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16 juin 2022

DÉMINEURS À PARIS : TOUJOURS SUR LE PONT !

Publié par Christophe Pezron, directeur du LCPC et Frédéric TATOUT (1966) | N° 126 - BOUM ! PYROTECHNIE ET MATERIAUX ENERGETIQUES

Depuis plus de 140 ans, le Laboratoire central de la préfecture de police (LCPP) apporte un appui scientifique et technique aux forces de sécurité intervenant à Paris et dans la petite couronne, sur une large palette d’activités, notamment les risques de type explosif, chimique et incendie : colis piégés, Bataclan, incendie de Notre-Dame de Paris, etc.

Comment une si petite structure (moins de 200 personnes) peut-elle relever ce défi et contribuer dans ces domaines à la préparation des JO de 2024 ? Entretien avec son directeur, Christophe Pezron.


La CAIA : qu’est-ce qui permet au Labo d’être à la pointe sur des sujets comme le déminage et la menace incendie, biologique, chimique ou radiologique ? 

Christophe Pezron : Le Laboratoire central est une structure originale au sein d’une entité elle-même atypique, la Préfecture de Police, créée par Napoléon pour garantir la sécurité de tous dans le département de la Seine à l’époque, soit actuellement Paris et la petite couronne. Cette dimension reste d’actualité et le préfet, rattaché directement au ministre de l’intérieur, dispose de plus de 43000 agents dont 27000 policiers et 8500 sapeurs- pompiers.

 

Robot lourd de déminage dans la cour du labo 

A l’origine, on trouve le Laboratoire Municipal de Chimie, créé en 1878 sous l’égide du préfet Gigot pour réduire la fraude alimentaire qui perdurait depuis la Commune. Le directeur du Laboratoire, monsieur Girard, montre rapidement son efficacité malgré les critiques des contrevenants. Afin de les faire taire, le préfet de police crée un conseil scientifique auquel Louis Pasteur en personne participait.

Rapidement, le Laboratoire est chargé d’étudier en outre les incendies catastrophiques comme celui de l’Opéra-Comique ou du Bazar de la Charité. Il participe à l’élaboration de nouvelles réglementations pour la sécurité incendie dans les lieux recevant du public.

Les attentats anarchistes d’alors conduisent à une nouvelle extension des missions avec la création en 1893 du « service des explosifs », premier service de déminage civil en France. La mission de surveillance alimentaire sera transférée à la répression des fraudes en 1905, le Laboratoire Municipal de Chimie conservant toutefois la responsabilité des analyses.

Cet historique est à l’origine de notre ADN : forte imbrication entre les activités de terrain, de laboratoire et les travaux scientifiques. Aujourd’hui, les interventions et enquêtes représentent 45% de notre activité, le laboratoire 40 %, et la prévention (incendie et pyrotechnie) pour 15%.

Nous assurons également trois permanences 24 heures sur 24, sur Paris et la petite couronne :

-  la Permanence Déminage traite chaque année près de 2000 interventions sur des engins explosifs improvisés et des munitions, et 500 missions de sécurisation et prévention ;

-  la Permanence Incendie Explosion, dont la mission est de déterminer les origines et la cause (flagrance) de ces sinistres, à la demande des officiers de police judiciaire (2 interventions par jour en moyenne – N.D de Paris et rue de Trévise par exemple) ;

-  la Permanence Chimie Biologie et Radiologie apporte en urgence des éléments de réponse aux autorités, pour caractériser des substances chimiques, biologiques et ionisantes.

La CAIA : il faut donc une forte implication des membres …

CP : Tout à fait. Non seulement, tous nos experts physico-chimistes ont forcément un pied entre le laboratoire et l’opérationnel, mais aussi une part importante doit être disponible sans délai en cas d’alerte. De même, les démineurs sont constamment mobilisables, sinon, comment pourrions-nous intervenir en 20 mn en moyenne sur des bagages oubliés dans le métro de manière à ce qu’il puisse repartir dans l’heure ? Nous disposons pour cela de véhicules équipés spécifiquement, disponibles en permanence dans notre cour intérieure.

