DRONES AU HAUT-KARABAGH
Au Haut-Karabagh, les drones étaient (presque) tous armés : quels enseignements ?
Des drones pour neutraliser la défense aérienne... et laisser la place aux drones
Le 9 novembre 2020, un accord de cessez-le-feu mettait fin aux combats entre l’Azerbaïdjan et les Arméniens du Haut-Karabagh. Ce conflit de 44 jours, d’une intensité particulièrement élevée avec des pertes estimées de 3000 à 5000 morts de part et d’autre(1), a notamment mis en lumière un emploi massif des drones et munitions téléopérées par l’Azerbaïdjan. %F%
Une campagne bien préparée, un rôle central des drones
Ayant intégré avec succès une variété et un nombre important de systèmes de reconnaissance et d’attaque pilotés à distance, les Azéris ont confié à ces systèmes une part significative de l’attaque contre des forces arméniennes installées en positions défensives.
Sans engagement de l’aviation de chasse des deux protagonistes, possiblement par crainte réciproque de la DSA adverse ou pour maintenir l’ampleur du conflit sous un certain seuil, les drones azéris ont d’abord joué un rôle déterminant dans la destruction des défenses anti-aériennes (DEAD) arméniennes.
Au bon moment
Mis en œuvre dans le cadre d’opérations méthodiques les associant avec des aéronefs d’ancienne génération sacrifiés pour déclencher l’activité de la DSA arménienne, ainsi qu’avec des capacités ROEM et de guerre électronique permettant à la fois de cartographier et d’aveugler cette dernière, les drones tactiques armés TB2 en particulier auraient été à l’origine de la neutralisation d’un nombre significatif de systèmes mobiles de DSA arméniens déployés sur la ligne de front. Relativement discrets et disposant d’une endurance de vol élevée leur permettant de patienter pour frapper au moment le plus opportun(2), ils ont pu opérer à des altitudes et distances depuis lesquelles ils sont capables de tirer des armements miniaturisés de précision(3), tout en restant hors d’atteinte de l’artillerie antiaérienne et des missiles SATCP portables.
Des opérations DEAD complémentaires ont également visé avec succès les capacités SAMP S-300 arméniennes déployées plus en profondeur. Elles auraient été conduites principalement par des munitions téléopérées Harop d’origine israélienne, spécialisées dans ce rôle.
Une fois la menace DSA arménienne en grande partie neutralisée, les drones et munitions téléopérées azéris ont été employés de façon massive, à la fois en appui-feu rapproché et en interdiction du champ de bataille. Ciblant seuls, ou en association avec l’artillerie (appui direct et appui général), des unités arméniennes de toutes natures déployées à la fois sur la ligne de front et dans la profondeur, ils ont contribué à porter une attrition significative à des forces arméniennes devenues particulièrement vulnérables.
Dès la fin de la première semaine du conflit, ces engins ont ainsi commencé à cibler les unités d’infanterie et de chars arméniennes dans la zone des contacts, s’attaquant précisément à leurs vulnérabilités techniques (blindage de toit limité, absence de détecteur d’alerte laser et de systèmes de masquage par écran fumigène type GALIX) tout en cherchant à exploiter la moindre opportunité tactique.
Leur portée(4), associée à leur endurance, a aussi pu être exploitée pour frapper des objectifs tactiques plus en profondeur. Les drones et munitions téléopérées ont alors été mis à contribution dans une logique d’interdiction du champ de bataille, ciblant, de nouveau parfois seuls, parfois en association avec l’artillerie, les postes de commandement, la logistique déployée et les convois logistiques arméniens.
Orbiter 3, un drone israélien transportable par véhicule emportant 5kg de charge utile juqu’à 150 km
Quelles leçons tirer pour les armées françaises ?
Ce conflit souligne d’abord le besoin en drones et munitions téléopérées pour appuyer les opérations de combat au contact. Il met aussi en lumière la plus-value importante de ces systèmes automatisés aériens pour frapper dans la profondeur. Trois types de vecteurs appellent en particulier l’attention : les munitions téléopérées ; les drones tactiques armés ; les petits drones tactiques.
Discrètes, très précises et pouvant être déployées en nombre pour saturer et percer les défenses adverses, les munitions téléopérées ont une plus-value particulièrement intéressante contre les cibles fugaces ou à la localisation approximative. En complément de l’artillerie, elles permettent de conquérir et conserver la supériorité des feux face à des adversaires souvent fortement dotés en feux d’appui.
