LE BOURGET VU PAR "JUPITER"
COULISSES DE DEMONSTRATIONS AERIENNES... A APPRECIER EN 2023
Le très sérieux hebdomadaire Aviation Week rapporta dans son édition du 16 juin 1975 des discussions animées entre Jupiter, le directeur des vols (DV) du Salon, et les pilotes des différents constructeurs. « Je suis un pilote comme vous, mais j’ai des instructions » leur aurait dit le colonel Francis Plessier, premier «Jupiter» en titre.
Sur fond de «marché du siècle», la tendance est en effet à la remise en question d’une manifestation qui a déjà perdu sa caractéristique mythique de fête aérienne.
Les présentations en vol étant antérieurement réservées au week-end final, ce terme «fête aérienne» était devenu synonyme de débordements récurrents pour une manifestation dont l’encadrement était une affaire partagée entre le commandant d’aérodrome et l’organisateur, sans véritable autorité au sens réglementaire du terme.
Réglementaire : le mot est dit, tradition nationale oblige ! En l’occurrence, c’est un arrêté parfaitement ciblé qui va venir encadrer la manifestation aérienne, en considérant le Salon comme un événement spécifique, à traiter comme tel, en exception aux règles établies pour les autres manifestations aériennes.
En 1975, ce texte n’a pas encore été avalisé, mais le DV déjà en place depuis plusieurs sessions, est prêt pour le 31e Salon.
Les «instructions» de Jupiter sont celles inscrites dans l’arrêté de 1977 qui réglementera la manifestation aérienne, marquée en ces années noires par trop d’accidents mortels.
Qu’on en juge : de 1960 à 1977, il y aura 7 crashes, faisant 29 morts et 30 blessés.
Coïncidence ?, à partir de la signature de l’arrêté de 77, et malgré 6 autres accidents dont le dernier en 1999, il n’y aura plus de victimes.
Une des particularités du Bourget est l’obligation de trajectographie pour toutes les présentations en vol. Ce n’est pas un détail : à la fois outil très puissant pour suivre tous les appareils dans des volumes de présentation très contraints, mais aussi limitation potentielle : pas de «trajecto» = pas de vols ! Cette fonction est assurée par un radar spécifique, fourni par DGA Essais en Vol. C’est un moyen lourd, qui nécessite quelques semaines de mise en place, mais nous est envié par d’autres salons comme Singapour et Berlin.
Cette obligation de trajectographie s’est d’autant plus affermie que s’intensifiait le trafic de l’aéroport de Roissy (1974) très proche. Et si elle n’empêche pas les avions de tomber, elle reste un arbitre très efficace et impartial pour l’ajustement parfois délicat des évolutions d’un appareil dans les volumes de présentation très spécifiques du Bourget.
Après Victor Guerreau, premier DV de l’après-guerre, ce sont des pilotes d’essais des services officiels qui prendront la fonction de Jupiter : Francis Plessier, puis Claude Martin, Denis Gariel, et Christophe Cail, qui m’a laissé les commandes pour le 47e Salon.
Le Salon du Bourget est le premier rendez-vous de l’industrie aéronautique mondiale. Quatre journées professionnelles précèdent les journées grand public, et chaque salon apporte sa nouveauté. La nouveauté en 2007 ? : c’est mon premier salon !
Hormis une implication toujours délicate dans un milieu à la fois politique et privé, intéressant notamment le GIFAS au plus haut niveau, il faut ne jamais perdre de vue la rémanence implicite de chaque décision. En effet, Jupiter n’est pas le DV d’un simple meeting, le temps d’un week-end ; toute décision se prend dans la durée, toute erreur d’appréciation peut avoir des conséquences qui se déclineront sur plusieurs salons. Il s’agit aussi de ne pas être uniquement restrictif, tout en sachant identifier les tendances courantes de certains exposants à vouloir toujours plus de plafond, de volume, de timing, ou à réaliser des évolutions exotiques pour un type d’aéronef. Enfin, il faut se convaincre qu’aider au maximum les pilotes a pour effet initial une réduction de leur stress, ce qui facilite au premier chef le travail de la direction des vols !
