Retour au numéro
Onde de choc et boule de feu d’une détonation, photographie du Canada Defense Research and Développement 
Vue 195 fois
06 juin 2022

QUAND VOTRE EXPLO FAIT BOUM !
COMBUSTION, DEFLAGRATION OU DETONATION ?

Imaginez. Vous êtes dans la salle de contrôle d’une casemate. Vous attendez fébrilement le déclenchement du tir qui couronnera la campagne d’essais que vous préparez avec amour depuis des mois. Dans une ambiance bon enfant quoique sérieuse, les artificiers lancent les paris sur le résultat du tir. Détonation, déflagration, combustion ?


C’est souvent l’artificier qui gagne... A l’oreille ! Tournant en dérision au passage mon besoin d’ingénieure bégueule de barder l’essai de tous les capteurs possibles et imaginables - et, plaisantaient-ils, ô combien superfétatoires - qui me permettraient péniblement de tirer des conclusions discutables sur le phénomène observé. En attendant d’avoir la chance d’entendre la douce mélodie d’une explosion atténuée par les murs forts d’une casemate de tir, je vous propose quelques considérations théoriques, notamment des définitions tirées du dictionnaire de pyrotechnie du GTPS, la société savante de l’association française de pyrotechnie (AF3P).

Combustion, déflagration, détonation 

Commençons par le plus consensuel. Une combustion est une réaction de décomposition exothermique est auto-entretenue d’un matériau énergétique ou d’un mélange oxydo-réducteur. La zone de réaction se propage de façon subsonique dans l’air. C’est un phénomène relativement lent, sans surpression lorsqu’il se produit à l’air libre, dont le dégagement de produits de réaction est progressif. Il s’agit du mode de décomposition fonctionnel des propergols et des poudres. 

A l’opposé du spectre de la violence de réaction se trouve la détonation. Lors d’une détonation, la réaction de décomposisiton exothermique auto-entretenue par onde de choc se propage à vitesse supersonique dans le milieu, comme illustré dans l’image ci-contre. La réaction est quasi-instantanée. Il s’agit du mode de décomposition fonctionnel des explosifs.

Lors d’une déflagration, phénomène intermédiaire entre la combustion et la détonation, la réaction chimique est pilotée par le transfert thermique par convection et conduction. Elle s’accompagne d’une onde de compression significative dans le milieu. La vitesse apparente de réaction est subsonique dans la matière et supersonique dans l’air. Vous trouverez cependant des experts du domaine qui vous affirmeront que les déflagrations n’existent tout simplement pas et qu’il s’agit tout au plus de combustions très véloces. Et à l’air libre, c’est tout à fait vrai ! Il est très difficile de différencier une déflagration d’une combustion très vive pour un matériau énergétique nu. En milieu confiné, la différence est nette, du fait d’un nouveau critère de caractérisation : la taille des éclats d’enveloppe que je présente infra. C’est pourquoi j’ai indiqué que la combustion était le mode de fonctionnement normal des poudres, alors que confiné dans un canon d’arme, on pourrait arguer que le mode normal de fonctionnement des poudres est la déflagration... 

Notons que j’ai indiqué le mode de décomposition fonctionnel de chaque type de matériau énergétique. Mais en cas d’accident, une poudre peut tout à fait détoner - comme de la poudre noire à Pont de Buis en 1975 - tout comme certains explosifs peuvent accidentellement brûler. 

Ordres de grandeur des vitesses de réaction :

jusqu’à 10 m/s pour une combustion lentede

10 à 100 m/s pour une combustion vivede

100 m/s à 1000 m/s pour une déflagration

plus de 1000 m/s pour une détonation  

 

Ordres de grandeur des surpressions :

pas de surpression pour une combustion ;

jusqu’à 1000 bars pour une déflagration ;

de 10 bars à quelques 100 000 bars pour une détonation.

Oui, ça se recouvre. 

Vous pensiez vraiment que ce serait aussi simple ? 

Confinement et transitions

Cependant, les matériaux énergétiques sont rarement utilisés nus ou à l’air libre. Ils sont souvent confinés : enveloppe de missile, d’obus ou de bombe, corps de propulseur, balle, canon d’arme... Apparaît alors un autre critère que la vitesse de réaction ou l’intensité des supressions enregistrées : la taille des éclats des enveloppes. Lors d’une combustion, même très vive, on retrouve le conteneur déformé, éventré, plus rarement en plusieurs gros morceaux. Lors d’une détonation, l’enveloppe est pulvérisée en petits morceaux hypervéloces, jusqu’à quelques km/s pour les plus légers. Lors d’une déflagration, on peut retrouver des morceaux d’enveloppe de taille intermédiaire, souvent propulsés à bonne vitesse et à bonne distance du lieu de l’explosion. 

Par ailleurs, un matériau énergétique ne réagit jamais de lui-même. Il lui faut un amorçage comme une étincelle, un apport de chaleur, un détonateur, un arc électrique... Intervient alors l’idée de transition. Un phénomène pyrotechnique, aussi rapide soit-il, n’est pas instantané. Même une détonation ne paraît pas spontanément et doit passer par une phase transitoire avant de se stabiliser. Dans le cas où l’apport d’énergie est suffisant, comme avec un détonateur, on parle de transition déflagration détonation ou TDD. Ce phénomène est relativement bien documenté et des modèles fiables existent pour le modéliser. Dans les cas d’accidents ou des nouvelles munitions à risque atténué (MURAT), on peut parler de transition combustion déflagration détonation ou TCoDD, bien plus difficile à modéliser.

Pour une approche plus théorique, je vous invite à consulter les travaux de Chapman, Jouguet, Zeldovich et consorts. 

Vu du terrain 

Nous avons donc vu que nous pouvions départager les trois phénomènes pyrotechniques de combustion, déflagration et détonation selon différents critères purement chiffrés : vitesse de réaction, intensité de surpression, taille des éclats. Mais je laisserai le dernier mot aux artificiers qui ont une autre échelle d’analyse : les chances de survie. C’est seulement dans le cas d’une combustion pas trop vive que vous pouvez avoir le temps de vous échapper et de vous en sortir indemne. C’est d’ailleurs tout l’enjeu des munitions muratisées : brûler au lieu de directement détoner ou déflagrer en cas d’accident pour laisser le temps aux opérateurs de se mettre hors de danger et de déclencher les dispositifs de sécurité (comme le noyage) avant la transition vers la catastrophe. Dans le cas d’une déflagration, l’expérience combinée à de la chance et des réflexes surhumains peuvent vous aider à vous en sortir vivant, mais la probabilité est grande de vous retrouver salement amoché. Dans le cas d’une détonation, vous n’avez tout simplement pas le temps de fuir. N’en déplaise aux plus grands héros cinématographiques qui ont à peine besoin de se recoiffer sous le souffle des dizaines d’explosions qu’ils esquivent de justesse à chaque coin de rue... 

 

Accélération de flamme suivie d’une transition déflagration – détonation (image issue de la revue Combustion and Flame n°176 (2017) p.289) 

 

 

Claude Noisette Narboni

IPA, Chargée d’expertise matériaux inertes non métalliques, DGA/MCM. Après une thèse et un premier poste dans le domaine des matériaux énergétiques, Claude Noisette Narboni a rejoint la DGA pour suivre les projets amont matériaux, notamment en support des programmes missiles.

 

 

Auteur

Articles liés par des tags

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.