Le combat collaboratif en 2040 ?
Enjeux, constantes et perspectives
Le début de l'année 2016 a été marqué par l’approbation d'un schéma directeur, dont l'ambition est de permettre à l’ensemble des acteurs de la préparation de l'avenir de disposer d'une vision partagée à long terme des grands enjeux capacitaires, technologiques et programmatiques du combat de contact aéroterrestre et du champ des évolutions envisageables, au-delà des perspectives à moyen terme que dresse la loi de programmation militaire. Mise en perspective des principaux enseignements.
Article rédigé en collaboration avec l’officier de cohérence opérationnelle du domaine pour l’Etat-Major des Armées.
Le combat de contact aéroterrestre est au cœur des capacités des armées et implique nombre de systèmes de combat majeurs au sein des équipements des forces. Le schéma directeur élaboré, issu d’un travail conjoint entre l’Etat-Major des armées, l’armée de Terre et la DGA permet dorénavant de disposer d'un cadre partagé pour les travaux d'études capacitaires à venir et la préparation, en stade amont, des grandes opérations d'armement que sont notamment les étapes ultérieures du programme Scorpion, les différents standards de l'hélicoptère d'attaque Tigre et ses armements, le futur hélicoptère interarmées léger ou, dans une perspective plus lointaine, la future capacité principale de combat terrestre à l'horizon du retrait du service du char Leclerc.
Dans la conduite des opérations d’armement au sein du Ministère de la Défense, le schéma directeur précise le périmètre, le contenu et les évolutions possibles d’une capacité. Par ses orientations capacitaires, il éclaire la préparation des futurs systèmes d’arme et l’expression du besoin militaire associé. Porté par un binôme officier de cohérence opérationnel – architecte de préparation des systèmes, il matérialise un travail collégial associant dans leurs différentes composantes les armées et la direction générale de l’armement. |
Des opportunités technologiques à saisir
Si l’on appréhende les développements technologiques prévisibles en termes d’impact sur la manière de conduire le combat ou sur son efficacité, il ressort que d’ici une quinzaine d’années, la robotique et l’amélioration des capacités du combattant constitueront deux facteurs d’évolution structurants du combat aéroterrestre, au-delà de la rupture « numérique », et de l’approche collaborative du combat qui sont déjà prises en compte dans la première étape du programme Scorpion. Les progrès attendus dans le domaine de l’énergie, tirés par le marché civil, influeront également sur le combat de contact, à une échéance néanmoins incertaine.
Les technologies sont également à appréhender en termes de menace : des systèmes d’armes robotisés, aptes à prendre une décision autonome d’engagement, sont technologiquement accessibles et pourraient d’ores et déjà apparaître sur le champ de bataille.
La robotique terrestre est déjà une réalité. En France, son emploi reste encore limité à des missions spécifiques telles que la lutte contre les dispositifs explosifs improvisés ou comme extension des moyens de perception du combattant. Des avancées technologiques sont encore nécessaires avant d’envisager un emploi généralisé : amélioration de l’aptitude à évoluer dans un environnement terrestre très divers et hétérogène ou encore de la simplicité de mise en œuvre, notamment pour de futurs systèmes multi-robots. L’enjeu de la robotique consiste dans un premier temps au moins, à tirer parti de l’innovation très active du domaine civil par une adaptation des concepts d’emploi plutôt qu’en militarisant des systèmes. |
Des atouts réels, à conforter
La force de combat terrestre, fondée sur trois composantes différenciées - « légère », « médiane » et « de décision » - lui permettant de couvrir le large spectre des engagements et des contextes d’emploi, dispose d’ores et déjà de forts atouts. Le programme Scorpion a marqué le lancement fin 2014 d’une première étape portant sur la modernisation de l’essentiel de sa composante médiane (systèmes Griffon et Jaguar) et le début de la démarche de numérisation pour disposer de premiers services de combat collaboratif telle que la protection collective. Par exemple, un véhicule pourra détecter l’agresseur d’un autre véhicule pris à partie afin de permettre à chaque élément présent sur la zone de rallier automatiquement leur système de visualisation sur la cible, pour une riposte collective et réactive.
Quelles trajectoires possibles pour continuer à disposer de la supériorité?
