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Une souveraineté bien difficile à conserver dans l’industrie électronique.
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01 octobre 2016

LA SÉCURITÉ D’APPROVISIONNEMENT
LA FRANCE PLEINEMENT SOUVERAINE POUR DÉVELOPPER, PRODUIRE ET EXPORTER DES MATÉRIELS DE DÉFENSE, EST-CE POSSIBLE ?

La maitrise de l’accès à certaines catégories d’articles entrant dans la définition de systèmes de défense est un enjeu stratégique pour la France, d’une part pour garantir sa capacité à se doter des matériels les plus performants et à assurer leur maintien en condition opérationnelle dans la durée, mais également pour lui assurer une souveraineté dans ses décisions d’exportations. Au-delà du choix politique que représente une exportation de matériels de guerre, les volumes export sont bien souvent incontournables pour assurer la viabilité des filières industrielles, et ceux-ci contribuent à la pérennisation et au développement de la BITD.


Si la dépendance aux fournisseurs américains est la plus marquée et la réglementation ITAR la plus connue, il convient de souligner que nous sommes parfois dépendants de fournisseurs d’autres nationalités, avec les mêmes possibilités de blocage de nos approvisionnements, y compris en Europe.

Trois catégories d’articles entrent dans la définition des systèmes de défense : les composants, les matériaux et les logiciels. Selon leur niveau de performances ou l’intérêt particulier qu’ils revêtent sur le plan d’un usage militaire, ceux-ci peuvent être classés « matériels de guerre » ou « biens à double usage », et l’administration en charge du contrôle à l’exportation du pays vendeur intervient dans chaque vente. Elle peut ainsi s’opposer à la vente vers un destinataire final particulier, sans devoir s’en justifier, rendant les utilisateurs de ces articles dépendants de ses décisions. Lors de travaux de conception, il convient donc pour nos maîtres d’œuvre et pour leurs sous-traitants, de bien identifier les articles soumis à contrôle, et le niveau de risque de blocage induit.

 

L’importance des composants électriques dans l’industrie de défense

La clause de préférence européenne expérimentée dans les consultations lancées par la DGA sur les opérations d’armement va clairement dans le bon sens : celle-ci impose à l’industriel qui répond à une consultation de recenser, en prenant en compte ses sous-traitants jusqu’au niveau le plus bas, les articles d’origine non européenne contrôlés à l’exportation et d’en justifier le choix, ce qui permet d’être alerté et de mesurer notre niveau de dépendance.

Il convient de relever qu’au-delà de la sécurité d’approvisionnement, pour certains articles notamment les composants électroniques les plus performants, disposer d’une autonomie de conception et de production garantit avant tout l’accès à des produits dont les performances sont à l’état de l’art, l’intégrité de ces produits, et la protection des informations nécessaires à leur développement.

 

 

Une souveraineté bien difficile à conserver dans l’industrie électronique.

 

Pour les maîtres d’œuvre du secteur de l’armement, l’approvisionnement aux États-Unis est souvent tentant : les fournisseurs américains proposent des produits généralement très performants, et à des prix attractifs puisque les volumes propres au marché domestique américain permet d’amortir les coûts de développement sur des quantités importantes. Un exercice réalisé en 2014 sur un système spatial d’observation de la Terre a montré que 40 à 50 % des articles entrant dans la définition de ce système étaient d’origine américaine, alors que 5 % seulement ne présentent pas de solution équivalente en Europe.

Le facteur prix n’est pas le seul qui conduise à retenir des produits d’origine américaine alors que des solutions alternatives existent en France ou en Europe, avec des différences de prix parfois extrêmement minimes : la non connaissance de certains fournisseurs nationaux, le manque de confiance en leur pérennité, l’habitude et conduisent généralement à de tels choix.

Substituer des articles approvisionnés à l’étranger par d’autres, équivalents, sur un produit déjà défini conduirait à des opérations de reprise de conception et de requalification très lourdes, et constitue un coût prohibitif : la désensibilisation doit donc relever d’une stratégie appliquée dès la conception des systèmes.

 

La viabilité financière des filières industrielles, principale difficulté à surmonter

Le principal obstacle à surmonter pour mettre en place les filières industrielles nécessaires pour s’affranchir de toute dépendance aux fournisseurs non européens est leur rentabilité financière, et rares sont les filières non existantes du fait d’un manque de compétences ou de maîtrise des technologies de base.

Les volumes nécessaires à la satisfaction des besoins de la défense et de la sécurité sont généralement très faibles au regard des volumes destinés à d’autres domaines, civils ou grand public. Sur un plan strictement financier, un fournisseur n’a donc pas réellement d’intérêt à servir ses applications, mais beaucoup de fournisseurs français le font, ou sont prêts à le faire, à condition que ces activités soient à l’équilibre financier.

Ils le font d’autant plus que les exigences propres aux applications de défense sont réduites au regard de celles de leurs clients traditionnels, et que les solutions à développer peuvent s’appuyer sur des briques technologiques et un outil de production déjà mis en place et amorti par les activités au profit de ces clients. Il convient donc autant que possible de s’appuyer sur des technologies développées au profit du secteur civil, donc financées par lui, de faire converger les besoins des différents maîtres d’œuvre et équipementiers vers un noyau commun le plus grand possible qui permet de garantir des volumes les importants possibles, même s’ils resteront faibles aux regards des autres marchés évoqués ci-avant. Enfin, si le prix des articles est clairement un critère important, il convient de rapporter l’éventuel surcoût lié au recours des filières d’approvisionnement sûres, au coût représenté par une situation de blocage de l’approvisionnement d’articles auprès fournisseurs étrangers.

 

Une nécessaire prise de conscience collective

Toute l’administration doit prendre en compte ce volet de la souveraineté et considérer, dans ses décisions, que la sécurité d’approvisionnement est un critère qui pèse autant, et parfois davantage, que la stricte performance financière. Et ceci que l’État intervienne en tant qu’actionnaire d’entreprises stratégiques, telle STmicroelectronics par exemple, en tant que banque amenée à soutenir l’innovation, à travers BPI-France, ou en tant qu’organe de contrôle en charge de statuer sur la vente d’une « pépite » à un investisseur étranger…

Les maîtres d’œuvre doivent également prendre leurs responsabilités sur cette question, et s’entendre pour assurer aux fournisseurs d’articles de souveraineté des volumes d’acquisition qui les rendent viables. Plus les filières apportant l’indépendance stratégique seront utilisées, plus elles seront compétitives ; moins elles seront utilisées, moins elles seront compétitives : suivant le sens dans lequel on parcourt le cercle, il peut donc être vertueux ou vicieux.

La nécessité d’autonomie semble émerger dans certains esprits au sein de l’administration européenne. Ainsi, celle-ci vient de décider de consacrer de premiers financements à des technologies critiques à travers l’action préparatoire. Il convient encore que les états membres s’accordent sur les premières thématiques retenues, puis que l’UE amplifie cette initiative dans l’exercice post 2020.

 

    
Laurent Boniort, ICA, Adjoint à l’inspecteur général des armées-armement
Laurent Boniort a occupé différents postes de management technique sur le BEM Monge et au Celar, et a été directeur de programme dans le domaine du renseignement d’origine spatiale. Il a rejoint le SGDSN fin 2013 comme chargé de mission en charge des transferts sensibles.
 

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