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01 février 2017

MÉDICATION DE GUERRE : PRINCIPE DE PRÉCAUTION ET ENJEUX OPÉRATIONNELS

De nouvelles substances sont introduites lors de la guerre du golfe, traitement contre les neurotoxiques et Modafinil. Le débat n'est pas clos.


La lutte contre les neurotoxiques : principes de précaution

Les militaires ont longtemps disposé d’un médicament préventif contre les neurotoxiques, la Pyridostigmine. Dans le civil, ce médicament est largement prescrit par des médecins généralistes, notamment pour des troubles intestinaux ou gastriques. Il est réputé n’avoir aucun effet sur la capacité de conduire.
Les doses à la disposition du SSA pour la guerre du Golfe sont moitié de celles que tout médecin peut dispenser en France à ses patients. Toutefois l’usage de la Pyridostigmine à titre préventif a été restreint pour l’armée de l’Air, une étude américaine laissant un doute sur ses effets sur la capacité des pilotes. Dans l’armée de Terre, les ordres n’ont pas toujours été transmis de façon claire, ni traçable.

Plus tard, un traitement « de deuxième génération » est issu des recherches de la DGA/DRET (Direction des Recherches, Etudes et Techniques) et du SSA (Service de santé des armées) en coopération internationale. Il s’injecte par une seringue spéciale mélangeant 3 produits : Atropine, Valium et Pralidoxine (les lots de seringues seront achetés aux Pays-Bas au titre d’achats croisés). Il est beaucoup plus efficace contre certains neurotoxiques que l’atropine seule. Les pilotes pouvaient l’utiliser seulement en traitement d’urgence en cas d’intoxication. Ailleurs, on observe doutes, non-respect des consignes, voire automédication, aux conséquences potentiellement dommageables, et en conséquence des « flottements » de la communication ultérieure du ministère de la Défense.

Précaution maximale, performance minimale ?

Dans le civil aussi

Le code du travail comporte plus de 200 articles sur le risque biologique et chimique. Les laboratoires de biologie des hôpitaux militaires font partie, avec ceux de Grenoble et de Marseille, antennes de l’Institut de recherche biomédicale des armées (Irba), du réseau national des laboratoires « Biotox – Piratox ».

Mais le danger des neurotoxiques n’est pas un argument pour administrer des substances non autorisées, puisqu’il faut attendre l’arrêté du 14 novembre 2015 autorisant l’utilisation de sulfate d’atropine, solution injectable 40 mg/20 ml PCA antidote des neurotoxiques organophosphorés, pour que les secours puissent utiliser l’antidote contre les armes chimiques.

Le Modafinil dans la guerre du Golfe : pour quelques heures d’éveil de plus

La France a développé dans les années 1980 une substance « éveillante » (nom de code Virgyl) plus connue sous le nom de Modafinil. Les recherches ont été menées par le Centre d’Etudes et de Recherche de Médecine Aérospatiale (CERMA) du SSA, en collaboration avec un laboratoire pharmaceutique.
L’intérêt était évident pour les pilotes, les contrôleurs aériens, les conducteurs de poids lourds ou les unités spécialisées comme les commandos parachutistes. De plus, il s’agissait d’éviter des modes de dopage peu contrôlés qui pouvaient être prescrits dans des conditions mal maîtrisées, comme les amphétamines.

Juste à temps pour la guerre du Golfe, le Modafinil était prêt et avait fait l’objet de nombreuses expérimentations sur l’animal et d’une brève expérimentation sur huit volontaires (opération Dauphin, en décembre 1990) dont les conclusions sont positives puisque le « Virgyl » permettait la conservation des pleines capacités malgré une privation de sommeil de 48 à 60 heures. On avait même vérifié qu’il n’y avait pas d’incompatibilité entre le Modafinil et les médicaments de lutte contre les neurotoxiques, sur des singes rhésus intoxiqués.

Un SSA méfiant

Selon le comité d’éthique du SSA, réuni avant cette expérimentation humaine, le Modafinil est une substance « ... efficace et pratiquement dépourvue d’effets secondaires » mais il faut définir les conditions d’emploi sur l’homme « avant que son usage ne soit autorisé, usage qui ne pourrait être qu’exceptionnel et sur ordre des instances hiérarchiques supérieures ».
Toutefois les risques de détournement ou d’excès sont notés : pour le comité d’éthique, « il est très grave de s’engager dans la voie de l’usage à des fi ns non thérapeutiques de ce type d’agent pharmacologique. Il émet les plus expresses réserves vis-à-vis d’une généralisation de son emploi. L’expérimentation projetée chez l’homme ne doit être entreprise que pour déterminer les conditions de son emploi dans des conditions tout à fait exceptionnelles, l’ordre d’utilisation de la substance ne devant être donné que par une des plus hautes autorités de la Défense nationale ».