Nous avons aussi la chance de disposer de moyens très performants pour décupler notre efficacité. Cette situation, confortée par la confiance de nos autorités, constitue en elle-même une forme de reconnaissance de la forte implication de nos membres.

La CAIA : au-delà de ces caractéristiques, qu’est-ce qui permet au LCPP de rester en pointe ?

CP : Essentiellement l’étude de l’évolution de la menace (y compris celle induite par les nouvelles technologies) et l’adaptation en continu de ses capacités d’intervention et d’analyse.

Par exemple, à la suite des attentats à l’explosif en Europe, nous avons lancé des travaux d’identification et de caractérisation des explosifs artisanaux. De même, nous menons plusieurs activités de recherche appliquée en lien avec les écosystèmes scientifiques de référence, comme le comportement des foules, la définition des termes sources incendie, nécessaire aux modélisations, la recherche de nouveaux polluants. Les capacités scientifiques du LCPP sont aussi engagées pour accompagner le développement capacitaire de la BSPP (ndlr : Brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris).

Nos partenariats, notamment avec la DGA sont particulièrement riches et fructueux, et nécessaires pour nous permettre de nous adapter à l’évolution de la menace et des technologies. Le meilleur exemple est le dialogue étroit noué avec DGA maitrise NRBC qui nous a conduit à l’acquisition d’automates de diagnostic par amplification de l’ADN pour identifier un agent biologique de la menace.

Nous sommes également férus d’innovation pour augmenter notre capacité d’intervention et d’analyse. Après une réflexion sur les nouvelles menaces, l’unité de déminage a acquis un robot de très forte capacité. Déployé pour la première fois sur le terrain pour sécuriser le défilé du 14 juillet 2021, en commun avec la sphère de confinement(*), il intervenait deux jours plus tard sur une voiture suspecte.

L’organisation des JO 2024 sollicite plusieurs activités du LCPP

En amont, cela concerne la sécurité incendie des infrastructures olympiques et des systèmes à usage de transport ainsi que la définition des stratégies de sécurisation des sites. 

Pendant l’événement, et après la phase de réception technique des bâtiments, nos équipes de permanence seront fortement sollicitées pour la sécurisation des sites au regard des menaces « explosifs » et RBC.

Enfin, le point d’orgue de cette mobilisation sera la cérémonie d’ouverture, pour laquelle nous sommes consultés à plusieurs titres. D’abord concernant la sécurité incendie de l’évènement, puis en tant qu’acteur de la phase de sécurisation, à la fois terrestre et subaquatique, et, enfin par l’application de ses travaux de R&D, en termes de modélisation numérique des foules, pour identifier des situations à risque en lien avec les flux très denses de personnes transitant sur les quais de Seine. 

 

La CAIA : souhaites-tu faire passer un message particulier à l’attention des IA ?

CP : Bien volontiers. Comme je l’ai déjà évoqué, pour travailler au LCPP, il faut aimer avoir un pied dans le laboratoire et l’autre sur le terrain, et s’investir fortement. Nous avons largement de quoi combler les attentes de jeunes IA, surtout s’ils sont férus d’innovation de recherche appliquée (nous accueillons déjà quatre thésards) ou des IA plus expérimentés pour compléter nos compétences. 

* Sphère de confinement : moyen permettant de confiner une explosion d’une charge de 10 kg d’équivalent TNT de manière complètement étanche et de contenir toutes les substances.

 

 

 

 

Christophe Pezron, Directeur du LCPC

Christophe Pezron, ICT, a exercé des responsabilités techniques (programme SECOIA), opérationnelles et de direction (CEB, SRTS et directeur adjoint des opérations) à la DGA avant de prendre la direction du LCPP en 2018.

 

 

Auteurs

Christophe Pezron, directeur du LCPC

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