TABLE RONDE SUR LA PROLIFÉRATION NRBC : LE CAS CHIMIQUE
Avec la ratification en 1997 de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques par de nombreux Etats, nous pensions en avoir fini avec leur utilisation. La multiplication d’actes terroristes et les conflits récents ont montré que leur emploi reste une menace réelle et sérieuse.
En août 2016 une commission d’enquête concluait à l’emploi d’armes chimiques en Syrie. Sur les 9 cas sélectionnés d’utilisation présumée, 2 ont été attribués aux forces gouvernementales syriennes et un autre au groupe terroriste Daech. La commission a constaté des faits similaires à Kafr Zeïta (avril 2014), à Qaminas (mars 2015) et à Binnich (le 24 mars 2015). Les autorités soudanaises en auraient perpétrés dans la région de Jebel Marra et Amnesty International dénombrerait plus de 200 morts. L’ONG s’est appuyée sur divers documents et témoignages des survivants, les signes cliniques et les symptômes entrevus pourraient tout à fait provenir d’une exposition à des agents vésicants tels que l’ypérite (HD), l’oxime de phosgène (CX) ou la lewisite (L), aux émanations reconnues, moutarde putride, œuf pourri, poivre ou bien encore insecticide, chlore ou sulfure.
L’utilisation terroriste de l’arme chimique est également redoutée sur le territoire national. Le Premier ministre, après les attentats du 13 novembre, évoquait devant les députés le « risque d’armes chimiques ou bactériologiques » dont l’organisation Etat islamique pourrait faire usage en France. En 1994, l’attaque terroriste au sarin par Aum dans le métro de Tokyo a été un énorme choc pour la société nippone (13 morts et 6 000 intoxiqués).
Rappelons que l’arme chimique est une idée vieille comme le monde. Elle remonte à au moins 4 000 ans. C’est par exemple l’utilisation d’écran de fumées toxiques, ou l’empoisonnement de puits avec le champignon de l’Ergot de seigle. Mais c’est la Première guerre mondiale qui marque le début de la guerre chimique moderne.
C’est le 22 avril 1915 près d’Ypres que le tournant dans l’utilisation industrielle de l’arme chimique a eu lieu. Les Allemands ouvrent les vannes de 6 000 bouteilles de chlore et relâchent 168 tonnes sur un front de 6 kilomètres de large. Un épais nuage blanchâtre a infiltré les tranchées alliées. L’effet est immédiat. Cette attaque constitua pour les autorités militaires et politiques alliées une surprise totale.
La période de mai 1915 à juillet 1917 fut marquée par la recherche de nouveaux produits, comme le phosgène et l’acide cyanhydrique. Les vecteurs ont été adaptés comme la Livens Projector, car les nuées dérivantes étaient alors mal maîtrisées. Les études sur de nouveaux agents se concentrèrent sur deux aspects complémentaires : la toxicité et la persistance. Parmi eux, l’ypérite ou gaz moutarde s’imposa et devint le « symbole » de cette guerre particulière, premier composé sans application civile, fabriqué spécialement pour servir d’arme chimique.
Nous arrivons au protocole de Genève de 1925
Dès 1919, la question de la prohibition des armes chimiques se pose. Les négociations pour un régime de contrôle réciproque des Etats s’engagent lors de la conférence navale de Washington.
C’est en juin 1925 que le « protocole de Genève » fut adopté par les participants prohibant l’utilisation d’armes chimiques et bactériologiques et ratifié par une quarantaine de pays. Il ne comportait aucune procédure de vérification. Ainsi la plupart des pays, dont la France et la Grande Bretagne, se réservèrent le droit d’utiliser les armes chimiques de riposte.
Cela conduisit naturellement au réarmement chimique entre les deux guerres
Les recherches militaires continuèrent. En violation du traité de Versailles, l’Allemagne poursuit secrètement des travaux, avec le soutien de la Russie dans le cadre d’un accord top - secret. Notons également l’utilisation de l’ypérite par l’Italie de Mussolini pour la conquête de l’Abyssinie.
Les travaux d’IG Farben sur de nouveaux insecticides, conduisent alors à découvrir une nouvelle famille d’agents. Ce sont les agents neurotoxiques organophosphorés, d’abord le « Tabun » (1937). Le Sarin sera synthétisé en 1938 et le Soman en 1944. Néanmoins, Hitler refusa de s’en servir contre les alliées craignant probablement une riposte. Ceux-ci, outre d’un stock considérable d’ypérite, disposeraient d’armes bactériologiques (anthrax).
Vient ensuite la guerre froide et la constitution dans chaque bloc d’un arsenal militaire chimique, avec la production à l’échelle industrielle des agents neurotoxiques.
Dans les années 1950, cet arsenal sera complété par le VX, plus toxique, extrêmement persistant. Dans les années 60, l’OTAN considère que le stock soviétique s’élève à 150 000 tonnes d’agents chimiques (ypérite et agents neurotoxiques), correspondant à un quart des munitions d’artillerie. Pourtant les pays qui ont développé ces arsenaux ne les emploient pas dans les confl its qui ont émaillé la période. Comme les armes nucléaires, ils étaient destinés à un affrontement massif. On passera pudiquement sous silence les défoliants utilisés massivement lors de la guerre du Vietnam.
