LE FUTUR DE LA GUERRE DES MINES
PASSE PAR LES DRONES
L’avènement des drones dans le domaine de la guerre des mines navales est inéluctable. En effet, ils permettent d’une part de protéger les marins de la menace en leur évitant de pénétrer dans le champ de mines, et d’autre part, apportent des gains en temps, en efficacité et en moyens humains potentiellement considérables. C’est un véritable changement de métier qui se profile. La France, avec son programme de Système de Lutte Anti-Mines Futur (SLAMF), est en pointe dans ce domaine.
La guerre des mines, une absolue nécessité
La sécurisation des chenaux empruntés par les SNLE et le groupe aéronaval, le libre accès à nos ports militaires et de commerce, ou encore la libre circulation des marchandises dans les détroits sont autant de priorités stratégiques qui relèvent en partie du domaine de la guerre des mines. On a vu récemment que le blocage du canal de Suez par un navire échoué pendant quelques jours avait engendré un désordre mondial et coûté des centaines de millions d’euros. Une mine navale aurait pu créer le même effet, il est donc essentiel d’avoir une capacité de détection de ces menaces.
Pourquoi des drones ?
Au 21e siècle, envoyer des hommes au milieu d’un champ de mines pour les détecter et les neutraliser apparait incongru quand on sait qu’un drone pourrait faire le job. De plus, cartographier une large zone avec un sonar est une tâche répétitive et qui n’a pas besoin d’être exécutée sur place, l’analyse des images récoltées pouvant se faire à terre et en temps différé. C’est sur cette base qu’est né le programme SLAMF au début des années 2010. Simple étude amont au départ, le projet s’est structuré en programme autour d’une coopération sur les drones avec le Royaume-Uni, menée par l’Occar sous le nom MMCM (Maritime Mines CounterMesures) et confiée à Thales. Après une phase de développement d’environ 5 ans, le programme a été officiellement lancé à l’automne 2020 avec la commande d’un premier lot de série pour les deux nations.
Le SLAMF met en œuvre deux types de drones : des USV en surface (unmanned surface vehicule) et des AUV sous-marins (autonomous underwater vehicule). Les USV peuvent, selon la charge utile qu’ils embarquent, détecter les mines ou les neutraliser. La détection est réalisée avec un « poisson remorqué » intégrant des sonars latéraux et pouvant plonger jusqu’à 200 mètres de profondeur. La neutralisation fait appel à un robot téléopéré mis à l’eau depuis l’USV qui vient déposer une charge explosive au contact de la mine jusqu’à 300 mètres de fond. Les AUV se limitent à détecter les mines, mais ont d’autres avantages comme la discrétion ou l’absence de conflit avec le trafic maritime de surface.
Le programme a franchi un jalon important fin novembre 2021 avec la livraison des systèmes prototypes à la Marine nationale et la Royal Navy. Les évaluations opérationnelles qui seront réalisées pendant 2 ans permettront de collecter de nombreux enseignements, afin notamment d’ajuster le concept d’emploi et de mise en œuvre des drones. En effet, ce programme est une transformation en profondeur pour la composante de guerre des mines de la Marine nationale et l’évaluation du prototype sera l’occasion d’en mesurer l’ampleur.
Quels gains avec l’emploi de drones dans la guerre des mines ?
Les drones permettent d’envisager des gains dans plusieurs domaines à court ou moyen terme.
En premier lieu, l’utilisation de drones permet d’éloigner l’homme de la menace, à la fois des mines en évitant de pénétrer dans la zone minée et des menaces côtières lors d’opérations extérieures en restant hors de portée à bord du bâtiment de guerre des mines (BGDM), qui fait l’objet de la suite du programme SLAMF.
D’autre part, les drones permettent de gagner en efficacité et en ressources humaines en automatisant des tâches répétitives. Les drones peuvent réaliser des missions de longue durée dans des conditions de navigation difficiles sans besoin d’interruption pour une relève d’équipage.
