LA LUTTE ANTI-DRONES (LAD)
Conçus pour les loisirs ou des usages civils, les petits drones du commerce ont rapidement été détournés vers un emploi malveillant, voire offensif. La défense contre ces engins petits et proliférants a nécessité le développement de dispositifs particuliers.
Le 15 septembre 2013, un petit drone du commerce perturbait un meeting d’Angela Merkel en venant se poser à quelques mètres de la chancelière allemande. En octobre 2014, sept sites nucléaires EDF étaient survolés par d’autres drones. Ce fut pour ma part, comme responsable des programmes de drones militaires, la première confrontation à une menace qui devait solidement m’occuper quelques années plus tard. Sur le moment, il fallut trouver un vendredi soir, pour le lendemain matin, comment l’on pourrait empêcher de nouveaux survols ! Plus tard, en août 2018, plusieurs drones venaient exploser près du président vénézuélien Nicolás Maduro, blessant plusieurs personnes. On se souvient enfin de la fermeture stupéfiante de l’aéroport de Gatwick en décembre 2018, après l’observation de drones à proximité des pistes.
DISPROPORTION ENTRE LA SIMPLICITÉ, L’ACCESSIBILITÉ, LA FACILITÉ D’EMPLOI DE LA MENACE, ET SON EFFET POTENTIEL
Parallèlement, le détournement des drones de loisir s’étendait aux théâtres d’opérations, d’abord en Iraq et en Syrie où Daech commença à en employer dès 2012… « pour filmer des documents de propagande, mener des missions d’observation, effectuer des tirs indirects, transporter et larguer de petites bombes et des engins explosifs improvisés ». En 2019, au Haut-Karabagh, des drones peu coûteux de différentes tailles et charges utiles, utilisés en combinaison avec les menaces aériennes conventionnelles, visaient à saturer, démasquer les moyens de défense et à diriger les feux pour les détruire.
Dans tous ces exemples, l’on est frappé par la disproportion entre la légèreté, l’accessibilité, la facilité d’emploi de la menace, et son effet potentiel. A Gatwick, 1000 vols furent détournés ou annulés, et 140 000 passagers affectés. L’intégrité d’autorités politiques a été attaquée. Sur les terrains militaires, les armées conventionnelles font face à un pouvoir de nuisance qui n’est plus en proportion des ressources de l’adversaire. Une riposte résolue était donc nécessaire. Si les drones aériens de taille conséquente sont ciblés par les moyens de défense sol-air, les drones du commerce plus légers leur échappent. Il fallait donc concevoir une défense adaptée.
La réponse à la menace des drones malveillants
En France, de premiers moyens furent commandés rapidement dès 2015 et progressivement complétés. Les armées disposent à la fois de systèmes complets de détection et neutralisation, et de fusils brouilleurs individuels. Le développement continu de cette menace a toutefois amené le Ministère à accélérer en 2020 l’effort porté sur la protection de nos forces, de sites sensibles sur le territoire national et des Français lors de grands événements. Une feuille de route incrémentale a été fondée sur une analyse capacitaire pilotée par la DGA et l’Etat-Major des Armées, en lien avec les armées, l’industrie et des instituts et laboratoires de recherche. Elle repose sur des actions de court terme, des acquisitions d’équipements majeures et la préparation des technologies répondant à l’évolution continue des drones.
Les systèmes de lutte anti-drones (LAD) comprennent trois composantes : des capteurs de détection et identification, des moyens de neutralisation, l’ensemble étant coordonné par un système de contrôle et commande (C2).
La détection et l’indentification des petits drones représente le premier défi, puisqu’il s’agit de repérer des engins de dimensions, signature radar, vitesse et altitude de vol très faibles. L’environnement peut compliquer encore la détection, par exemple en milieu urbain où les masques et objets mobiles sont nombreux. Cette détection repose sur des moyens électromagnétiques (radars ou goniomètres), et optroniques. L’observateur humain, avec ses yeux et ses oreilles, a toute sa place.
Le moyen principal de neutralisation repose sur deux vulnérabilités des drones actuels : le besoin d’une liaison avec le pilote du drone, et leur localisation par satellites. Ils sont ainsi doublement sensibles au brouillage dans les diverses bandes de fréquences utilisées. Lorsque la conception du drone est connue, il peut également être tenté d’en prendre le contrôle en se substituant au pilote.
L’AUTONOMIE CROISSANTE DES DRONES LES IMMUNISERA À TERME CONTRE LE BROUILLAGE
Toutefois, l’autonomie croissante des drones les immunisera à terme contre le brouillage ; elle appelle donc des réponses nouvelles. La DGA travaille ainsi sur des technologies de rupture, et observe également l’innovation du secteur civil pour soutenir et capter les idées prometteuses. Il s’agit de préparer une gamme étendue de moyens, adaptés aux différents cadres d’emploi. Ainsi, si la neutralisation immédiate et sur place est généralement privilégiée, elle est mal adaptée à l’interception d’un drone dangereux qui évoluerait au-dessous d’une foule. On préférerait dans ce cas capturer le drone, pour le déposer dans un endroit choisi.
La première innovation de rupture soutenue par le Ministère est celle des lasers, qui visent à neutraliser les drones en les endommageant de façon irréversible par échauffement du point visé. Après des essais très prometteurs du laser « HELMA P » de l’entreprise française CILAS, menés sur le site de Biscarosse de la DGA en 2020 et 2021, le Ministère des armées s’attache à perfectionner cette technologie notamment en termes de puissance, et à préparer un premier emploi opérationnel. Un autre type d’armes à énergie dirigée est également considéré : les armes électromagnétiques, qui ne sont pas des brouilleurs mais visent à perturber le fonctionnement de l’électronique embarquée du drone en y créant des courants perturbateurs, suivant des modalités soigneusement définies.
Concernant l’innovation ouverte, une analyse de marché menée en 2019 par l’Agence d’Innovation de Défense (AID) a révélé l’inventivité foisonnante du secteur privé mondial, avec 240 concepts d’interception identifiés, suivant une dizaine de grandes méthodes, tels que les canons lance-filets, les drone percuteurs ou le « hacking ». Pour exploiter cette richesse, un appel à projets lancé en 2021 par l’AID permettra d’évaluer en 2022 plusieurs concepts innovants de drones intercepteurs de drones.
Enfin, ces nouveaux modes d’action contre une menace récente requièrent un cadre juridique adapté. La loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement a consolidé le cadre l’emploi du brouillage des drones malveillants. Les travaux se poursuivent avec la Direction des affaires juridiques du Ministère des armées pour préparer l’emploi des modes de neutralisation de rupture.
On le voit, une course de fond est ainsi engagée contre une menace largement accessible, qui évolue au rythme rapide de l’innovation civile. La réponse n’a pas le choix, elle doit être aussi rapide, innovante et toujours préparer le coup suivant.
Nicolas CordierLallouet, ICA, Architecte du système de défense Aéromobilité - surveillance – protection Après quelques années au Centre d’essais en vol, Nicolas Cordier-Lallouet a occupé des fonctions techniques et de management en direction de programme. Il a notamment été directeur des programmes de drones, directeur du programme M51 et directeur adjoint de l’unité de management « Hélicoptères et missiles ». Depuis 2020, il est architecte du système de défense Aéromobilité - surveillance – protection.
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