Arrive alors le véritable tournant : la signature à Paris en 1993 de la convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC). Ratifi ée par la France en 1995, elle entre en vigueur le 29 avril 1997. Elle s’établit sur trois principes fondamentaux : interdiction complète des armes chimiques, destructions des arsenaux existants, régime de vérifi cation sous l’égide d’une institution indépendante (l’OIAC), disposant d’inspecteurs. C’est l’un des plus grands succès en matière de désarmement général.
Toutefois si la fi n de la destruction des armes chimiques russes et américaines est prévue pour 2023, le cas syrien reste un point d’inquiétude.
Et en France ?
C’est à un laboratoire de la DGA qu’est dédiée l’analyse des toxiques de guerre :
- c’est le seul laboratoire en France, accrédité COFRAC 17025, désigné auprès de l’OIAC pour la réalisation d’analyses prévues au titre de la CIAC depuis 1998. Il participe aux très exigeants exercices inter-laboratoires (type Round Robin) ;
- intégré dans le réseau national des laboratoires Biotox-Piratox, il est le seul disposant d’une capacité d’analyse des toxiques de guerre ;
- il est également désigné pour l’analyse d’échantillons biomédicaux.
C’est au Service de santé des armées d’intervenir au travers de son centre de recherche pour la recherche des contre-mesures médicales au sein de l'Irba, de la Pharmacie centrale des armées et des Hôpitaux d’instruction des armées qui possèdent l’expérience pour le traitement des blessés contaminés.
Mais aussi des efforts en matière de défense NRBC
Dès les années 2000, la France a lancé un programme intégrant le risque terroriste. Ce programme R&D interministériel, piloté par le SGDSN avec le soutien du ministère de la Défense, comporte une partie de travaux confi ée au CEA notamment. Ils sont menés depuis une quinzaine d’années dans tous les domaines : CMM, détection, protection et décontamination, avec des solutions innovantes. La France développe les moyens au travers d’opérations d’armement ambitieuses, traitant de détection, de protection individuelle ou collective et de décontamination.
Citons une nouvelle génération de produits, comme le futur masque des pilotes d’avion (EPPAC) en cours de qualifi cation, les équipements de protection (programme Félin), l’équipement du fantassin, ou encore le futur ensemble de protection individuelle NRBC des armées (EPIA).
CONCLUSION
Le spectre de l’arme chimique commençait à s’éloigner, malheureusement les conflits récents (Syrie/Irak) ainsi que les risques terroristes sur le territoire national nous ramènent à la réalité. Cette arme de destruction et de désorganisation massive, sait s’allier aux toutes dernières modernités (il est fait récemment état de l’utilisation de gaz moutarde par Daech avec comme vecteur des drones…). Plusieurs pays avec l’OIAC mettront en place des dispositions visant à criminaliser et juger toute action qui serait contraire à la convention. L’établissement de la preuve d’utilisation d’un toxique du tableau 1 de la CIAC n’est plus suffisant et il s’agit bien d’identifier celui qui a utilisé ces armes, mais aussi ceux qui les ont fabriquées. La France agit sur toutes les facettes de la prévention et de la gestion des risques NRBC. Elle ne travaille pas seule et a mis en place des coopérations avec de nombreux pays. L’action se conduit, en amont comme en aval d’une possible agression, au profit des forces armées, mais aussi de la protection du public sur le territoire national. Le ministère de la Défense y joue un rôle central, avec l’Intérieur et la Santé, principalement sous l’égide du SGDSN, qui coordonne l’effort national.
Un jour l’emploi de l’arme chimique sera relégué dans le passé. C’est certainement notre vœu le plus cher. Néanmoins, si le chemin est éclairé, restons vigilants.
ACTUALITE : DAECH PROJETAIT D’INTÉGRER DE L’ARMEMENT CHIMIQUE SUR MISSILES |
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L’Etat islamique en Irak et au Levant avait pris en décembre 2012 le bataillon 111, unité de guerre chimique de l’armée de Bachar el Assad, et aurait récupéré en 2014 des stocks de gaz moutarde irakiens ayant échappé aux destructions des années 90 conduites sous contrôle international. | |
Cette détention a été confirmée notamment par des tirs d’obus au gaz moutarde le 9 mars 2016 à Taza, dans le sud de l’Irak. Mais il semble que Daech ait été sur le point de se doter de capacités de projections sur de longues portées. Des militaires irakiens et français viennent en effet de découvrir, dans une résidence de Mossoul, des corps de missiles ainsi que plusieurs agents chimiques destinés à y être intégrés. L’avance des troupes de la coalition n’a heureusement pas permis à l’Etat islamique de mettre son projet à exécution, mais cette découverte oblige à redoubler de vigilance. |
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