IL ÉTAIT UNE FOIS LES PROPERGOLS SOLIDES
De quoi s’agit-il ? (Maréchal Foch X 1871)
"Les propergols solides sont à classer dans la catégorie des matériaux énergétiques, à côté des poudres pour armes et des explosifs, dans la classification poudrière classique. Comme tous ces matériaux, ils se décomposent en produisant une grande quantité d’énergie, sans avoir besoin d’avoir recours à l’oxygène de l’air. Leur mode de décomposition normal est la combustion convective, appelée aussi « déflagration »… Attention ne pas confondre avec la détonation, mode de décomposition normal d’un explosif, où la réaction se propage à l’intérieur du matériau par une onde de choc supersonique…"
Terminologie « moteur fusée à propergol solide. » On dit aussi « moteur à poudre », en anglais : Solid Rocket Motor SRM
Attention : motor = propergol solide Engine = ergols lquides
Voilà à peu près ce qu’on peut lire dans l’introduction des meilleurs cours des meilleures écoles… pas vraiment attractif ! Et pourtant, il s’agit d’une aventure extraordinaire, à la fois industrielle, technique, et …humaine. Cet article n’a rien d’académique. Il s’agit tout au plus d’un témoignage de l’auteur, qui a trempé dans la marmite du propergol à la fin des années 60 à la PNSM (poudrerie nationale de saint-Médard en Jalles)…et qui ne s’en est jamais remis…
À quoi ça sert ? Un propergol, ça sert à propulser…sans utiliser l’oxygène de l’air(1) (rocket propulsion)…en produisant des gaz éjectés dans une tuyère à col sonique… Mais attention, les propergols solides ont des concurrents : les ergols liquides qui exigent d’être injectés dans une chambre de combustion…le bloc de propergol solide est lui-même la chambre de combustion.
Comment ça marche ?
La combustion se fait en couches parallèles. C’est l’apothèose de la géométrie ….la loi de poussée est inscrite dans la géométrie initiale…obtenue par des procédés de moulage/usinage adéquats. L’architecture obligatoire pour les gros SRM est « le moulé collé » Le bloc est placé à l’intérieur d’une structure qui supporte la pression, elle-même protégée par une protection thermique. Il existe des propulseurs segmentés (les très gros : SHUTTLE, ARIANE) ou monoblocs (les gros, les moyens et les petits : missiles balistiques, lanceur VEGA, missiles tactiques)
Quelles technologies pour les propergols ?
En des temps reculés, la poudre noire servait à la fois d’explosif, de poudre pour armes et de propergol. Aujourd’hui, les matériaux sont plus spécialisés, encore que si on raisonne au plan énergétique, la meilleure réponse est l’octogène (HMX)…pour les trois applications.
Le plus énergétique : Monseigneur HMX (octogène)
Mais il n’y a pas que l’énergie dans la vie …il faut faire des arbitrages, qui conduisent aux solutions suivantes
Les plus populaires pour les missiles tactiques :
Poudre SD (sans dissolvant) nitrocellulose + nitroglycérine avec un gélatinisant non volatil)
Poudre EPICTETE, double base, (nitrocellulose + nitroglycérine flegmatisée)
Et pour l’espace et les missiles stratégiques :
Propergol composite classique : élastomère + perchlorate d’ammonium+ aluminium en poudre (combustible).
Le roi de la combustion : sa majesté le perchlorate d’ammonium NH4ClO4
Si on veut encore plus de performances, on passe aux doubles bases composites (nitralanes) nitrocellulose + nitroglycérine +octogène + aluminium… Beaucoup d’explosifs…. Warning !
Pourquoi un tel succès ?
Simplicité, facilité d’emploi…super pour les missiles tactiques…et, en même temps, compatibilité avec un emport dans un sous-marin : dans le match ergols liquides vs propergols solides, ces derniers sont vainqueurs par KO à la première reprise. Ils ont donc été adoptés par la quasi-totalité des missiles balistiques stratégiques.
MAIS SURTOUT, quelles difficultés ?
