EN MER, UNE LIBERTÉ ÉTROITEMENT ENCADRÉE
L’encadrement technique de la marine marchande couvre de très nombreux domaines, dans une interaction permanente entre les Etats, les organisations internationales, les sociétés de classification, les assureurs, l’industrie maritime, etc.
L’encadrement des activités en mer repose en premier lieu sur la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, établie en 1982 à Montego Bay (Jamaïque) et entrée en vigueur le 16 novembre 1994. Toutefois, cette convention pose des principes mais ne peut rentrer dans le détail des modalités. C’est pourquoi d’autres organismes, plus spécialisés, interviennent également, selon une organisation où la rigueur cède souvent le pas au pragmatisme.
De la prescription au contrôle
L’Organisation maritime internationale (OMI) prescrit de nombreuses dispositions, applicables à tous les navires au-dessus d’une certaine taille ou bien seulement à certaines catégories de navires (les vraquiers, par exemple). Ces dispositions figurent dans une quarantaine de conventions, dont les plus connues et les plus abouties sont la Convention sur le sauvetage de la vie humaine en mer (SOLAS) et la Convention sur la prévention de la pollution marine (MARPOL) ; elles font appel à des directives et des codes élaborés par l’OMI ou bien à des normes internationales de l’ISO, l’UIT, etc. Il est intéressant de noter qu’aujourd’hui l’OMI ne prépare aucune nouvelle convention : elle amende les conventions existantes ou élabore des directives ou des codes. Il faut y voir le signe que le corpus normatif a atteint sa maturité, puisqu’il couvre aujourd’hui le navire tout au long de sa vie, de la conception au démantèlement en passant par les opérations. La dernière convention adoptée est en effet celle sur le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires, et la France a été le 3ème Etat à y adhérer, le 4 juillet 2014. Même si l’entrée en vigueur de cette convention prendra vraisemblablement plusieurs années, le temps de réunir la ratification de 15 Etats représentant 40 % du tonnage de la flotte mondiale et 3 % de la capacité mondiale moyenne de recyclage, ses effets positifs se font déjà sentir : en effet, l’OMI a établi de 2010 à 2014 un ensemble de directives permettant d’homologuer les chantiers de démantèlement ou de doter les navires d’un inventaire des matières dangereuses, et la plupart des armateurs qui commandent aujourd’hui des navires exigent que ceux-ci disposent d’un tel inventaire conforme à la convention.
Par principe, l’Etat du pavillon est chargé de contrôler le respect de ces prescriptions : il délègue fréquemment ce contrôle à la société de classification qui a classé le navire, après avoir accordé à celle-ci un agrément moyennant des audits réguliers. Les sociétés de classification ont graduellement assumé un rôle majeur en matière de sécurité des navires : si, initialement, elles contrôlaient le navire pour le compte de l’assureur (rôle privé), elles en viennent aujourd’hui à prescrire les solutions détaillées, à en vérifier l’application sur dossier puis lors de la construction et des essais, et à conseiller l’armateur en cas d’accident ; enfin, elles délivrent au navire les certificats statutaires pour le compte de l’Etat du pavillon.
Face aux pressions économiques, ce dispositif de contrôle ne peut fonctionner qu’en présence de contre-pouvoirs forts. Au premier niveau, l’Etat du pavillon doit exercer des contrôles, assortis de sanctions, sur les sociétés de classification auxquelles il a délégué ses prérogatives. Beaucoup d’Etats, y compris des pavillons de libre immatriculation, ont mis en place des dispositifs sérieux mais il subsiste des failles. C’est pourquoi la plupart des Etats se sont organisés régionalement, en concluant des mémorandums d’entente, juridiquement non contraignants, pour inspecter les navires qui font escale dans leurs ports selon des standards communs, et partager les résultats de ces inspections : ainsi, un navire qui présente des déficiences graves, techniques (absence ou non fonctionnement d’équipement), opérationnelles (incapacité de l’équipage à mettre en œuvre des systèmes de sécurité) ou administratifs (certificats absents ou périmés) est immobilisé au port (voire interdit d’escale en Europe), forçant son armateur à subir un manque à gagner et à payer des frais d’escale supplémentaires. C’est là la véritable sanction pour les navires sous normes.
Un nouveau niveau de contrôle vient de se rajouter récemment : l’OMI a mis au point un système d’audit de ses Etats membres, qui était jusqu’à présent volontaire mais qui deviendra obligatoire en 2016. A ces contrôles étatiques s’ajoutent des contrôles privés : certains affréteurs de navires, les majors du pétrole par exemple, ont ainsi instauré des systèmes collectifs d’inspection des navires, sur leurs propres critères.