2009, Salon du centenaire. Étaient conviés, entre autres, quelques avions très anciens comme le Blériot XI et le Morane H qui ne pouvaient pas utiliser la piste en dur en raison de leur patin arrière en bois. L’organisateur avait fait préparer une bande en herbe de quelques centaines de mètres de long, et les instances de la circulation aérienne avaient accepté qu’elle fût activée, mais sous la responsabilité de la direction des vols, s’interfaçant entre le contrôle local et les deux avions séculaires, non équipés de radio, faut-il le préciser ? Après une tentative complètement annulée de vol inaugural pour la venue du Premier ministre, un lundi matin pluvieux et bas de plafond comme pour tout salon digne de ce nom, les deux ancêtres purent faire leurs présentations lors des journées publiques, à partir de cette piste exclusive, et avec l’aide des surveillants des vols en guise de «starter».
Autre nouveauté, le retour de la Patrouille de France, pour une vraie présentation et non le seul défilé inaugural. Une fois accepté le principe d’une formation sans dissociation des solos (contrainte traditionnelle du Salon : la trajectographie étant monocible, il faut déroger s’il y a plus d’un seul mobile), pour une présentation d’un quart d’heure, il fallait aussi considérer les volumes couramment pratiqués par la PAF. En l’occurrence, un grand volume «standard Bourget» pour la présentation, mais un volume considérablement plus vaste en cas de besoin de dissociation de la Patrouille. Fermer Roissy pendant un quart d’heure ? C’était pour le DV une condition sine qua non, qui fut acceptée. Et la réussite de l’affaire s’est traduite par sa reconduction pour les salons suivants.
2011 fut l’année de Solar Impulse, pour une présentation matinale, météo oblige, et donc hors créneaux standards. Le vol, simple tour de piste à 30 km/h, prenait une vingtaine de minutes. Il sera réalisé trois fois, pour une répétition et deux présentations. On verra aussi évoluer le X3 («X cube») d’Eurocopter, impressionnant par ses évolutions à grande vitesse et son sifflement caractéristique.
En 2013, c’est le grand retour des Russes, avec l’impressionnant Sukhoi 35, dont le pilote, artiste en vol et au sol, allait donner quelques concerts d’orgue pendant ses soirées à Paris. C’est aussi l’apparition de Boeing en présentations en vol, avec le B787 Dreamliner.
La mise en place cette année-là de la présentation à deux Tigre de l’ALAT ne fut pas simple, loin s’en faut, mais sa réalisation constitua une belle récompense : avec deux mobiles dissociés, il convenait de jouer toutes les cartes pour assurer le suivi trajectographique des deux hélicoptères. Ainsi, en usant avec discernement du radar de suivi sur une des machines et de la capacité de restitution en télémesure de l’autre, on put à la fois respecter l’esprit et la lettre de l’arrêté salon.
Et si les chasseurs se font de plus en plus rares au salon, on les y remarque d’autant plus, à l’instar du JF 17 Thunder pakistanais en 2015 et bien sûr du F-35A Lightning II en 2017. Cette année-là, on verra aussi un Extra motorisé Siemens remorquer un planeur Swift de voltige, le larguer, se poser, puis redécoller après l’atterrissage du planeur pour réaliser une belle série de voltige «tout électrique».
2019 inaugura une spécificité de la Patrouille de France, avec séparation en deux boxes… encore une gageure pour la direction des vols, mais grâce à la présence du radar «spare» de trajectographie, le suivi des deux éléments en vol fut exceptionnellement possible.
Enfin, s’il avait fallu deux guerres mondiales pour faire annuler le Salon (entre 1913 et 1919, puis entre 1938 et 1946), c’est une pandémie qui aura causé la suppression du Salon 2021.
Alors rendez-vous en 2023 : ce sera le 54e Salon de l’Aéronautique et de l’Espace !
Stéphane Pichené, Pilote d’essais à DGA Essais en vol
Promo 81 de l’école de l’air, Stéphane Pichené a été pilote de défense aérienne sur Mirage F1C puis sur Mirage 2000 C. Il devient pilote d’essais en 1993 après son passage à l’EPNER, qu’il dirigera aussi de 2000 à 2003. Il a travaillé sur le programme Rafale, puis sur les évolutions des AWACS, et plus récemment sur le programme ALSR. Il fait partie des pilotes «Zéro-G» depuis plus de 15 ans. Depuis 2007, il est également directeur des vols de tous les salons du Bourget. Il totalise 6500 heures de vol sur plus de 70 types d’aéronefs.
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