Faut que ça brûle… régulièrement
Une histoire de combustion…stable ou pas stable ? Si la vitesse de combustion augmente trop avec la pression, le moteur n’a pas de point de fonctionnement stable … les premiers efforts ont donc consisté à rechercher des compositions « à palier de pression »… Mais ce n’est pas tout ! On peut rencontrer des régimes vibratoires par couplage entre la combustion et les modes de cavité, ce qui entraîne des niveaux vibratoires élevés dans des fréquences de quelques centaines d’hertz…Un programme US, le Poséidon C3 et un programme français le M1 ont rencontré ce problème durant leur développement…problème d’autant plus vicieux qu’il dépend des lots de matières premières. En revanche, les modes vibratoires des P230 qui ont longtemps empoisonné l’utilisation d’Ariane 5 ne doivent rien à la combustion : il s’agit de perturbations d’écoulement liées au comportement d’une protection thermique du segment arrière…Le souvenir de ces ennuis, pourtant parfaitement résolus a failli empêcher l’utilisation de SRM pour Ariane 6 ! Les gens sont méchants…
Faut que cela ne soit pas trop dangereux…en fabrication et en utilisation
Propergol…ou explosif ? Certains propergols sont de vrais explosifs : la détonation en masse d’un missile US lors d’un essai en vol en est la preuve : un banal incident de propulsion (perte de tuyère) qui se transforme en apocalypse. En France, ces compositions « nitralanes » ont fait l’objet d’études et ont conduit à l’achat d’un vaste terrain sur la commune de Saint-Jean d’Illac, terrain qui permet aujourd’hui à l’activité SRM de continuer, malgré l’urbanisation de la zone. Ces nitralanes n’ont pas été retenues pour le M5, car les études ont montré que les propergols butalanes associés au grand diamètre autorisé par le SNLE Type le Triomphant avaient de meilleures performances coût/efficacité : pour utiliser la nitralane, il eût fallu redimensionner complètement toute l’infrastructure industrielle et opérationnelle pour la mise en œuvre des missiles. Prohibitif !
Faut que les propriétés mécaniques soient suffisantes
Pour être un bon poudrier, il faut savoir manier les codes aux éléments finis.
Un bloc moulé-collé doit résister au retrait thermique et à la mise sous pression…les premières versions du propulseur 6 tonnes RITA 2 ont conduit au début des années 70 à de très belles explosions à l’allumage, par rupture en fond de dent (il s’agissait d’un bloc usiné axisymétrique)…Il fallait donc redessiner le bloc, mais sur quelles bases ? Un calcul par élément fini était la solution…mais le propergol est incompressible, le coefficient de Poisson étant voisin de 0,5…Et, dans le programme, l’inversion des matrices de Hooke élongation/contrainte conduisait à un moment à une division …par zéro. Il a fallu inventer un artifice mathématique ad hoc pour contourner ce problème inédit… Bravo les matheux !
Faut que la fabrication soit fiable et reproductible…
Une question de polymérisation
Les polymères, il faut que ça polymérise, suffisamment, mais pas trop vite…
Suffisamment : dans la première génération de missile balistique, il y avait un mystère : un propulseur bi-composition avait un taux de remplissage tellement élevé que les calculs montraient qu’il aurait dû se fissurer en refroidissement…or il n’en était rien…Un jour, on s’est aperçu que la polymérisation était incomplète…et donc qu’il finissait la cuisson à 20 °C.
Sauf que, pour certains lots de matières premières, le propergol restait à l’état pâteux. Il a fallu modifier la composition pour augmenter…mais pas trop, la cinétique de polymérisation
Mais pas trop vite : Concernant les P230 d’Ariane 5 des difficultés de coulée ont été rencontrées au cours du programme : la cinétique de polymérisation était trop rapide…et la pâte commençait à prendre en masse pendant la coulée avec certains lots de matières premières. Il a fallu changer de composition au milieu du programme, pour ne pas s’exposer à de graves ennuis en production industrielle. Sage décision !
