HOMMAGE À YVES SILLARD
« SCIENTIFIQUE ET DIRIGEANT » AU SERVICE DE L’ETAT
Disparu le 12 avril 2023, Yves Sillard a marqué l’histoire française de la conquête spatiale, de l’exploration de l’océan et de l’armement. Il restera associé à quelques-unes des plus belles aventures scientifiques françaises et européennes des dernières décennies, de la construction du centre spatial de Kourou en Guyane au lancement de la première fusée Ariane, ou encore aux premières plongées du Nautile, l’un des premiers sous-marins scientifiques habités au monde, capable de descendre jusqu’à 6000 mètres de profondeur. Dans le domaine de la défense il a contribué au lancement de plusieurs programmes d’armement emblématiques, comme celui de l’avion Rafale, de l’hélicoptère NH90ou des frégates Horizon.
L’aéronautique et le spatial
Ce Normand, né à Coutances en 1936, a successivement fréquenté les bancs de l’Ecole polytechnique puis de l’Ecole nationale supérieure de l’aéronautique et de l’espace (Sup’Aéro). Entré dans le corps des ingénieurs militaires de l’air, il passe son brevet de pilote de chasse puis débute sa carrière par une affectation de cinq ans jusqu’en 1964 a Colomb Béchard ou il développe les premiers moyens d’essai destinés à la dissuasion et au programme de fusées Diamant. L’indépendance algérienne va stopper ce projet. Il est ensuite affecté au centre d’essais en vol à Cazaux.
Il effectue alors un premier mouvement vers le secteur civil : après un passage au Secrétariat général de l’aviation civile (programme Concorde où il négocie avec la Grande Bretagne les partages industriels), il intègre le CNES (Centre national d’études spatiales) en 1965 en tant que responsable de la construction du Centre spatial guyanais à Kourou : son énergie et son charisme permettront en quelques années dans les coûts impartis, de transformer une zone de marais et quelques bungalows créoles en un centre de tir moderne entouré d’infrastructures et de services dont il devient plus tard le directeur de 1969 à 1971, sa nomination récompensant ainsi son engagement et sa dévotion. Il sera un acteur majeur du programme Ariane, aboutissant au premier vol du lanceur en 1979. Il poursuit sa carrière comme directeur des lanceurs de 1973 à 1976, puis directeur général du CNES de 1976 à 1982 sous la présidence d’Hubert Curien (ce dernier lui-même premier président de l’agence spatiale européenne).
Cap sur l’océan
En 1982, Yves Sillard a mis le cap sur une nouvelle frontière alors largement inexplorée : l’océan. Il prend la direction du Centre national pour l’exploitation des océans (CNEXO). Avec son homologue Jean-Paul Troadec, directeur de l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes (ISTPM), il conclut le mariage entre les deux instituts et devient le premier président de l’Ifremer, un organisme unique en Europe qui aborde la totalité des domaines scientifiques et industriels touchant à l’exploration et a l’exploitation aux mers et aux océans.
Parmi les projets qu’il a soutenus pendant son mandat à l’Ifremer, on peut citer la première campagne du Nautile en 1985, dont l’objectif était l’exploration des fosses océaniques et l’étude des phénomènes de sismicité au Japon, ou encore la mise au point du sonar acoustique remorqué (SAR) qui a permis notamment la co-découverte de l’épave du Titanic en collaboration avec une équipe américaine en 1985. Sans oublier l’utilisation des images fournies par les satellites SPOT (alors développés par le CNES) à des fins de gestion du littoral, ouvrant ainsi la voie à l’océanographie spatiale et le lancement du premier projet de recherche Européen EUREKA.
Retour dans la Défense
Ces succès et ses qualités conduisent le ministre de la Défense et le Président de la République a le nommer début 1989 Délégué général pour l’armement.
A cette époque, la DGA comprend 70 000 employés, et a encore un périmètre industriel significatif dans les domaines terrestre et naval. Les challenges de transformation sont nombreux : la chute du mur de Berlin et la guerre du Koweït vont profondément transformer le paysage :
- Déterminé, et doté d’une grande capacité de conviction, il a largement contribué à la première loi de programmation militaire basée sur une analyse capacitaire, lancé le programme Rafale et renforcé les programmes de la dissuasion et les projets spatiaux en coopération avec le CEA et le CNES.
- Convaincu de la nécessité de transformation de l’industrie française de défense, il a conduit le changement du statut étatique des arsenaux terrestres vers un statut de société nationale industrielle -GIAT-, et lancé la séparation des activités étatiques et industrielles de DCN qui permettront quelques années plus tard la création de la société DCNs, devenue NavalGroup. En parallèle il a encouragé les consolidations industrielles dans l’électronique et les missiles : Sextan, Sofradir, Matra/Baé Dynamics,… Il a aussi beaucoup voyagé et activement soutenu les industriels français à l’export : Mirage 2000, frégates, sous-marins, missiles tactiques, char Leclerc.
- son expérience européenne, son réseau, et sa conviction profonde qu’il fallait ouvrir le domaine de la Défense à plus de coopération internationale ont été de précieux atouts pour contribuer au lancement de programmes d’envergure, tant nationaux ou avec plusieurs pays partenaires (frégates Horizon, hélicoptères Tigre et NH90). Il a également soutenu activement les industriels français à l’export, avec de nombreux succès sur plusieurs programmes (Mirage 2000-5, frégates, char Leclerc).
Pour Emmanuel Chiva, actuel DGA, « durant son mandat Yves Sillard a réussi à renforcer la légitimité de la DGA au sein du ministère des Armées et l’a mise dans une logique d’adaptation et d’innovation permanente qui se poursuit encore aujourd’hui. »
Après avoir quitté la DGA en 1993, Yves Sillard est nommé PDG de DCI et occupe ensuite la fonction de secrétaire général adjoint chargé des affaires scientifiques et technologiques de l’OTAN entre 1998 et 2001.
Il deviendra ensuite un membre actif de l’académie de l’air et de l’espace pour promouvoir sans cesse la coopération européenne pour l’accès indépendant à l’espace.
Une personnalité remarquable, attachante et profondément humaine
Multi-décoré, Yves Sillard est le reflet parfait de la volonté de Napoléon Bonaparte qui souhaitait que la Légion d’honneur récompensât, à la fois « ses soldats et ses savants ». Fervent défenseur de la puissance du collectif, courageux, tenace, il illustre parfaitement les valeurs des ingénieurs de l’armement. Ses qualités humaines remarquables ont marqué durablement tous ses collaborateurs : une énergie inépuisable, une capacité d’écoute, un grand sens social et une ouverture d’esprit sans limite qui lui ont permis d’innover dans tous les domaines (organisation, statuts, nouvelles technologies, partenariats internationaux).
Notre communauté lui doit beaucoup et nous garderons le souvenir d’un grand patron, visionnaire et profondément humain.
En conclusion, il m’est permis de citer le Président de la République qui lui a rendu un hommage appuyé dans une lettre personnelle adressée à son épouse Martine : « je salue avec respect la mémoire d’un scientifique éminent, d’un dirigeant hors pair et d’un homme totalement engagé, au cours d’une carrière d’une richesse et d’une variété difficilement égalable …
… qu’il me soit permis de vous exprimer l’immense fierté qu’on ressent d’appartenir à une Nation qui peut offrir à ses membres des exemples tels que celui de l’ingénieur général de l’armement Sillard. »
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