QUELLES PERSPECTIVES POUR LES PETITS CHANTIERS NAVALS ?
Hors DCNS qui emploie les deux tiers des effectifs de la construction navale française, et derrière STX et les entreprises de taille intermédiaire que sont CNB, PIRIOU, CMN, OCEA et SOCARENAM, ce sont environ 70 chantiers navals de petite taille, PME et TPE, qui connaissent des fortunes diverses, résistant globalement bien, et fortement présents à l’export.
Leurs marchés sont très variés : patrouilleurs et navires de surveillance rapide, vedettes à passagers, navires de soutien à l’éolien offshore, vedettes de pilotage, de sauvetage, vedettes spécialisées (hydrographie, dépollution, etc), plaisance, sans oublier le secteur traditionnel de la pêche, qui fait actuellement l’objet de plusieurs projets très innovants.
Répartis sur l’ensemble des façades maritimes, ils constituent à l’évidence un ensemble hétérogène, très morcelé, sujet périodiquement à des disparitions, des changements de périmètre et des créations, et dont les acteurs sont soumis à des contraintes inhérentes à l’activité ou à la petite taille des entreprises :
- des bateaux réalisés à l’unité ou en très petite série, ce qui limite les possibilités de mise en place de process industriels répétitifs et les gains de productivité en découlant ;
- des plans de charge en dents de scie incitant à la prudence dans l’accroissement des effectifs ;
- une multiplicité de métiers et de compétences nécessitant une grande pluridisciplinarité des collaborateurs ;
- des marges qui limitent la capacité d’investissement ;
- des règlements et normes légitimes, mais souvent plus contraignants que ceux auxquels peuvent être soumis des chantiers concurrents à l’étranger ;
- une complexité de lecture des opportunités commerciales qui peuvent apparaître partout sur la planète, venir d’acteurs très variés, étatiques, paraétatiques, entreprises, et suivre les voies les plus diverses en termes de publicité, et de sélection des offres. L’action commerciale en amont et l’accès à l’information « grise » sont déterminants, et les moyens d’une PME ou d’une TPE en la matière souvent trop limités.
Face à ces contraintes, les architectes, les motoristes, les équipementiers et les chantiers sont appelés à innover en permanence. Cette innovation est multiforme :
- l’architecture, avec des formes de plus en plus optimisées grâce aux progrès des logiciels qui prévoient les efforts et les mouvements du navire, pour améliorer la sécurité, avec des timoneries entièrement suspendues, augmentant le confort des équipages ;
- la propulsion, avec des consommations et émissions réduites, avec des dispositifs plus intégrés, permettant de supprimer éventuellement les lignes d’arbre et les gouvernails ;
- les nouveaux matériaux, comme les biocomposites, ainsi que de nouvelles méthodes de réalisation des structures, exploitant les synergies avec d’autres secteurs comme l’aéronautique ;
- l’ergonomie, avec le développement de la réalité virtuelle qui permet d’immerger l’utilisateur dans son futur bateau afin d’optimiser les aménagements, la disposition des commandes, ou des apparaux.
Dans cet environnement complexe, et au risque de sembler à contre-courant d’une ambiance souvent dominée par le pessimisme ou la critique, je pense que les petits chantiers navals français bénéficient d’un environnement et d’un accompagnement institutionnel favorable, en particulier :
- le crédit impôt innovation, mieux dédié à nos activités que le crédit impôt recherche, qui accompagne l’effort d’inventivité conduisant au nécessaire renouvellement des gammes pour adapter nos bateaux aux nouveaux enjeux environnementaux ;
- l’accompagnement des collectivités territoriales, sur l’investissement, la formation, le numérique, etc., souvent complexe, mais analysé et exploité efficacement à travers les relais locaux que sont les chambres consulaires ;
- l’accompagnement thématique national à travers le programme « Navire du Futur » et le nouveau programme « OCEANS 21 » géré par le GICAN, qui concerne l’ensemble de la supply chain et dont les PME attendent maintenant les déclinaisons concrètes ;
- le soutien de la COFACE pour les démarches à l’export ;
- les structures collectives dont se sont dotées les entreprises elles mêmes pour accroître ensemble leur efficacité, comme, dans notre secteur spécifique, Bretagne Pôle Naval ou Neopolia dans les Pays de Loire. Ces structures permettent efficacement de défricher les nouvelles opportunités et de « chasser en meute », le seul frein étant la concurrence résiduelle sur des produits comparables entre membres de chacune de ces structures. Elles répondent plus efficacement que les pôles de compétitivité aux besoins des PME et TPE, notamment à travers le montage d’offres industrielles collectives, le virtual bidding.
