MANAGEMENT BÉNÉDICTIN ET BIÈRE DE SAINT WANDRILLE
Les auteurs spirituels ont toujours inspiré les décideurs. Un rapide survol de la littérature spécialisée va nous en convaincre, avant d’examiner de plus près ce que saint Benoît, saint Ignace de Loyola et saint Bernard de Clairvaux peuvent nous dire en matière de management et de gouvernance. Un coup d’œil sur les activités économiques de l’abbaye Saint-Wandrille en Normandie, clôturera cette promenade en management spirituel.
De nombreux ouvrages se proposent de transposer la vie spirituelle à la vie économique : l’encadré en donne un aperçu très partiel (et partial), pour s’en tenir au seul christianisme.
On se souviendra ici de l’article de Jim Collins dans la Harvard Business Review juillet-août 2005 : « Level 5 Leadership : the Triumph of Humility and Fierce Resolve ». . Le prolifique bénédictin allemand Anselm Grün : (« Management et accompagnement spirituel », « Diriger les hommes et les éveiller à la vie », « Le Moine et l’Entrepreneur » avec Jochen Zeitz, alors dirigeant de Puma), etc. . Les publications des EDC (www.lesedc.org) sur des sujets tels que « Pouvoir et autorité du dirigeant » (07.2013), « Responsabilité sociétale de l’entreprise » (11.2013), « L’entreprise au service de qui ? » (07.2005) etc. . « Ethique et entreprise » de sœur Cécile Renouard, assomptionniste (éditions de l’Atelier, 2013) . « Quand les décideurs s’inspirent des moines » (toutes religions confondues) de Sébastien Henry, Dunod 2012. . « En quête de sens », du Père Marie-Pâques, cistercien (éditions Abbaye de Lérins, 2012). . « Invitation au Leadership authentique » de François-Xavier Migeon, Eyrolles 2013. . « Le leadership vertueux » d’Alexandre Dianine-Havard (Virtuous leadership - an agenda for personal excellence - Scepter Publishers, 2007). . « Le Seigneur te fera réussir dans toutes tes entreprises », de Laurent Challan-Belval, (X74), Editions des Béatitudes, 2013. . et toute l’école néo-aristotélicienne du management « par les vertus » (Argandona, Solomon, Shanks et alii). |
Certaines approches ont davantage fait leurs preuves que d’autres. En voici trois, qui reposent toutes sur une connaissance approfondie de l’être humain et de la vie en société, éprouvée au fil des siècles (ce qu’on qualifierait de « proven at sea » dans le milieu de l’armement).
Saint Benoît de Nurcie (v480-v547)
La Règle de saint Benoît, inchangée (à quelques iota près) depuis mille cinq cents ans, a permis à des groupes humains sous toutes les latitudes de mener (spirituellement et matériellement) une vie communautaire stable, durable et féconde. Dans l’encadré, une transposition réalisée par l’abbaye Saint-Wandrille (Seine Maritime) et à laquelle l'auteur a participé sous le titre « Les 12 Règles de Vie de l’Entreprise » (© abbaye Saint-Wandrille sur demande). L’auteur a réalisé une méthode de mise en œuvre des « 12 Règles de Vie de l’Entreprise » et les outils de diagnostic et d’audit correspondants, dans l’esprit ISO, en vue de due diligence de gouvernance et de management (processus d’investissement ou de fusion - acquisition) ou de plans de progrès continu (démarches stratégiques d’entreprises). Il a pu les mettre en œuvre dans des contextes économiques et juridiques variés, vérifiant ainsi leur pertinence.
