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Démonstration de vol du Fly Board Air (Zapata) lors du forum innovation défense 2018
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01 février 2021

LES FORCES SPÉCIALES ET L’INNOVATION
ECLAIREUR ET RÉVÉLATEUR DES DIFFICULTÉS À INNOVER

Publié par Grégory Bonnemains, ICETA | N° 122 - Les Forces Spéciales

Pourquoi et comment s’organise la recherche d’innovation au sein des forces spéciales ? Les dispositifs institutionnels sont-ils adaptés. L’AID, une chance à saisir.


L’innovation et les forces spéciales 

Les forces spéciales sont définies par l’OTAN comme des unités spécialement désignées, organisées, sélectionnées, entrainées et équipées. En effet, pour surpasser un ennemi bien souvent supérieur en nombre dans des situations opérationnelles risquées, les FS doivent avoir recours à des méthodes spéciales, mais aussi aux dernières technologies, pour ménager l’effet de surprise. 

Cette nécessité de disposer d’équipements high-tech fait que le Commandement des Opérations Spéciales (COS) et les unités des forces spéciales ont un rapport privilégié avec les circuits d’innovation. 

Ce rôle particulier est reconnu par le général Burkhard, actuel CEMAT : « l’un de leurs rôles importants, à mon sens, est aussi d’être une avant-garde pour développer des matériels qui, ensuite, après un inévitable petit décalage, seront déclinés dans les forces conventionnelles ». 

Les forces spéciales jouent donc ce rôle d’éclaireur, de laboratoire, dans des conditions réelles, testant à petite échelle des technologies pour des coûts limités. Ces tests « grandeur nature » répondent à un besoin d’adaptation constant et préparent l’équipement futur d’armées confrontées à de nouvelles menaces, et à de nouveaux modes d’action.

Il est souvent rappelé que l’innovation est dans l’ADN des forces spéciales. Depuis sa création en 1992, l’état-major du COS est armé d’un dispositif particulier pour animer la recherche technologique : la CIEPCOS, commission interarmées des études pratiques du COS. Son rôle est de promouvoir l’innovation technologique en lien avec les unités des forces spéciales. Elle dispose d’un budget propre qui permet d’acquérir des matériels pour expérimentation ou pour réaliser quelques développements spécifiques. 

Les forces spéciales ont également recours à d’autres dispositifs du ministère pour des projets nécessitant un investissement plus important ou l’intervention d’un centre expert des armées ou de la DGA. Ce qui était reproché à cette multitude de dispositifs, jugés « trop complexes, peu lisibles et mal adaptés » par les sénateurs dans leur rapport sur les forces spéciales de 2014, doit désormais être de l’histoire ancienne. En effet, c’est entre autres pour répondre à ce constat que l’Agence de l’innovation de défense (AID) a été créée en 2018. Ainsi l’AID est l’opérateur unique auquel peuvent s’adresser les innovateurs des armées pour trouver la bonne solution à leurs idées.

Les autres défis que l’AID peut aussi aider à surmonter dans le cas particulier des besoins des forces spéciales sont également la difficulté du passage à l’échelle et les débouchés limités.

CONVAINCRE LES ÉTATS-MAJORS ET LA DGA D’ATTRIBUER DES FINANCEMENTS

En effet, il n’est pas toujours facile de convaincre l’industrie de se lancer dans un projet d’étude quand la commande série n’est pas assurée financièrement ou suffisante en nombre. Bien souvent, les forces spéciales ont lancé des projets par divers dispositifs d’innovation pour réaliser des études avec des petites entreprises. Le résultat est souvent intéressant, mais le chemin ne s’arrête pas là. Et même pour de petites séries, il est souvent nécessaire de rendre le matériel robuste aux conditions du terrain, et de préparer l’industrialisation. Afin d’éviter des impasses au cours du projet, ces sujets doivent être pensés au plus tôt. Par ailleurs, l’application des grands principes de la commande publique (liberté d’accès, égalité de traitement, transparence des procédures) peut parfois conduire à une rupture entre le développement et la série. Dans ce cas, les entreprises qui ont fait les études et qui espéraient naturellement poursuivre sur la production en série sont frustrées mais pour les opérateurs des forces spéciales, la rupture est incompréhensible et vécue comme une remise en cause du projet. C’est pourquoi une association aussi précoce que possible de toutes les parties prenantes, fonction opérationnelle comme fonction de conduite de projet incluant l’acquisition, est fortement souhaitable. 