Enfin, les drones de guerre des mines, comme tous les drones, présentent un caractère « consommable ». Néanmoins, compte-tenu du coût d’acquisition élevé en raison d’une production marginale, tout est mis en œuvre pour éviter leur perte !
A titre d’illustration, il est prévu que les drones du programme SLAMF prennent le relais de la surveillance du goulet de Brest par lequel transitent les SNLE, actuelle mission des trois bâtiments remorqueurs de sonars (BRS) armés chacun par une vingtaine de marins. Quelques drones sous-marins mis en œuvre par une poignée d’hommes pourraient se relayer pour sillonner la zone en continu et récolter beaucoup plus de données.
« ÉLOIGNER L’HOMME DE LA MENACE »
Les drones, la panacée ?
Les défis sont nombreux avec l’emploi des drones et le domaine de la guerre des mines navales n’y échappe pas. Les drones apporteront une aide précieuse, mais ne résoudront pas tous les problèmes, voire en apporteront de nouveaux.
L’insertion des drones de surface dans le trafic maritime est un point majeur de préoccupation. En effet, il ne suffit pas de pouvoir tout contrôler à distance ou d’avoir développé un logiciel d’autonomie pour pouvoir utiliser le drone, il faut avoir confiance dans le fait qu’il pourra appréhender correctement son environnement proche, se signaler et éviter tous les trafics conflictuels en appliquant les règles de navigation en vigueur et se comporter de manière adéquate en cas d’imprévu (panne ou navire en détresse aux alentours).
L’utilisation intensive de drones, associée à des sonars plus performants, va générer une masse de données considérable à traiter. Des solutions sont en développement comme des algorithmes d’intelligence artificielle pour analyser les images sonar ou l’autonomie du drone lui permettant de modifier lui-même sa mission pour se focaliser sur les objets suspects et en faciliter l’identification. Cependant à ce jour, ni les drones ni les algorithmes n’ont atteint un niveau de maturité permettant de leur faire totalement confiance et de se passer d’opérateur, mais ce temps viendra.
La réglementation est également un sujet d’inquiétude. Récemment, le ministère de la mer a publié une ordonnance pour encadrer l’utilisation de drones dans le domaine maritime, mais celle-ci exclut les drones à usage militaire. Comme ce qui s’est fait dans d’autres domaines, la réglementation militaire devra s’inspirer des textes civils et les adapter au juste besoin. Dans ce domaine, on apprend en marchant, ou plutôt en navigant !
Quid des autres pays ?
L’utilisation de petits drones sous-marins équipés de sonars « side scan » pour la guerre des mines est déjà très répandue en raison du faible coût d’acquisition et de l’absence d’infrastructure nécessaire. En revanche, s’équiper de drones de surface tractant des sonars immergés à antenne synthétique requiert de maitriser de nombreuses compétences et coûte nettement plus cher, limitant de facto les pays candidats.
En Europe, la France et le Royaume-Uni sont associés au travers du programme MMCM. La Belgique et les Pays-Bas ont signé en commun en 2019 un contrat relatif à un programme similaire incluant des drones sous-marins, de surface et aériens. L’Italie a lancé début 2021 un nouveau programme de chasseurs de mines emportant des drones, mais ces derniers ne sont pas encore définis.
Singapour mène également un programme d’USV dédié à la guerre des mines, en partie réalisé par des industriels français. De nombreux pays hors d’Europe se sont montrés intéressés par le concept développé par la France et le Royaume-Uni.
USV avec son sonar remorqué en jaune (crédit Thales)
Sylvain BUSSIERE, ICA, Directeur de programme SLAMF Après un premier poste à l’AIA de Bordeaux, Sylvain BUSSIERE (X01, Supaéro) rejoint la DGA à Paris pour occuper plusieurs postes techniques dans les programmes d’hélicoptères. En 2017, il se tourne vers les achats dans les programmes navals, puis en 2020, prend la direction du programme de renouvellement de la capacité de guerre des mines.
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