- l’exercice de l’autorité ; |
Ignace de Loyola (1491-1556)
Les Exercices spirituels de saint Ignace révèlent une finesse psychologique étonnante, en situation de décision stratégique ou de crise. Ils servent principalement à préparer une décision engageant la vie entière. Le militaire dans l’âme qu’était Ignace de Loyola nous fait retrouver méthodiquement des outils familiers aux entreprises. « Exercices spirituels pour managers » d’Etienne Perrot sj (DDB, 2014) propose une transposition méthodique (et non une application directe et mécanique) de l’anthropologie ignacienne au management : « Faire l’épreuve du réel dans le contexte particulier de sa responsabilité. » On notera enfin que les Exercices s’adressent autant au « coach » (le directeur spirituel qui fait pratiquer les Exercices) qu’au manager (le retraitant).
Analyse comparative multicritères (élection), plan de progrès, approche « projet », examen d’une question sous tous ses aspects, la réflexion (contemplation) au service de l’action, capacité à prendre le point de vue d’un autre, vision globale et action locale… |
Saint Bernard de Clairvaux (v1090-1153)
Saint Bernard, un des hommes les plus actifs et influents de son temps, parce que c’était un homme de prière, explique sans ménagement à son ancien disciple devenu le pape Eugène III, quels sont les écueils (l’orgueil et la dispersion) et les grandeurs (servir) de sa mission de chef de la Chrétienté. Toutes choses qui trouvent des échos étonnamment actuels dans les entreprises. Les conseils de saint Bernard se répartissent en ce qui relève de l’humilité (au sens « réalisme » du mot), ce qui concerne l’autorité (au sens propre « faire grandir », « servir et non être servi », etc.), la gouvernance, la subsidiarité, le discernement, ce qui est lié aux quatre vertus cardinales (prudence, justice, force, tempérance) dans l’exercice du management et enfin la prévention des dangers de l’activisme.
Et la bière dans tout cela ? Le monastère bénédictin Saint-Wandrille près de Rouen, dans les boucles de la Seine, (www.st-wandrille.com/fr) entretient, plus que d’autres, une longue tradition d’ouverture à la vie économique. L’abbaye Notre Dame de Ganagobie avec dom Hugues Minguet, s’est signalée également dans ce domaine.
La célébrissime et unanimement appréciée « cire de Saint-Wandrille » (méfiez-vous des imitations…) a été rejointe dans les années 60 par Fontenelle Microcopie (reproduction et archivage de documents par diverses techniques). L’abbaye a transmis ensuite, à sa mesure, les valeurs bénédictines à l’économie en investissant (le terme « business angels » paraît ici bien adapté) une partie raisonnable de ses réserves en petits tickets dans des start-up (on voit clairement ici que le but n’est pas de s’enrichir, quand on connaît le TRI moyen des start-ups en « capital-risque ») et en cherchant même à susciter un fonds d’investissement éthique orienté selon les 12 Règles de Vie de l’Entreprise évoquées plus haut. Dernièrement, recentrage sur le « core business » comme on dirait dans l’entreprise : revenant au principe « Ora et Labora », qui veut que les moines produisent eux-mêmes ce qu’ils vendent, l’abbaye a décidé de lancer la première bière d’abbaye française authentique. L’auteur a pu participer à l’élaboration du business plan et les premières estimations sont déjà dépassées ! »
Comme les encycliques pontificales adaptent les principes éternels de la doctrine sociale de l’Eglise aux circonstances (industrialisation de l’Europe, crise de 1929, guerres, mondialisation, crise de l’environnement, etc.) l’activité monastique s’adapte aux époques qui se succèdent… sans jamais changer les fondamentaux !
Par Laurent BARTHELEMY ICA Consultant free-lance en éthique des affaires | |
Laurent Barthélemy (X76), après vingt années au ministère de la Défense, a rejoint AREVA en 2003 comme directeur des Achats et coordonnateur du groupe AREVA pour le projet ITER. Salarié de l’abbaye bénédictine Saint-Wandrille (près de Rouen), pour élaborer une méthode originale d’audit de gouvernance d’entreprises inspirée de la Règle de saint Benoît, il a créé en 2015 Hyperion LBC SAS. |
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