LA DISCRÉTION ACOUSTIQUE DES SOUS-MARINS
la création d’une compétence nouvelle.
A l’occasion de notre dernière Assemblée Générale, Michel Accary est venu présenter la création d’une compétence nouvelle. Où comment une volonté affirmée et une compréhension technologique nous permet d’atteindre le meilleur niveau mondial.
Pour créer la Force Océanique Stratégique dans les années 60/70, il avait fallu relever de nombreux défis techniques : propulsion nucléaire, missiles balistiques, navigation inertielle, gestion de l’atmosphère respirable… Ceci conduisit la DGA, le CEA, la Marine et l’industrie à acquérir des compétences nouvelles. Ce fut une réussite extraordinaire en particulier grâce à l’organisation mise en place sous la direction du Maître d’œuvre Principal Cœlacanthe, les moyens humains et financiers disponibles et la mobilisation des différents acteurs dans l’œuvre commune.
Cependant à la fin des années 70 sont apparus de nouveaux moyens de détection acoustique sous-marine qui pouvaient mettre en péril l’invulnérabilité de nos SNLE. On s’est rapidement rendu compte que les marges de progrès de la première génération de sous-marins en discrétion acoustique restaient limitées par la conception même de ces bateaux, mais aussi par les moyens scientifiques et technologiques dont nous disposions. Ce fut le point de départ du programme de SNLE de nouvelle génération : concevoir un nouveau sous-marin beaucoup plus silencieux que ses prédécesseurs avec une feuille de route très simple : réduire le niveau de bruit rayonné de 30 décibels c’est-à-dire diviser ce niveau par 1 000.
Une volonté politique forte
Le directeur technique des constructions navales prit immédiatement la juste mesure de ce défi. La discrétion acoustique est une performance fondamentalement transverse : toutes les fonctions, tous les équipements du navire même les plus petits sont des bruiteurs potentiels, tous les intervenants depuis l’architecte d’ensemble jusqu’au monteur en passant par les industriels fournisseurs d’équipement et même les transporteurs ont une part de responsabilité dans le résultat final. De plus la recherche de la discrétion acoustique est toujours consommatrice d’espace et coûteuse en devis de prix et de poids. Il fallait donc mettre en place une organisation spécifique qui dispose des moyens humains et financiers nécessaires pour conduire un vaste programme de R&D multidisciplinaire et qui ait une autorité suffisante pour imposer aux différents acteurs les arbitrages nécessaires à l’atteinte de l’objectif des moins 30 dB. Michel Bénicourt, premier Chargé de Mission Discrétion Acoustique (CMDA) nommé à la tête de cette organisation, rendait compte directement au DTCN.
Des moyens humains et financiers
Le CMDA s’appuyait sur un réseau de responsables « discrétion acoustique » dans tous les établissements de la DTCN et sur un centre de recherche spécialement créé dans ce but à Toulon : le Centre d’Etudes et de Recherche en Discrétion Acoustique (CERDAN). Ces responsables coordonnaient localement les ingénieurs et techniciens travaillant sur des thèmes en relation avec la discrétion acoustique. Dans les embauches, une priorité élevée était donnée à l’armement de ces postes.
Le budget de plusieurs milliards de francs dont disposait le CMDA permettait de financer les moyens lourds d’expérimentation du CERDAN et du Bassin d’Essais des Carènes (comme le Grand Tunnel Hydrodynamique qui reste un moyen unique en Europe dont nous partageons aujourd’hui l’utilisation avec le Royaume-Uni), les développements de matériels de lutte contre le bruit et les vibrations et les études et recherches effectuées par la DGA, l’industrie, les instituts et laboratoires universitaires.
Une mobilisation générale
La plupart des établissements de la DTCN étaient évidemment impliqués dans ce programme : le Bassin d’Essais des Carènes pour le développement des pompes - hélices et les recherches sur les bruits d’origine hydrodynamique, Indret pour les pompes, les machines tournantes et les suspensions antivibratoires, Cherbourg pour les liaisons par câbles et tuyaux, les bruits d’écoulement, les méthodes de montage et la formation des personnels de chantier et évidemment le CERDAN et le GERDSM à Toulon pour les études de modélisation de la transmission des vibrations de la source à la mer et de rayonnement des coques et j’en oublie certainement.
La DGA était également mise à contribution à travers la DRET qui entretenait un réseau précieux de laboratoires universitaires et industriels et l’ONERA (le passage de l’eau à l’air n’est qu’une affaire de nombre de Reynolds).
Les industriels étaient évidemment fortement impliqués au premier rang desquels, Technicatome qui ne s’appelait pas encore Areva TA. Il serait trop long et fastidieux de citer tous les autres - ils voudront bien m’en excuser, mais je ne les ai pas oubliés - qui vont des PME et des sociétés de recherche aux grands noms de l’industrie lourde et même de l’industrie automobile. Je ne mentionnerai que Techlam, une petite entreprise née de ce programme et qui existe toujours au sein du groupe Hutchinson (voir encadré).