Les marchés de renouvellement ou d’extension des flottes de ces « bateaux de travail » ou « workboats » ont des perspectives raisonnablement bonnes à long terme du fait de la bonne tenue du trafic maritime, des nombreux projets de développement d’infrastructures portuaires dans le monde, et plus globalement de l’accroissement de la population vivant près du littoral.
Mais comme partout, la concurrence est féroce, et le paysage français comme européen continuera d’évoluer. Des rapprochements horizontaux ou verticaux interviendront. L’innovation et la maîtrise des coûts sont les clés de la compétitivité des entreprises qui sauront s’adapter au contexte et pourront se développer en Europe comme à l’international plus lointain.
L’EXPERIENCE PERSONNELLE Pouvoir apporter, fût-ce en dernière partie de carrière (hélas), son expérience ou simplement son temps auprès d’une PME ou d’une TPE industrielle est une grande chance. Etre de plus l’ensemblier final d’un produit emblématique d’une région, d’une tradition, d’une mission, directement liée à la sécurité en mer, ne peut que décupler l’enthousiasme du très modeste marin que je suis. Recevoir la visite du Président de la République au chantier, ou plus récemment jouer le cobaye pour un essai de retournement de bateau en mer sont des moments et des souvenirs intenses qui illustrent la densité de la vie de cette petite PME bretonne. Chaque livraison est chargée de fierté et d’émotion partagée par tous les salariés. Voir immédiatement le résultat de ses décisions et de son travail, notamment en matière d’emplois maintenus ou créés est un stimulant incomparable, qui fait oublier la modestie des mille et une tâches quotidiennes. Je souhaite à mes jeunes camarades de vivre de l’intérieur la vie des PME, si possible plutôt en début de carrière, par exemple en bénéficiant du dispositif d’affectation temporaire dans l’industrie, grande ou petite. A la DGA ensuite de valoriser à leur juste valeur les expériences industrielles dont elle tirera tout le bénéfice.%F%
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Un exemple de petit chantier naval : SIBIRIL TECHNOLOGIES L’entreprise est issue du chantier naval Ernest Sibiril, qui trouve ses origines au 18ème siècle (!), longtemps dédié à la pêche et aux vedettes à passagers, situé à Carantec, dans le Finistère nord. Après restructuration en 2011, notamment l’abandon de l’activité réparation au profit de la construction neuve et du refit, SIBIRIL TECHNOLOGIES est durablement installé sur le marché des vedettes professionnelles à hautes performances, notamment pour l’action publique en mer : - le pilotage maritime. Les 32 stations de pilotage de métropole et d’outremer utilisent plus d’une centaine de vedettes (et plusieurs hélicoptères) qui assurent par tous les temps le transport des pilotes entre les ports et les navires à servir. Cent mille opérations de pilotage environ sont menées chaque année ; - le sauvetage en mer, plus précisément la mission de la SNSM (Société Nationale de Sauvetage en Mer) qui dispose d’une flotte d’environ 600 bateaux, des petits semi-rigides jusqu’aux Canots Tout Temps (CTT) qui interviennent dans les conditions extrêmes et dans les zones plus difficiles. Ces deux segments de marché illustrent bien la devise du chantier: Tough Boats for Rough Seas. Connaissance approfondie des spécificités de chaque utilisateur, aptitude à innover, réactivité, rigueur dans la tenue des cahiers des charges et des délais sont les fondamentaux indispensables pour rester et croître dans un secteur de niches où subsiste une forte concurrence domestique comme internationale. Associé à plusieurs architectes navals de renom, le chantier maîtrise l’ensemble des technologies de fabrication de structures en composites, réalise les études détaillées et tous les aménagements, l’installation motrice et des auxiliaires. Plus de 120 vedettes militaires, de pilotage, de sauvetage et navires divers ont été livrés depuis 1979, en métropole, en France d’outremer et à l’étranger. Dix bateaux sont en commande au 1er octobre 2014.
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Vedette de 14,30 m pour le pilotage du port de Dunkerque
François Jouaillec, IGA
François Jouaillec (X71, ENSTA) a commencé sa carrière à la DRET, puis à l’ONERA il a dirigé le centre de Toulouse, puis la direction de la stratégie. Il a créé et dirigé le pôle de compétitivité Aerospace Valley jusqu’en 2008. Il intervient depuis au sein de plusieurs PME industrielles ainsi qu’en consultant, sur les problématiques liées à l’innovation. Il a également enseigné la mécanique théorique pendant douze ans à l’X.
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