Le Long Range Identification and Tracking system (LRIT)
Afin de mieux surveiller la circulation maritime, l’OMI a instauré depuis 2009, en amendant la Convention sur la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS), un système de suivi océanique des navires marchands : le Long Range Identification and Tracking system (LRIT). Les navires de plus de 300 unités de jauge en navigation internationale doivent émettre automatiquement, toutes les 6 heures au moins, leur identification et leur position. Ces informations sont transmises via les satellites INMARSAT à des centres à terre qui peuvent s’échanger les positions, selon un système de droits et de facturation complexe ; les Etats doivent désigner un centre qui reçoit les positions des navires battant leur pavillon. Un ensemble de normes régule ce dispositif, et l’OMI a chargé l’Organisation internationale des télécommunications mobiles par satellites (IMSO) d’en surveiller le bon fonctionnement. La société française CLS est un des acteurs majeurs de ce système. Ainsi, la position des navires est connue de l’Etat du pavillon, de l’Etat du futur port d’escale, et des Etats côtiers situés à moins de 1 000 milles du navire.
Les gardes armés à bord
Face à l’explosion de la piraterie dans l’Océan indien de 2007 à 2013, les Etats, l’industrie maritime et les institutions internationales se sont mobilisés. Les Etats ont envoyé des bâtiments et des aéronefs de patrouille maritime, et ont mis en place des programmes d’aide au développement des capacités régionales en matière de surveillance des zones maritimes et de poursuite des pirates – et ce généralement dans un cadre communautaire pour les Etats membres de l’Union européenne. L’OMI a établi le Code de conduite de Djibouti, qui a réuni 20 Etats riverains de l’Océan indien pour améliorer la réglementation maritime, créer un centre de formation régional pour les administrations maritimes et mettre en place des centres de concentration et de partage des informations relatives à la piraterie. Les compagnies maritimes ont très rapidement embarqué des gardes armés à bord des navires, excepté en cas d’opposition de l’Etat du pavillon : cette pratique a donné lieu au développement d’un marché de la protection maritime, généralement capté par des sociétés britanniques qui, après quelques difficultés initiales, ont proposé à l’OMI (via une association accréditée auprès de l’OMI) une réglementation « molle », constituée de lignes directrices qui donnaient des conseils aux compagnies maritimes et aux Etats. Cette démarche a permis de diffuser aux navigants les meilleures pratiques de protection des navires, et de conseiller les compagnies maritimes sur le choix d’une société de protection ; elle a également permis aux Etats d’identifier les dispositions propres à encadrer l’action des sociétés de protection, qu’il s’agisse de leurs opérations ou de leur homologation.
Les juristes de droit latin feront valoir qu’une réglementation molle ne saurait autoriser l’emploi de la force létale par des agents privés. Les juristes de droit anglo-saxon ont fait valoir que la réponse de l’OMI permettait à chaque acteur de mieux prendre ses responsabilités, et qu’en cas de débordements concrets un juge trancherait…
En France, la loi n° 2014-742 du 1er juillet 2014 a autorisé et encadré l’action des entreprises privées de protection des navires, alors que jusqu’à présent seules étaient autorisées les équipes de protection embarquées de la Marine nationale, équipes en nombre insuffisant pour protéger tous les navires navigant dans la zone à haut risque.
Un paysage normatif holistique, pragmatique et protéiforme
Qu’il s’agisse des rejets d’ordures, d’eaux de ballast, de résidus de cargaisons, d’eaux de cale mazouteuses, de fumées ou de CO2, ou bien que l’on s’intéresse aux opérations des navires, depuis la conduite nautique et le chargement des containers jusqu’au sauvetage, à la protection contre les incendies, les voies d’eaux, les phénomènes météorologiques ou les pirates, il existe un cadre normatif. Ce cadre est établi par des organismes très divers, même sur une seule thématique, ce qui donne aux textes un statut, et donc une valeur légale, variables ; fréquemment élaborés en réponse à des accidents, ils ne sont pas toujours cohérents entre eux. Ainsi, les opérateurs doivent conduire leurs activités dans un paysage normatif développé et mouvant, qui s’améliore graduellement.
Le transport de produits pétroliers raffinés fait l’objet d’une réglementation complexe
Eric Berder, IGA
Eric Berder, ICA, RAPPORTEUR À LA COUR DES COMPTES X80, ENSAé, Eric Berder a travaillé pendant une quinzaine d’années dans les centres d’essais de missiles de la DGA avant de rejoindre le programme Horizon, à Londres (1997-1999) puis à Paris (1999-2001). Il été ensuite sous- directeur de la sécurité maritime à la Direction des Affaires maritimes du Ministère chargé des transports (2001-2009), puis représentant permanent adjoint de la France auprès de l’Organisation Maritime Internationale (Londres, 2009-2013).
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