OÙ EN EST NOTRE INDUSTRIE NAVALE
Au moment où je passe la main à Patrick Boissier pour la présidence du GICAN (Groupement des Industries de Construction et Activités Navales) et après plus de 40 ans passés au service de cette industrie, il est intéressant de regarder le chemin parcouru et d’examiner celui qui se présente devant ceux qui animeront cette industrie demain.
Suivant que l’on regarde en France ou en Europe, la différence est grande !
Suivant que l’on se place au niveau européen ou au niveau français, l’analyse est radicalement différente. Commençons par le plus simple ou du moins le plus rapide, c’est à dire le point de vue européen. L’analyse est malheureusement très courte : rien ne s’est passé dans cetteindustrie en Europe depuis plusieurs décennies. Aucune alliance ne s’est nouée entre pays européens, seuls ont eu lieu quelques projets limités et éphémères entre la France et l’Italie sur les frégates et un divorce entre la France et l’Espagne dans le domaine des sous-marins conventionnels. Le bilan est donc bien décevant. Mais pour coopérer il faut au moins être deux et avoir un minimum d’appétit pour s’engager. Quand il y en avait, c’était pour « dévorer » le savoir fairede DCNS ! Celui de l’Allemagne ou de l’Espagne pour les sous-marins sans contrepartie, ou encore celui de l’Italie pour les torpilles sans en payer le prix.
DCNS, une évolution structurante pour notre industrie navale
Si, par contre, on se place au niveau français, le bilan est beaucoupplus encourageant. Une consolidation ambitieuse s’est construite autour de DCNS qui était loin d’être évidente il y a quinze ans. Début 2000, au moment où Alain Richard, ministre de la Défense, m’a demandé de prendre la responsabilité de la Direction des Constructions Navales, le projet consistait à créer une entreprise d’ingénierie navale dirigée par Thales. Elle aurait regroupé Thales naval France et l’ingénierie de DCN, laissant le reste de DCN au sein de l’Etat. Ce ne fut pas le projet que je défendis devant le ministre car je pensais que le navire armé constituait un système très intégré et que l’ensemble de la chaîne de valeur de ce système, de son développement à sa réalisation et à son entretien, devait faire partie de la même entreprise. Les compétences très spécifiquesde DCN, nécessaires à la maîtrise de ces systèmes navals, ne pouvaient être séparées si l’on voulait les développer et les valoriser à l’export et auplan national. C’est à ce prix que l’on a pu tenir par exemple le calendrier et le budget du SNLE le Terrible. J’ai eu la chance que le ministre soutienne ce projet et participe personnellement à sa mise en œuvre par la transformation directe de DCN, alors une administration au sein de la DGA, en société de droit privé le 1er juin 2003. Ce fut une aventure collective passionnante où tous les acteurs, politiques, administrations, partenaires sociaux, conseils extérieurs, et bien sûr l’équipe de direction de DCN ont joué leur partition en recherchant le plus souvent l’intérêt supérieur du bien commun et en acceptant les compromis indispensables à son atteinte. Cette évolution majeure pour l’industrie navale française a permis une première clarification indispensable de son paysage industriel.
Les grands acteurs s’organisent également
Une deuxième avancée a été réalisée en 2007 par l’intégration dans DCNS de l’activité « systèmes navals » de Thales en échange d’une prise de participation. Elle a permis de supprimer une concurrence franco-française qui n’avait pas sa place compte tenu du marché existant en France et à l’export et compte tenu des nombreux autres acteurs existants en Europe et dans le monde.Enfin, même si son importance est moindre, les relations entre DCNS et Saint-Nazaire ont été pacifiéeset une réelle coopération a pu se nouer entre ces deux grands acteurs.Ainsi en 15 ans, en France, on peut constater que beaucoup de chemin a été parcouru pour structurer notre industrie navale et la rendre plus cohérente et plus forte pour affronter le grand large. Des succès importants remportésà l’export confirmentcette analyse : sous-marins en Inde, au Brésil, bâtiments de surface en Malaisie, contrat en Arabie saoudite.
