA dispose d’installations très complémentaires qui ont été au cœur de tous les développements aéronautiques et spatiaux en France.
Mais pourquoi donc un tel outil industriel en 2023, qui plus est, pas tout jeune ?
Expérimenter pour innover
Construites pour la plupart au lendemain de la seconde guerre mondiale, les grandes souffleries de l’ONERA restent un outil incontournable pour la conception de nouveaux aéronefs. S’appuyant sur les données expérimentales, les constructeurs peuvent affiner les marges de conception et donc développer des aéronefs plus optimisés (par exemple pour gagner en masse, réduire la traînée et donc la consommation, …) ou plus manœuvrants. Les essais des phases critiques de vol (décollage/atterrissage, phases de largage/séparation d’armements, etc…) sont par ailleurs précieux pour garantir la sécurité des vols : en soufflerie, aucun problème pour tester par exemple le comportement en cas de pannes (braquage de gouvernes, perte d’un bec, etc…) ou ce qui se passe au-delà du décrochage (en essais en vol, on préférera tester comment on se récupère !). En principe, tous les aéronefs sont testés en soufflerie avant un premier vol.
Essentielles à la conception d’aéronefs, les grandes souffleries s’avèrent incontournables pour soutenir l’innovation, dès lors qu’il s’agit de lever des verrous technologiques ou d’étudier des concepts n’ayant jamais volé. Pour consommer moins, les avions de demain auront des formes différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui. Pour ne citer qu’un exemple, l’ONERA réfléchit à ce que peut apporter le concept de moteur semi enterré dans le fuselage. Sur le principe, cela devrait améliorer le bilan propulsif de l’avion et réduire la consommation. Le problème est que dans ce type d’intégration motrice, la distorsion de l’air absorbé par le moteur peut perturber son fonctionnement : les essais en soufflerie permettent de caractériser finement les phénomènes physiques et la performance apportée par ce type d’intégration moteur/fuselage.
Témoignage de l’ICA Lauriane Schneider (en période d’ouverture à la direction des souffleries de 2018 à 2020)
Les deux années passées à la Direction des Souffleries ont été pour moi l’occasion de découvrir :
- des personnels hautement qualifiés, dont la grande expertise et l’esprit « recherche » m’ont beaucoup apporté sur le plan technique et humain ;
- des installations où les structures héritées du passé et remises au goût du jour, notamment en intégrant des installations de mesure à la pointe de la technologie, permettent de construire le futur de l’aéronautique française et internationale ;
- l’Histoire de l’aéronautique, en prenant la mesure de tout ce que les souffleries de l’ONERA ont permis d’accomplir dans le domaine depuis plus de 50 ans et en constatant qu’une grande partie de ce qui vole y a été testé un jour ;
- le génie de nos illustres ancêtres ingénieurs aéronautiques : respect et humilité face à l’incroyable outil qu’ils ont réussi à construire au lendemain de la seconde guerre mondiale, et qui permet encore aujourd’hui de développer des innovations de rupture.
Une expérience extrêmement enrichissante et marquante, que j’encourage nos jeunes IA à envisager !
Plus de 70 ans et pas une ride…
Cela peut sembler paradoxal, à l’heure des grands développements numériques, de s’appuyer sur des installations âgées de 40 à plus de 70 ans pour soutenir l’innovation. Pourtant, si on devait les repenser aujourd’hui, on recréerait les mêmes infrastructures. Car, si la construction est ancienne, les capacités en termes de taille et de représentativité du vol ainsi que la qualité aérodynamique de la veine d’essais restent exceptionnelles. Et bien sûr, les capacités d’essais et les techniques de mesures ont considérablement évolué. Les grandes souffleries de l’ONERA ont ainsi fait l’objet d’un important projet de modernisation et de pérennisation des installations, soutenu par la Banque européenne d’investissement et par des financements de la DGA et de la DGAC.
Dans le même temps, les codes de calcul ont également bien progressé mais à la fois ils ne permettent pas de simuler les phénomènes les plus complexes et, pour les rendre plus performants, il faut les alimenter avec des données expérimentales de plus en plus riches. Il y a donc aujourd’hui une vraie complémentarité entre calculs et essais en soufflerie, les essais devenant plus ciblés, plus complexes et plus riches en données grâce à des techniques de mesures de plus en plus innovantes.
Un ventilateur de la soufflerie avec ses pales acier et composite. Jusqu’à 10 tonnes d’air par seconde
Des souffleries rénovées pour relever les nouveaux défis de la Défense et préparer l’aviation civile décarbonée
Une des richesses des grandes souffleries de l’ONERA réside dans la variété des essais réalisés et la palette des clients. La période actuelle est particulièrement intéressante : avec le plan de relance de l’aéronautique et la montée en puissance de projets majeurs pour la Défense, programmes civils et militaires vont se partager les installations pendant plusieurs années tout en laissant un peu de place pour les clients étrangers, qui restent nombreux. Car le plan de charge affiche complet. Côté Défense, si les essais liés aux armements et aux vecteurs dissuasion occuperont S3MA et S4A, S2MA et S1MA verront passer, par exemple, des essais très pointus d’entrée d’air du SCAF ou les essais d’intégration d’armement, notamment au profit du Rafale export. Les grandes souffleries de l’ONERA sont, en effet, parmi les rares au monde à pouvoir réaliser des essais de séparation de charges. Côté civil, S1MA et F1 sont incontournables, de par leur taille et leur représentativité, pour étudier les nouveaux projets de motorisations ou d’intégration motrice, qui constituent un enjeu fort à la fois en termes de réduction d’empreinte environnementale, mais aussi de positionnement pour l’industrie européenne. Cerise sur le gâteau, une grande partie des essais sera réalisé avec une énergie totalement verte, les turbines des installations de Modane étant directement alimentées par l’eau d’une conduite forcée provenant de lacs de barrages artificiels.
Avec le plus grand parc de souffleries industrielles en Europe, associé au savoir-faire des experts et chercheurs de l’ONERA, la France dispose d’un outil unique, en constante évolution. Un outil stratégique et de souveraineté pour l’industrie aéronautique et pour la Défense.
Marie-José Martinez a rejoint l’ONERA en mai 2021, après avoir notamment été directrice de DGA Essais propulseurs (de 2018 à 2021), adjoint au directeur de l’unité de management Opérations d’armement Hélicoptères (entre 2014 et 2016) et directrice de programme A400M (entre 2009 et 2013). Elle a débuté sa carrière aux essais en vol et a ensuite été chargée de coopération internationale puis cheffe de cabinet du délégué général pour l’armement.
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.