Le succès
Ces travaux ont été en très grande partie conduits en parallèle avec le développement et la construction du TRIOMPHANT. Il a donc fallu pendant toute cette période prendre des décisions techniques et des options architecturales sans disposer de tous les résultats. Il est apparu par la suite que nous n’avions pas fait d’erreur grossière dans nos paris. Tout au plus avons-nous pu constater à la fin que nous avions pris parfois la ceinture et les bretelles et qu’il serait possible sur les séries de sous-marins ultérieures d’optimiser les choix architecturaux et technologiques, ce qui a été fait pour les Scorpène et les Barracuda.
L’aventure avait commencé en 1980, mais ce n’est qu’à partir de 1996 pendant les essais à la mer du Triomphant que nous avons pu vérifier que le contrat des – 30 dB était rempli. La mesure même du bruit rayonné par ce sous-marin, inférieur au bruit environnant moyen des océans, était un défi et il avait fallu pour cela développer des moyens d’écoute nouveaux portés par un navire - le Paul Langevin - spécialement modifié pour être lui-même extrêmement silencieux.
Quelques enseignements
Je crois pouvoir dire que pratiquement tous les résultats (modèles de propagation dans les structures et de rayonnement des coques et des propulseurs, solutions architecturales et technologiques de réduction des bruits à la source et dans leur transmission) ont été utilisés et perfectionnés au fil du temps. Il ne me vient à l’esprit qu’une seule exception (voir encadré 2). Ils constituent toujours, 20 ans après la première sortie à la mer du TRIOMPHANT, la base du savoir-faire de DCNS et de la DGA en matière de supériorité acoustique des sous-marins, c’està-dire dans leur capacité à détecter l’adversaire avant d’être détecté. La fin de la guerre froide a amené certains à vouloir un peu prématurément « récolter les dividendes de la paix » et au moment de quitter DCNS je suis un peu inquiet de voir cette tendance se développer dans ce domaine de la discrétion acoustique. Certes, la guerre sous-marine a beaucoup baissé en intensité avec l’effondrement du bloc soviétique, mais pas le nombre de sous-marins qui sillonnent les océans, et il serait très grave de laisser s’étioler cette compétence qui peut être entretenue avec des moyens modestes alors qu’il sera pour longtemps hors de portée des budgets de défense de relancer un programme de cette ampleur pour la reconstituer.
TECHLAM SNECMA et la SEP avaient développé dans les années 70 une technologie de lamifié caoutchouc métal pour les systèmes d’orientation des tuyères des missiles balistiques. Ce procédé avait été ensuite étendu à Ariane puis avait trouvé des applications dans l’exploitation du pétrole offshore. La légende raconte que c’est en regardant la suspension d’un TGV que Gérald Boisrayon et Pierre Quinchon eurent l’idée d’appliquer cette technologie à la réalisation des grands flexibles pour les circuits d’eau de mer soumis à la pression d’immersion. Pour SNECMA cela posait un problème nouveau car il s’agissait de pouvoir garantir le fonctionnement en eau de mer avec des cyclages de pression pendant 50 000 heures - la rupture d’un de ces flexibles en service pourrait entraîner la perte du sous-marin - et de pouvoir fournir ces lamifiés de façon industrielle pendant toute la durée de vie de ces SNLE. Nous sommes arrivés conjointement à la conclusion qu’il fallait créer une société dédiée à la production industrielle de ces lamifiés pour les sous-marins et d’autres applications éventuelles en y associant un caoutchoutier (en l’occurrence Rollin). C’est ainsi que fut créée la société Techlam près de Mulhouse, société qui a été depuis reprise par le groupe Hutchinson et continue à équiper avec succès les bâtiments en service. Une autre application de cette technologie est apparue ensuite : les paliers des mèches d’appareil à gouverner, générateurs d’indiscrétion acoustique dans leur technologie traditionnelle de paliers lisses graissés.
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LES PALIERS MAGNÉTIQUES ACTIFS La technologie des paliers magnétiques actifs paraissait très prometteuse pour la réduction des vibrations des machines tournantes. Elle devait permettre en principe d’assurer un parfait centrage du rotor et l’élimination des défauts résiduels d’équilibrage. Elle commençait déjà à être utilisée avec succès par S2M, une filiale de SEP sur des pompes à vide ou des compresseurs à très haute vitesse. Après des premiers résultats encourageants, il est apparu que l’extrapolation à des turboalternateurs de plusieurs mégawatts et reposant sur trois paliers posait des problèmes et que parallèlement le constructeur de ces machines atteignait les niveaux de bruit et vibration visés avec des paliers classiques. Le projet fut donc abandonné. Il est intéressant de noter que le constructeur de ces turbines était la société Thermodyn rachetée depuis par General Electric et que malgré les affirmations de GE à l’occasion de l’affaire Alstom, la pérennité de cette compétence chèrement acquise en France est loin d’être définitivement acquise.
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Michel Accary, IGA
Michel Accary (X 68, ENSTA 73) a participé aux études et à la construction des SNLE, des SNA type « Rubis » et des SM type Agosta et Scorpène à Cherbourg, Toulon et au STCAN avant de prendre la direction de la section ET/ES de Cherbourg chargée des études de détail du « Triomphant ». Il a été directeur de l’ECAN St Tropez, puis du programme Horizon à Londres, de la branche MCO de DCN, du marketing de DCNS et directeur technique et innovation de DCNS jusqu’au 30 Juin 2014.
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