Plus discrets et plus simples à mettre en œuvre que les drones MALE armés et pouvant être intégrés dans des boucles plus réactives de ciblage tactique, les drones tactiques armés s’avèrent être un complément précieux pour attaquer, au moment opportun et en restant en dehors des volumes défendus par l’artillerie antiaérienne et les missiles SATCP portables, des cibles tactiques mobiles pouvant aller jusqu’au char.
Ce conflit a enfin souligné l’intérêt des petits drones tactiques, pourtant moins mis en lumière. Capables de mettre en œuvre des charges utiles plus performantes que les drones de contact(5), ne nécessitant pas d’infrastructure au sol spécifique et discrets, ils constituent des outils de choix en particulier au niveau de la brigade pour l’acquisition d’objectifs au profit de l’artillerie, non seulement en appui direct mais aussi désormais en action d’ensemble grâce à une allonge et une endurance se rapprochant de plus en plus de celle des drones tactiques.
Le second enseignement est la nécessité désormais urgente de renforcer la protection des forces face à ces vecteurs permettant de constituer une masse de manœuvre dans la 3ème dimension capable de produire des effets de plus en plus diversifiés, pour une fraction seulement de l’effort que peut représenter la mise sur pied et l’entretien d’une aviation de combat.
Il s’agit donc, pour les armées françaises, de réaliser un effort d’ensemble pour faire face à l’évolution significative de cette menace. Cela nécessite en particulier des capacités de défense sol-air basse couche optimisées pour contrer à la fois des menaces capables de frapper (ou permettre des frappes) à distance relative de sécurité, et des menaces discrètes et nombreuses. Les armées doivent également se doter de capacités plus spécifiquement conçues pour se défendre contre les drones et les munitions téléopérées de contact, tout en poursuivant l’effort initié dans SCORPION sur l’autoprotection des engins.
Ces capacités de défense antiaérienne devront être disponibles en quantité suffisante pour défendre les forces amies déployées à la fois dans la zone des contacts et dans la profondeur. Qualitativement, elles devront être capables de détecter ces aéronefs discrets, en particulier dans les zones non couvertes par les radars de surveillance de longue portée, de résister à la fois à la saturation, y compris par des essaims ou des salves synchronisées, et aux contre-mesures électromagnétiques (brouillage, leurrage). Elles devront enfin disposer d’une allonge suffisante pour contrer les drones armés.
A côté de cet effort en équipement, un accent sera également à mettre dans l’entraînement des forces contre les menaces aériennes, avec un réapprentissage à manœuvrer et à combattre sans supériorité aérienne acquise. Au-delà de la généralisation d’une menace drone dans les exercices des grandes unités et GTIA, il s’agira plus particulièrement de concevoir et conduire une manœuvre antidrones globale, visant aussi bien les drones eux-mêmes que leurs stations sol de mise en œuvre et le système global de ciblage et de frappe adverse. Enfin, il sera nécessaire, au niveau tactique, de réappliquer les mesures simples garantes de sauvegarde comme la dissimulation, la dispersion et le camouflage.
1 : Soit équivalent en volume d’une brigade interarmes pour chacun des deux protagonistes.
2 : Lorsque la DSA n’est plus active (déplacement, ravitaillement…), distraite, aveuglée par du brouillage…
3 : Quatre bombes «miniaturisées» MAM-L de 20 kg pour un drone TB2, tirées à 15 km
4 : Plus de 100 km, y compris pour de petits drones tactiques comme l’Orbiter 3 (30 kg au décollage).
5 : Précision de localisation d’objectifs, éventuellement capacité de désignation laser.
Xavier TAROT, LCL, EMAT/Bureau PLANS Diplômé de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, il a débuté dans l’artillerie sol-air et été déployé à ce titre à quatre reprises en missions en Guyane et en Afrique comme chef de section de tir, officier adjoint puis commandant de batterie de tir MISTRAL. Affecté au début des années 2010 en état-major opérationnel à Paris, il assure le suivi de l’engagement opérationnel de l’armée de Terre au Sud-Liban, en Libye, en Afghanistan, au Sahel puis sur le territoire national. Breveté de l’Ecole de Guerre en 2015, il devient officier de programme à la STAT puis retourne en régiment comme chef de bureau opérations instruction. Il est depuis l’été 2020 l’officier correspondant d’état-major artillerie au sein du bureau plans de l’EMAT.
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