Envoyer une lettre prend juste le temps électronique d’un ensemble de routeurs, parfois avec des détours par l’Asie certes, mais sans commune mesure avec la malle-poste ou même l’Aéropostale.

Les démarches financières sont en perpétuelle évolution pour réduire les temps de latence : faire un virement bancaire est désormais instantané grâce à la validation sur smartphone – moyennant il est vrai de confier nos données à un interlocuteur de confiance –. 

Même les démarches administratives suivent cette exigence d’une réponse instantanée. Le monde d’Ubu sera-t-il bientôt relégué aux oubliettes grâce à l’intelligence artificielle qui vient au secours de l’usager perdu et à « services publics + » ?

Et en se projetant dans les promesses du transhumanisme, ne pourra-t-on pas bientôt apprendre instantanément à piloter un hélicoptère ou à maitriser les arts martiaux comme dans Matrix ?

Cause ou conséquence de ces évolutions, il semble que nous soyons de plus en plus exigeants sur le droit d’avoir une satisfaction à tous nos désirs, tout de suite. 

Ce « Je veux » impératif, ressemble par beaucoup de côtés à une adolescence. Le temps de l’invulnérabilité et le temps de la pensée magique qui font prendre des risques insensés. Un âge également centré sur soi-même et décorrélé du monde.

Mais dans la vraie vie, cela ne se passe pas comme cela.

La croissance physiologique est lente et progressive « on ne tire pas sur l’herbe pour la faire pousser » ; Il faut du temps pour fabriquer des muscles et faire pousser des os. N’en est-il pas de même pour faire mûrir un esprit pour qu’il assume sa juste place ? Le monde est plein de promesses et de menaces, il a besoin d’être dirigé plutôt que consommé.

« Il faut 3 ans pour faire un soudeur » nous dit Framatome. Certains réflexes ne s’obtiennent qu’avec le temps et l’expérience. Le même geste se raffine, s’intègre par la répétition, par l’effort.

Il en est de même pour l’apprivoisement d’une relation. Pour s’apprécier, travailler en confiance, il faut du temps. « C’est le temps que tu as pris pour ta fleur qui lui donne de la valeur » rappelle le renard au Petit Prince… pas les réseaux sociaux !

Il est possible de ne pas voir cette réalité jusqu’au moment où elle s’impose à nous : Nous célébrons cette année les 80 ans du débarquement. Après une visite au musée d’Arromanches, nous avons regardé en famille le film « Le jour le plus long ». Bien qu’appréciant l’hémoglobine de Tarantino, mes enfants n’ont pas pu tenir jusqu’à la moitié, car là, c’était en vrai.

La réalité, ce sont les conflits violents qui se rapprochent et dont on ne peut plus ignorer les milliers de victimes et leurs familles, ou l’accident dont on ne récupère que lentement.

A quoi nous appellent le vrai monde et les vrais conflits aujourd’hui ? 

Il semble que nous vivions collectivement cette prise de conscience. Retrouver notre souveraineté est devenue une priorité, investir pour se forger une puissance matérielle, une force adulte après des années de virtualisation.

De même que l’accident qui fait grandir ou que l’épreuve qui fait mûrir, les conflits qui se vivent à nos portes nous obligent à nous décentrer, à chercher leur sens pour nous et à agir en nous référant à une cause supérieure.

Nous rassemblons dans ce numéro des exemples de montées en puissance, qui s’inscrivent dans le temps long. Ils demandent des investissements, des efforts, et de la persévérance.

Bref, du courage, dans la durée.