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Un Ilyunshin Il22 PP Porubshchik, exemple d’avion Russe dédié aux missions de GE
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16 juin 2024

LA GUERRE ÉLECTRONIQUE EN ÉBULLITION

La Guerre Électronique (GE) est un monde souvent mystérieux, de « sorciers et de savants » disait Winston Churchill, mais elle prend de plus en plus d’importance. Largement utilisée en temps de paix, notamment dans sa dimension renseignement, l’actualité récente la montre à l’œuvre dans un conflit de haute intensité, dans un foisonnement d’innovations bouleversant la conduite des opérations. 


Une longue histoire d’évolutions et de révolutions

Le périmètre de la GE est classiquement défini comme l’ensemble des actions visant à restreindre l’utilisation du spectre électromagnétique par l’adversaire et de celles devant nous affranchir des mesures prises par ce compétiteur pour nous en limiter l’usage. De fait, l’enjeu de la liberté d’emploi du spectre électromagnétique sur un théâtre d’opérations, et plus globalement dans nos sociétés, a totalement changé au cours de 150 dernières années. Les historiens font remonter la première véritable action de Guerre Électronique à 1905 : au cours de la bataille navale de Tsushima, des bâtiments russes ont brouillé les communications de la flotte japonaise, sans utiliser un matériel sophistiqué dont l’expression de besoin aurait été longuement affinée, mais en ayant « simplement » l’idée de caler astucieusement son propre émetteur. Les écoutes des communications adverses ont été aussi progressivement développées, au point que le possibilités d’interception offertes par le point haut de la tour Eiffel lors de la première guerre mondiale ont bien plus que contribué à la décision de la pérenniser !

La seconde guerre a vu le rôle de la GE s’élargir, avec ses capacités de localisation par radiogoniométrie, avec la lutte contre les moyens de radionavigation, contre les radars, contre les moyens d’identification (IFF), mais aussi avec l’intérêt renouvelé des écoutes grâce aux percées de la cryptanalyse. Cette période est caractérisée par des boucles très courtes entre renseignement, développement, production et mise en service, par des capacités de concentration des efforts sur les thèmes prioritaires et par la protection du secret. La durée de vie opérationnelle d’un système de radionavigation a pu alors être abaissée à quelques semaines ; la mise en place d’une entité regroupant sur un seul lieu les experts du décryptage a permis des percées en un temps record, dont les succès d’Alan Turing.

Pendant la Guerre froide, les deux blocs ont massivement investi dans ce champ. L’utilisation du spectre s’est diversifiée, entraînant de nouvelles opportunités de GE, et les capacités de calcul ont débuté une forte croissance, permettant l’apparition d’équipements programmables. On a ainsi vu l’éclosion de systèmes complexes d’attaque électronique, comme les avions de brouillage offensifs ou des missiles anti-radar, l’émergence des capacités spatiales, avec des satellites dédiés mais aussi la sécurisation indispensable de leurs liens de données, et la prise en compte de manière globale de la richesse des communications, jusqu’à la création de réseaux de renseignement comme Échelon. L’OTAN préparait ses pays membres à affronter un bloc dont la doctrine, les concepts, les matériels et l’entraînement étaient auscultés par tous, avec un relatif partage. La nouvelle Délégation Ministérielle pour l’Armement, puis la DGA, ont alors impulsé en France une dynamique efficace, fédérée autour de la contribution de la GE au succès des missions des forces de dissuasion.

En parallèle, les conflits régionaux permettaient de confronter les matériels sur le terrain. Le Vietnam a ainsi conduit au développement des systèmes de suppression des défenses anti-aériennes, la guerre du Yom Kippour a remis en lumière l’indispensable réactivité pour contrer une menace qui n’avait pas été prise en compte, les Malouines la nécessité d’une bonne intégration des différentes fonctions utilisant le spectre électromagnétique sur un porteur, la plaine de la Bekaa l’apport des drones ou l’Afghanistan la nécessité de l’autoprotection.

La première guerre du Golfe a démontré l’efficacité des démarches engagées. La coalition a littéralement assommé électroniquement les capacités irakiennes, qui disposaient pourtant de matériels des deux blocs. Les interventions du début du XXIe siècle, marquées par une empreinte au sol plus importante, ont surtout mis l’accent sur la lutte contre les dispositifs explosifs improvisés et sur l’importance du traitement des émetteurs de communication, individualisés jusqu’au téléphone portable. Certaines leçons du passé ont été progressivement moins prises en compte au moment d’arbitrages budgétaires, dans un contexte marqué par le caractère asymétrique des interventions.

Le brutal retour de la GE dans un conflit symétrique  

Progressivement, la dilution de la frontière entre cyber et GE, ainsi que les concepts d’opérations réseaux-centrées, ont révolutionné le domaine. La concrétisation du machine learning en intelligence artificielle est une évolution très significative pour ce secteur qui par essence manie des quantités considérables d’informations pour lesquelles la vitesse d’adaptation est un atout de première importance.

La guerre russo-ukrainienne remet en lumière la criticité de la GE et cet enjeu. L’organisation organique de la GE en Russie est évidente : trois divisions de GE auraient été déployées sur le théâtre ukrainien. Elle démontre sa capacité sinon à maîtriser, du moins à largement perturber l’emploi du spectre, notamment avec de puissants brouilleurs de communication et de localisation satellitaire, ainsi que des capacités importantes d’interception. Du côté ukrainien, l’un des premiers défis a été d’intégrer des équipements occidentaux à ses systèmes et à son organisation hérités ... de son ancien allié.

Pour tous, les impératifs de la guerre anti-drones sont l’une des facettes les plus visibles. L’innovation pragmatique est indispensable face à des systèmes particulièrement variés, évolutifs et parfois bricolés.

Le Krasukha – 4, exemple typique de système sol de GE Russe

Vitesse d’adaptation, clef de la supériorité 

La GE apparaît ainsi à nouveau comme un acteur incontournable dans une confrontation de haute intensité. Au-delà des grands systèmes indispensables soigneusement conçus dans le temps, systèmes ROEM, dispositifs d’autoprotection parfaitement intégrés sur leurs plateformes, ..., le véritable défi de la GE est l’entretien de capacités d’évolution, d’inventivité et de pragmatisme pour contrer en boucle courte, avec des alliés ou seul, les surprises que l’adversaire ne manquera pas de dévoiler sur un théâtre. Cela suppose l’animation d’une industrie de guerre un peu particulière, basée sur des compétences techniques spécifiques, industrielles et étatiques, sur lesquelles il appartient à la DGA de veiller tout en menant ses programmes avec souplesse et vitesse d’adaptation. Comme le disait Sir Watson Watt, père de la défense radar anglaise pendant la Seconde Guerre mondiale : « Give them the third-best to go on with; the second-best comes too late, the best never comes. »

 

 

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Bruno Berthet
Bruno Berthet, IGA Président de ARESIA, président fondateur de GUERRELEC Bruno Berthet débute au CEV sur les essais des systèmes de guerre électronique, puis devient chef des départements GE du service des technologies communes et du service des programmes aéronautiques. Il a été Directeur de Programme Mirage 2000, Sous-Chef d’état-major Plans–Programmes de l’armée de l’air, puis directeur adjoint de la DDI. Il quitte le service fin 2011 et rejoint RAFAUT dont il devient le PDG mi 2015.
 

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