La démarche du schéma directeur permet d’identifier en vue de les évaluer différentes architectures selon les critères d’efficacité que sont : dominer, résister, durer, intervenir vite et loin, connaître et interagir, s’adapter. La structure actuelle en trois composantes différenciées permet d’obtenir un niveau d’excellence et donc une supériorité sur chacun de ces axes, de manière non simultanée : la composante « légère » par exemple, très mobile et facilement projetable en opérations extérieures présente des capacités de domination de l’adversaire en combat direct limitées. Ses adhérences avec les capacités et moyens des forces spéciales sont réelles et des synergies pourraient être recherchées. Concernant la composante « lourde », à l’horizon du retrait du service du char Leclerc, les modalités de renouvellement de la capacité de destruction « haut du spectre » qu’il représente sont ouvertes : il pourra s’agir de disposer d’un nouveau char modernisé, tant dans ses capacités d’agression qu’en termes de protection et d’agilité. Une alternative pourrait être de répartir différemment les fonctions entre les systèmes, d’une part en reportant les capacités d’agression « en temps réflexe » sur les autres acteurs du champ de bataille que sont les véhicules médians porteurs de missiles, les hélicoptères d’attaque et l’artillerie grâce à une info-valorisation plus poussée, et d’autre part en permettant la manœuvre sous protection grâce à d’autres moyens que le blindage, tels que le dérobement voire la destruction des projectiles assaillants, ce qui constitue un enjeu technologique majeur. La préparation du futur du char lourd fait l’objet d’un dialogue avec l’Allemagne qui a entamé ses propres réflexions sur le successeur du Leopard II ; il porte notamment sur l’échange des visions respectives sur les concepts de solutions et les technologies envisageables.
L’élargissement du combat de contact : du combat collaboratif à la manœuvre collaborative
Le combat de contact aéroterrestre doit tirer parti des évolutions technologiques qui vont voir le jour dans la prochaine décennie. L’arrivée de capacités de tir au-delà de la vue directe est un exemple d’élargissement escompté de la notion de contact. Confronté au duel, l’élément au contact pourra ainsi élargir la gamme des effecteurs dont il disposera. Commandée au contact, l’unité d’artillerie devra mieux intégrer le système d’information du combat de contact au même titre que le tireur de missile moyenne portée ou le Tigre de l’autre côté de la colline. Plus généralement, l’évolution attendue est un élargissement de la notion de contact du « pion » du combat terrestre constitué par le groupement tactique interarmes au système central de la manœuvre terrestre : la brigade interarmes dans son ensemble.
Le combat de contact aéroterrestre dans son environnement (cartographie simplifiée des schémas directeurs)
Disposer d’outils d’ingénierie adaptés à la complexité croissante des interfaces et relations
Les capacités aéroterrestres évoluent dans un contexte de plus en plus interarmées et interconnecté dans lequel les interpénétrations entre les milieux - terre, air, mer, espace, cyber - et entre les capacités deviennent de plus en plus importantes. Appréhender et maîtriser ces zones d'interfaces en constante évolution est une nécessité pour éclairer de manière pertinente les choix à venir sur les programmes. A l'instar de certains autres grands domaines capacitaires, les travaux de préparation de l'avenir relatifs au combat de contact aéroterrestre devront s'appuyer sur des outils à même de dompter cette complexité : modélisations, formalisation et analyse des chaînes fonctionnelles, simulations... Le combat de contact aéroterrestre se retrouve ainsi au cœur de la transformation des méthodes d'ingénierie de la DGA, étendue, au-delà de la conduite des programmes, à la préparation du futur.
Olivier Beaurenaut, ICA, Architecte de préparation des systèmes futurs, DGA
Après la conduite de programmes de missiles air-sol, des fonctions d’encadrement au centre d’essais de missiles en Méditerranée, et enfin dans le domaine des finances à l’Etat-Major des Armées et à la DGA, l’auteur est actuellement en charge au sein du service de préparation des programmes futurs et d’architecture (SPSA) de la direction de la stratégie de la DGA d’un vaste domaine de préparation de l’avenir qui englobe l’aviation de combat, le domaine naval de surface, les équipements des forces spéciales et les systèmes terrestres.
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