Primum non noscere

Un emploi militaire variable

En janvier 1991 ce médicament a été livré aux forces, avec consigne de limiter son utilisation « à des situations opérationnelles dont l’évaluation appartenait au commandement, lui seul étant à même d’en ordonner l’emploi. »

Il faut noter que sur le territoire national, sans autorisation de mise sur le marché préalable, son emploi est normalement interdit. L’armée de l’Air avait limité l’emploi et défi ni une procédure d’autorisation :
- demande d’emploi par le Commandant d’unité ou le Commandant de bord ;
- autorisation sur place par le Commandant des Eléments Air, ou par le commandement d’emploi pour les missions au départ de la métropole ;
- prescription par le médecin de l’unité dans le strict respect de la posologie, avec des cycles de sommeil imposés.
Dans l’armée de Terre, chefs de corps et médecins ont eu des interprétations variables, d’autant plus que les informations (posologie, précautions) n’étaient pas toujours diffusées. Aujourd’hui la chaîne de commandement est clarifiée, des spécialistes NRBC aux référents qualifiés dans les unités.

« PRENDRE UN RISQUE POUR SE PROTÉGER D’UN RISQUE PLUS GRAND ENCORE ; UTILISER DES PRODUITS DOPANTS POUR ÉVITER LES ACCIDENTS OU ACCROÎTRE LES PERFORMANCES : LA RÉGLEMENTATION NE SUFFIT PAS POUR TROUVER LE JUSTE ÉQUILIBRE »

Régularisation et déontologie

Le Modafinil a reçu l’autorisation de mise sur le marché (A.A.M.), avec des restrictions pour éviter un usage autre que thérapeutique en 1992, donc bien après la guerre du Golfe.
Sur le terrain en 1990, comme le note un rapport d’inspection, la notice explicative était précise, mais pas authentifiée par une autorité du Service ; l’idée d’une prescription médicale sur ordre du commandement n’était pas claire. Le Modafinil est destiné à améliorer les capacités opérationnelles mais ce n’est ici ni un médicament ni un vaccin, et pose un problème déontologique : pour parler brutalement, le médecin ne peut ni être solidaire d’un usage de drogue (ni a fortiori en décider l’emploi) ni laisser les forces juger seules de l’emploi d’une substance développée par le SSA.

Finalement, le Modafinil a été efficace, sans effet secondaire, mais sans que le SSA puisse savoir exactement le nombre de militaires concernés alors qu’il s’agissait pourtant d’une molécule nouvelle.

Il reste de la place pour les pionniers

La lutte contre les effets des neurotoxiques, le développement et l’emploi du Modafi nil posent des questions qui rappellent les armements nouveaux, mais qui soulèvent plus que ces derniers des problèmes de décision individuelle. Peut-on se doper pour gagner la guerre, comme un coureur pour gagner le tour de France ?
Peut-on utiliser des substances pas encore agréées ?
Les militaires en OPEX sont-ils dispensés de l’agrément civil ?
Quelles sont les responsabilités de la hiérarchie et des spécialistes ?

En conclusion personnelle, je dirais que la stricte application de règles ne mène nulle part, mais également que la constitution de règles saines prises isolément mène à une situation sans issue. C’est peut-être cela qu’on reproche à Bruxelles : la bonne foi bloquante. Et c’est ce qui fait peur mais fait notre valeur : la responsabilité devant les choix impossibles.
Et aujourd’hui, où sont les pionniers ? Tout simplement dans la complexité et dans les développements parallèles des capacités des opérateurs et des machines puis dans leur intégration tout en respectant les principes de précaution du jour. Il y a du boulot !


Denis PLANE, IGA
 
Denis Plane a dirigé le Service technique des technologies communes, dont la division «  Sciences de l’homme  » comprenait plusieurs médecins et pharmaciens
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Auteur

Denis Plane, a commencé sa carrière sous le signe du naval à Toulon puis au STCAN. Passant par les missiles, le service technique des systèmes navals puis le service technique des technologies communes, il dirige la direction des programmes de la DGA jusqu’en 2003. Voir les 29 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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