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13 juin 2024

RENFORCER LA RÉSILIENCE DES APPROVISIONNEMENTS :
LE CAS DES MÉTAUX STRATÉGIQUES

Omniprésents dans les chaînes de valeur industrielles, les métaux critiques constituent l’un des enjeux importants pour la sécurisation des approvisionnements industriels, y compris dans le secteur de la défense. 


Le renforcement de la sécurité des approvisionnements est l’une des pierres angulaires de la souveraineté industrielle. Ce défi est d’autant plus grand que plusieurs décennies d’internationalisation et d’optimisation par les coûts des chaînes de valeur ont augmenté très fortement les dépendances des industriels à des approvisionnements extra-européens. 

La base industrielle et technologique de défense a été mieux préservée sur ce plan, mais elle n’est pas exempte des risques induits par les fragilités des chaînes de valeur industrielles. En effet, à leur racine, celles-ci sont fondamentalement duales. De surcroît, les industriels du secteur de la défense ont été amenés à rechercher, de manière croissante, cette dualité, plus en aval pour certains composants. 

Le cas des métaux critiques en constitue une illustration : ils sont nécessaires à la réalisation des équipements militaires et leurs premières étapes de production (extraction du minerai et premières étapes de transformation) sont, par nature, duales. Sur la cinquantaine de métaux critiques ou stratégiques recensés dans la liste de l’Union Européenne, la plupart interviennent à des degrés divers dans les équipements militaires, à deux titres en particulier : l’élaboration des matériaux à haute performance et les composants électroniques. 

De surcroît, le secteur des métaux critiques a des spécificités qui l’exposent particulièrement aux risques d’approvisionnement : 

• une demande qui croît fortement, sous l’effet notamment des transitions numériques et énergétiques ; 

• une offre européenne limitée et une concentration croissante de l’offre internationale dans un nombre limité de pays. 

L’Europe, dans le cadre du CRM Act - Critical raw materials Act - (proposé par la commission européenne en mars 2023 et en vigueur depuis début mai 2024), et la France, à la suite du rapport de Philippe Varin (remis début 2022), ont adopté des mesures visant à renforcer la sécurité d’approvisionnement en métaux critiques. La Délégation Interministérielle aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques est chargée de coordonner l’action des différents ministères concernés dans la mise en œuvre de cette politique. La direction de l’industrie de défense, de la direction générale de l’Armement, est spécifiquement en charge du volet « défense » de la politique d’approvisionnements en matières premières critiques. 

Il s’agit en premier lieu d’améliorer la connaissance des chaînes de valeur, 

et d’évaluer la criticité des différents matériaux, en fonction de projections de l’offre et de la demande, de la concentration géographique des chaînes de production aux différentes étapes (extraction, transformation, recyclage) et des possibilités de substitution. 

C’est dans ce but qu’a été constitué début 2023 l’OFREMI, rassemblant l’expertise d’établissements de recherche (BRGM, CEA, IFP-EN, ADEME) et des différentes filières industrielles (dont le GIFAS, le GICAN et le GICAT). Le CRM Act prévoit pour sa part la réalisation de tests de résilience globaux au niveau européen, avec l’appui de chaque État membre, ainsi que l’obligation pour les grandes entreprises de réaliser des audits internes sur leurs approvisionnements en métaux stratégiques. 

En effet, en dépit des crises récentes, les industriels connaissent encore mal leurs chaînes d’approvisionnement, au-delà des premières étapes de la cascade des fournisseurs, et investissent insuffisamment dans l’amélioration de la résilience de leurs chaînes d’approvisionnement. 

S’agissant de la constitution de stocks stratégiques, 

l’Union Européenne n’a pas, à ce stade, pris de mesures générales prescriptives. En France, la loi de programmation militaire 2024-2030 a prévu des dispositions permettant au ministère des Armées d’enjoindre à ses fournisseurs de constituer des stocks à des niveaux suffisants. La constitution de stocks constitue en effet une mesure particulièrement adaptée pour la sécurisation des approvisionnements de la BITD en métaux stratégiques : les quantités mises en jeu sont en général relativement faibles en valeur absolue et au regard des besoins globaux de l’industrie, et leur coût reste limité au regard du coût total d’un équipement militaire. Ceci suppose un travail en amont pour identifier précisément les bonnes quantités et la forme adaptée, qui doit être cohérente avec les différents usages et les capacités dans la chaîne industrielle en aval. 

Les mesures de priorisation et de réquisition, prévues par la loi de programmation militaire, constituent également des moyens importants, ce qui suppose d’identifier préalablement les capacités correspondantes. 

Des travaux sont en cours concernant la constitution de stocks stratégiques pour les besoins plus larges de l’industrie, en fonction des besoins des différentes filières et dans une perspective intégrant la dimension européenne. 

Au-delà des moyens permettant de répondre à des crises particulières, la réduction des dépendances implique le développement des capacités de production de métaux stratégiques en France et en Europe. L’exploitation des ressources du sous-sol européen pour l’extraction primaire est à cet égard une priorité, même si elle doit mettre du temps à produire ses effets. En France, des projets ont été engagés principalement dans le lithium, et le Président de la République a annoncé fin 2023 la réalisation d’un inventaire des ressources minérales par le BRGM. Des outils financiers importants ont été mis en place pour accompagner les projets industriels : 400 M€ de subventions dans le cadre du plan France 2030, la mise en place d’un crédit d’impôt (C3IV ; portant sur les projets alimentant les chaînes de valeur des batteries et des énergies renouvelables), la création d’un fonds d’investissements pour les métaux critiques de 2 Md€ dont 500 M€ apportés par l’Etat ainsi que des garanties de l’Etat sur le financement bancaire de projet stratégiques. 

Ces outils ont d’ores et déjà permis de stimuler l’émergence de projets, principalement dans le domaine des matériaux pour batteries, de la séparation des terres rares, du recyclage d’aimants permanents ainsi que du recyclage d’aluminium et de déchets électroniques. L’extraction des matières premières critiques au sein des résidus miniers, ainsi que le recyclage des déchets de fabrication ou des produits en fin d’usage, revêt une importance particulière, en permettant de s’affranchir de la ressource primaire, lorsque les gisements de matériaux à recycler existent. 

L’innovation joue également un rôle important, notamment pour améliorer les processus industriels de transformation des métaux ainsi que les procédés de recyclage/réutilisation et pour trouver des métaux de substitution. 

L’un des enjeux majeurs pour viabiliser les projets relatifs à ces nouvelles capacités est d’engager les filières dans des contrats de long terme pour l’approvisionnement de ces métaux, dans un cadre économique permettant de couvrir les coûts de production et de s’affranchir de la volatilité des prix. 

Les dépendances aux approvisionnements internationaux ne pourront cependant pas être évitées, ne serait-ce que parce que l’Europe ne dispose pas de l’ensemble des ressources primaires nécessaires. Il en résulte un impératif de diversification des fournisseurs internationaux. Des accords internationaux ont été conclus par la France avec 6 pays en 2023 afin d’accompagner les entreprises dans leurs approvisionnements et de développer l’offre. Au niveau européen, des accords similaires ont été conclus. 

 

 

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Benjamin Gallezot, IGA, Délégué Interministériel aux Approvisionnements en Minerais et Métaux Stratégiques depuis début 2023

Benjamin Gallezot a notamment été Directeur adjoint de cabinet auprès du Premier Ministre (2021/2022) et de la Ministre des Armées (2017/2020), adjoint au Directeur Général des entreprises (2012/2017), et Conseiller industriel auprès du président de la République (2010/2012) et du Ministre de la Défense (2009).
 

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