Patrouilleur Ferlo, livré au Sénégal en 2013
La profession s’organise aussi
Au plande l’organisation de la profession, plusieurs actions structurantes ont également étémenées. En France, deux syndicats professionnels existaient, l’un pour la défense, l’autre pour le civil. Ils ont fusionné en 2004 et ont intégré ensuite plusieurs autres syndicats (équipementiers navals, réparation navale, systémiers navals). Le nouveau GICAN est devenu ainsi le fédérateur de l’industrie navale française, hors plaisance, apportant une meilleure visibilité de la profession auprès des autorités françaises et auprès des instances européennes. Un mouvement de même ampleur a été réalisé au niveau européen, sous l’impulsion du GICAN, avec la fusion des syndicats européens, CESA pour les chantiers et EMEC pour les équipementiers, conduisant à la création à Paris de SEA EUROPE en juin 2012.
Depuis 15 ans, en France, beaucoup de chemin a été parcouru pour structurer notre industrie navale et la rendre plus cohérente et plus forte pour affronter le grand large. Ceci étant, on ne peut être totalement satisfait. La solidarité indispensable entre les acteurs de la filière reste à construire; c’est de la responsabilité des dirigeants, petits ou grands. Plus de dialogue, moins d’égo sont necessaries. |
Il reste une grande marge de progrès
Ceci étant, si on peut se féliciter de ce qui a été fait depuis 15 ans en France, nous ne pouvons pas être totalement satisfaits. Oui, une clarification réelle et positive a été menée entre les grands acteurs industriels français : DCNS, Saint-Nazaire, Thales en particulier. Mais l’industrie navale ne s’arrête pas là ! Il y a beaucoup d’autres acteurs de qualité à entraîner dans cette dynamique. 70 chantiers existent en France, certes de taille moyenne ou petite mais dont les compétences sont réelles et multiples. D’autres acteurs, équipementiers, réparateurs, coopérants, architectes navals, participent à enrichir l’offre de ce secteur aux armateurs et aux Marines nationales. On ne peut pas dire que les relations soient optimales entre tous : maîtres d’œuvre avec coopérants, maîtres d’œuvre avec équipementiers, chantiers entre eux. Il y a là une marge de progrès considérable pour arriver au même degré de solidarité que l’on constate en Allemagne par exemple. C’est de la responsabilité des dirigeants, petits ou grands, de trouver les chemins de cette solidarité indispensable qui n’est pas antinomique de concurrence mais qui met davantage d’intelligence dans les rapports. Plus de dialogue, moins d’«égo » sont nécessaires. Le GICAN a lancé un plan d’action dans ce sens doté d’un budget conséquent. A la profession d’en faire un outil efficacede progrès.Parallèlement, il convient de relancer les discussions au niveau européen. Certes il faut des projets concrets pour donner de la substance à ces efforts de coopération et ce n’est pas toujours simple d’en trouver mais encore faut-il en avoir la volonté et s’y préparer.Bon vent à ceux qui sont à la barre !
Jean-Marie Poimbœuf, IGA
Après l’X, SupAero et l’université de Cornell aux Etats Unis, Jean Marie Poimboeuf commence sa carrière en 1970 au sein de la DCN où il assume différentes responsabilités: production, commerce, organisation, à Toulon, Paris et Lorient. En 1998, il est nommé directeur des centres d’expertise et d’essais de la DGA et en janvier 2000 directeur de DCN. Il conduit la transformation de DCN en société de droit privé, le 1er juin 2003, dont il devient PDG jusqu’en janvier 2009, atteint par la limite d’âge. Parallèlement de 2004 à juin 2014 il préside le GICAN, syndicat professionnel qui regroupe aujourd’hui l’ensemble des acteurs de l’industrie navale française hors plaisance.
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