Faut que le vieillissement soit maîtrisé tout au long de la durée de vie …
ce qui n’est pas le plus facile …les mécanismes de vieillissement obéissant à la loi d’ARRHENIUS comme toute réaction chimique qui se respecte…
Le célèbre RITA2, deuxième étage M2/M20/S3 : 6 tonnes de propergol isolane 40/13…qui a permis aux SNLE de patrouiller dans le golfe de Gascogne
Le passé, le présent et l’avenir
Depuis au moins 60 ans les propergols solides occupent le haut du pavé dans les applications militaires…et ce n’est pas fini…
Au début des années 1960, la Direction des Poudres a relevé le défi de la grosse propulsion, ce qui n’était pas gagné… Son héritage est encore vivant à notre époque, dans une industrie qui s’est largement optimisée au cours des temps. Le S2, le S3, le M1, le M2/M20, le M4, le M51… avec ces différentes versions « point quelque chose »… Superbe lignée. On n’a fait appel qu’à des propergols composites classiques à liant élastomère inerte (polyuréthane, polybutadiène…), NH4CLO4, Al, ce qui est très sage : pas de risque de détonation, même soumis aux agressions accidentelles ou malveillantes les plus extrêmes.
Mais la propulsion à poudre a été battue au moins pour une application : le missile ASMP ; la portée de ce missile et les contraintes d’encombrement et de masse liées à l’emport sous l’avion d’armes MIRAGE 2000 ont conduit à adopter un mode de propulsion aérobie : le statoréacteur…mais pour arriver à la vitesse de fonctionnement, ledit stato a recours à un accélérateur à poudre logé élégamment dans sa chambre de combustion,… où on ne trouve pas d’accroche-flamme, grâce au savoir-faire de l’ONERA.
Pour l’espace, c’est un peu plus compliqué : la catastrophe de Challenger a porté un préjudice certain à l’utilisation pour des vols habités, ce qui n’a pas empêché ARIANE 5, avec deux booster à poudres segmentés de 230 tonnes d’y avoir recours, bien qu’initialement, ce lanceur ait été censé mettre sur orbite l’avion spatial HERMES…abandonné pour des raisons économiques par la suite.
Par ailleurs, le lanceur VEGA constitue un bel exemple d’utilisation des SRM monoblocs pour des petits lanceurs.
Enfin, la première version d’ARIANE 6 s’appelait PPH (poudre-poudre-hydrogène), soit des moteurs à poudre pour les étages principaux, H2/02 pour l’étage supérieur. Pour des raisons principalement industrielles, cette version a été abandonnée au profit de la version actuelle PHH, dans laquelle le moteur cryogénique Vulcain constitue le noyau central, accolé à des propulseurs à poudre, qui ne sont autres que le premier étage de VEGA… Superbe synergie… Mais beau défi économique pour baisser les coûts du moteur Vulcain. La dernière méga commande d’Amazon semble montrer que le pari est en voie d’être gagné. Il n’y a plus qu’à terminer le développement, et produire dans les enveloppes de coût visées…
Pour l’avenir, l’essor du marché des petits lanceurs pour les constellations de satellites ouvre un champ d’applications important.
De plus, aujourd’hui, les propergols solides sont présents dans les applications les plus diverses quand il s’agit de générer des gaz rapidement et sûrement (airbag par exemple).
Ceux qui croient qu’ils ont dit leur dernier mot se trompent lourdement. Lesdits propergols sont prêts à répondre aux défis d’aujourd’hui, défis économiques bien sûr…mais aussi écologiques, notamment en éliminant des produits de combustion les éléments nocifs (HCl, Al203…). Pas de raison d’en douter.
1 : On passera sous-silence les « semi-propergols », pour « statos à poudre ». Un seul cas d’application opérationnelle connu : missile air-air METEOR.
Daniel Reydellet IGA, consultant Affecté d’abord au Service des Poudres, Daniel Reydellet a conduit à la DGA les programmes de propulseur des premières générations de missiles balistiques. Ensuite directeur de programme MSBS, puis directeur des programmes de constructions neuves à DCN, il a été directeur des programmes de la DGA avant d’être nommé Directeur des centres d’expertise et d’Essais. Il dirige actuellement un cabinet de conseil, intervenant dans les domaines technique, organisation et stratégie.
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