Cet esprit d’association est particulièrement visible entre les FS et les PME. Souvent jugées plus réactives que les grands groupes, elles peuvent mieux s’adapter aux besoins et les petites séries sont souvent compatibles avec leur capacité de production. En ce sens, « les PME sont les forces spéciales de l’industrie française ». Il faut toutefois veiller à ne pas mettre en danger ces acteurs. En effet, la petite série produite suffit rarement à rentabiliser les investissements d’un développement complet. Si aucun autre client ne vient prendre le relais et commander d’autres unités, la pérennité des sociétés peut être en jeu. Un équilibre entre les efforts de la société et la taille de la série visée doit donc être recherché. 

Pour tenir compte de ces retours d’expérience, l’AID s’est dotée d’un service achat et de manageurs de projets particulièrement familiarisés avec les enjeux de l’innovation réactive. Ainsi, libérés des enjeux qui marquent les grands programmes de la DGA et qui écrasent les « petits contrats », ces spécialistes dédiés peuvent construire les projets et les contrats selon les justes besoins des innovateurs et selon les débouchés envisagés : contrat de développement de brique technologique, compétition entre industriels, captation des technologies issues du secteur civil, contrat de type défi avec sélection de la meilleure solution au fur et à mesure de l’avancée du projet, contrat de développement intégrant la possibilité d’acquisition d’une petite série en cas de succès… Ainsi en quelques mois, l’AID s’est affirmée comme l’acteur incontournable de l’innovation de défense en lien avec les « labs » des différentes armées et les états-majors pour orienter les projets et en liaison avec les unités de management de la DGA pour acquérir des équipements en petites séries en cas de succès. Cet esprit d’agilité convient parfaitement aux projets des forces spéciales. Les expérimentations de foils sur des embarcations rapides, l’emploi de nouveaux exosquelettes passifs, le test desystèmes radio de proximité navals pour les équipes de visites sont autant de tentatives qui n’aboutiront pas toutes mais qui nourrissent ce laboratoire vivant.

Il faudra en revanche, pour pouvoir passer en série, réussir à convaincre les états-majors et la DGA d’attribuer des financements à ces projets. Un travail d’influence et d’explication devra donc être entrepris aussi bien par les innovateurs des forces spéciales que ceux des armées pour accompagner leurs projets, afin qu’ils ne restent pas au point mort, faute de financement alors que le travail de mise au point technique et contractuelle aura été fait. 

Le SOFINS, créé et organisé par le COS

Dernier point pour illustrer l’esprit d’innovation des forces spéciales, le COS a créé et organisé en 2011 le SOFINS pour Special Operations Forces Innovation Network Seminar. Inspiré du modèle américain (SOFIC), le SOFINS est bien plus qu’un nième salon de l’armement, il s’agit d’un rendez-vous dédié entre les industriels, fournisseurs d’équipements pour les forces spéciales et les opérateurs des unités spéciales. En un même lieu, sur trois jours, toute la communauté des forces spéciales est réunie pour présenter des matériels et animer des ateliers dédiés aux équipements des forces spéciales. Depuis, le concept a été pérennisé par le cercle de l’Arbalète, association regroupant des industriels équipementiers des forces spéciales. Cette association a pour objectif de fédérer l’action des différentes personnes physiques et morales désirant contribuer au rayonnement de l’équipement des forces spéciales et de la R&D spécifiquement dédiée aux opérations spéciales. 

En conclusion, les forces spéciales ne sont pas que des éclaireurs, mais assurément des révélateurs. Les besoins des opérateurs, comme les difficultés qu’ils peuvent rencontrer pour faire aboutir leur projet existent tout autant dans les armées. Mais comme le COS et ses unités sont un peu plus libres sur des équipements de portée certes plus limitée, ils peuvent initier plus facilement de petits mouvements d’innovation qui se retrouveront dans les armées ensuite. Assurément, si ces mouvements sont récurrents et parfois dérangeants, l’innovation des forces spéciales sert tout le monde, comme la recherche au profit des armées, plus particulièrement destinées aux grands programmes de demain, sert aussi les unités des forces spéciales.

Auteur

Grégory Bonnemains, ICETA

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