H1N1 CHRONIQUE D’UNE PANDÉMIE MONDIALE ANNONCÉE
Les pandémies grippales ont profondément marqué l’histoire sanitaire mondiale du XXème siècle : La grippe espagnole (H1N1) de 1918-1919 (entre 40 et 100 millions de morts), celle asiatique (H2N2) de 1957 (3 millions de morts), celle de Hong Kong (H3N2) de 1968 (2 millions de morts).
L'émergence du virus H5N1, hautement pathogène, même si quasiment non transmissible d’homme à homme, en 1996, va mettre les autorités sanitaires mondiales sous vigilance extrême. Les autorités publiques travailleront à la mise en place de plans de prévention, pour le jour où une nouvelle pandémie arrivera…
Et, le 29 avril 2009, l’OMS sonne l’alerte générale : la planète est sous la menace d’une nouvelle pandémie grippale en provenance du Mexique. Un virus porcin (H1N1) a acquis la capacité de se transmettre de l’homme à l’homme.
Pour la première, et seule fois de son histoire à ce jour, la France va être confrontée à une crise sanitaire potentiellement majeure qu’elle voit arriver et va pouvoir, et surtout devoir, préparer.
J’étais alors directeur adjoint de cabinet de Roselyne Bachelot, en charge des crises sanitaires…
Menace sanitaire mondiale
Les pandémies grippales sont considérées, par les experts, comme l’une des pires menaces sanitaires auxquelles l’espèce humaine peut être confrontée. L’émergence d’un nouveau type de virus, face auquel les défenses immunitaires sont démunies, lui confère une capacité de propagation exponentielle, doublée d’une proportion de cas graves potentiellement très élevée en fonction du caractère pathogène du virus. Cette mutation du virus semble devoir intervenir 3 fois par siècle environ…
En outre, la multiplication des échanges sur une planète mondialisée peut encore accroître la cinétique des épidémies, face à laquelle les rythmes de production des vaccins sont notoirement insuffisants pour couvrir la population mondiale malgré d’intenses travaux préparatoires.
L’émergence chez les volailles du virus H5N1 chez les volailles, extrêmement pathogène, en Asie, à la fi n des années 90, fi t craindre aux autorités sanitaires mondiales l’imminence d’une nouvelle pandémie. Les plans de prévention se multiplièrent, accompagnés de commandes massives de masques de protection et de pré-réservations de vaccins.
29 Avril 2009, l’alerte mondiale est déclenchée
L’OMS tire la sonnette d’alarme. Un nouveau virus H1N1 se propage rapidement au Mexique. Venant d’une grippe porcine, il a acquis une capacité de transmission interhumaine. La planète va être confrontée à sa première pandémie du XXIème siècle.
Rapatrié d’urgence d’un week-end en province, je rejoins immédiatement la cellule de crise du ministère. Le début de longues semaines, de mois, d’une extrême intensité. Deux conférences de presse par jour, une réunion quotidienne de la cellule interministérielle de crise co-présidée par les ministères de la Santé et de l’Intérieur, suivie d’une réunion interministérielle sous l’égide de Matignon. Point de situation autour du Président de la République…
La grippe : un virus hautement mutant
Un plan de prévention national à adapter
Gérer, coordonner, communiquer, en situation de grande incertitude… Quelle sera la pathogénicité de ce virus qui semble se répandre très rapidement ? Les experts réunis autour de la ministre divergent. En quelques jours les États-Unis sont touchés. Un télégramme confidentiel des services au Mexique laisse entendre que les autorités locales minimisent l’ampleur du désastre et que certains hôpitaux ne peuvent plus fonctionner faute de médecins… Je n’aurai jamais l’explication de ce texte… Le Président demande que nous défendions l’interruption des vols en provenance du Mexique. Mesure sans doute contre-productive, puisque favorisant la dispersion du virus par comportement de contournement. Nous la défendons mollement à Luxembourg devant nos homologues européens.
Les employés des aéroports ne relèvent pas tous des mêmes ministères et les moyens de protection mis à disposition divergent. Certains menacent d’exercer leur droit de retrait… Le premier cas importé est attendu avec fébrilité… Il finira par venir. Pris en charge depuis l’aéroport par ambulance sécurisée puis à l’isolement dans un service de médecine spécialisé en maladies infectieuses. Les suivants le seront de la même façon. Renvoyer ces cas chez les médecins généralistes ? Tout simplement impensable dans un premier temps. Il faudra attendre fi n juin et une meilleure connaissance de la gravité des cas pour lever l’opposition absolue des médecins. C’est dans ce contexte qu’il faut commencer à organiser la campagne vaccinale…
Dès le 4 mai, 6 jours seulement après l’alerte, GlaxoSmithKline (producteur du vaccin) m’appelle pour demander la position de la France en termes de commandes. Il n’y en aura pas pour tout le monde. Le Président américain vient d’annoncer qu’il prévoit de couvrir la totalité de la population US (à double dose, soit 600 millions de doses prévues). C’est tout simplement la capacité mondiale de production de vaccins qui peut être préemptée ! Et la France a passé des pré-résevations, mais auprès de Sanofi -Pasteur et de Novartis, qui sont en retard en terme de développement par rapport à GSK… L’enjeu est majeur. La France qui a connu le sang contaminé, l’amiante, l’hormone de croissance, la canicule, le chikungunya à la Réunion, les accidents de radiothérapie d’Epinal et de Toulouse, la France ne peut pas passer à côté d’un rendez-vous où elle peut enfin protéger sa population d’une crise sanitaire annoncée. La réunion interministérielle qui décidera des 92 millions de doses succédera à une réunion, sur un tout autre sujet, de restriction budgétaire drastique en contexte post Lehman Brothers. Pour autant, l’arbitrage ne souffrira d’aucune contestation.
Reste à en organiser la logistique. Confi er la vaccination aux médecins généralistes ? Quasiment impossible… Même s’ils l’ont beaucoup reproché ensuite. Compliqué pour des raisons logistiques. Le vaccin sera livré en multi-doses et dans un premier temps au comptegouttes. Très compliqué de répartir les précieux fl acons sur plus de 50 000 médecins, souvent non équipés de frigos et de garantir leur utilisation optimale (séquences de 10 personnes à vacciner, faute de quoi une partie des doses se périme en 48 h). Dangereux pour des raisons de sécurité. Comment demander aux médecins d’imposer l’ordre de vaccination ? De refuser l’adolescent de 16 ans quand sa petite sœur sera, elle, vaccinée car prioritaire ? Impossible lorsque le choix a été fait, en juin, des centres de vaccination, alors que les médecins refusaient alors de prendre en charge médicalement les quelques cas importés qui revenaient d’Amérique. Comment leur demander en sus de se mettre en perspective de vacciner en plein pic pandémique à l’automne ? L’histoire est toujours plus facile à réécrire a posteriori… Et la contestation légitime, mais objectivement indue.
L’heure du bilan
Les médecins se sont sentis écartés et leur soutien à la vaccination amoindri. La France, pays de Pasteur et de Mérieux, reste l’une des nations les plus ambivalentes par rapport à cette avancée majeure en termes de santé publique. Les médias traditionnels quant à eux, ne résistent pas à la force des réseaux sociaux. Dispensateurs d’une information de qualité en début de crise, ils se sont progressivement fait l’écho de messages orientés et délétères sur le sujet sans que les autorités publiques ne parviennent à retrouver une crédibilité médiatique.
Gérer une crise d’ampleur nationale est peuplé de grandes et de petites histoires : compiler l’ensemble des fi chiers des diverses caisses d’assurance maladie (une première en France) pour établir l’ordre de vaccination, mais devoir quasiment traiter à la main les personnels des crèches hautement prioritaires ; commander 92 millions de seringues serties alors qu’il eût fallu pouvoir changer les aiguilles entre reconstitution des doses et injections ; se rendre compte que les vaccins sont autorisés sous procédure européenne ce qui rend obligatoire la présence d’un médecin dans le parcours d’accueil des candidats à la vaccination, alors que les centres étaient initialement organisés sans, au regard des règles prévalant pour la grippe saisonnière habituelle ; utiliser par mesure d’économie le tarif lent de la poste pour les bons de vaccination et ne pas voir les bons arriver au rythme escompté pour coller à la livraison des vaccins, répondre en urgence aux demandes d’une monarchie du Golfe soucieuse de voir la famille royale vaccinée… Le catalogue des errements et anecdotes non prévus dans le plan national, mais malgré tout résolus, sont innombrables et pourraient occuper bien des soirées au coin du feu…
La pandémie grippale ne sera pas aussi sévère que certains le prévoyaient. Tous ceux qui ont contribué à sa gestion ne peuvent que s’en réjouir. C’est autant de vies sauvées.
Sa gestion aura été regardée au microscope : 2 enquêtes parlementaires, un contrôle de la Cour des comptes et une instruction par la brigade fi nancière, classée sans suite, se sont penchés sur la question. Reste à espérer que les enseignements auront été tirés pour la suivante… Qui pourrait s’avérer plus sévère.
La grippe H1N1 reste à ce jour l’évènement ayant conduit dans l’histoire de France au plus grand nombre de retombées médiatiques cumulées depuis la guerre d’Algérie.
François HÉBERT, ICA Directeur général délégué, Etablissement Français du Sang (EFS) | |
François Hébert a occupé divers postes à la DGA avant de rejoindre le cabinet de la ministre de la Santé en mai 2007 en tant que conseiller, chef du pôle alerte sanitaires, et d’en être directeur adjoint en janvier 2009. Il a été directeur général adjoint de l’Agence française de sécurité des produits de santé. Depuis le 1er décembre 2016, il est directeur général délégué de l’EFS. |
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