CHAMPION DU MONDE DE VOLTIGE
QUAND L'AVION SE DECOUVRE DANS UN KILOMETRE CUBE
Centre de formation ENAC de Carcassonne, 1987. Le vrombissement du CAP 10 nous fait détourner la tête du tableau blanc sur lequel s’étale le cours de météo. Michel, le chef-pilote, passe en vol dos au niveau du premier étage du bâtiment d’instruction.
Révélation
En progression vers le brevet de pilote des Corps techniques de l’armement, je suis attiré vers ce CAP 10 qu’on voit dans le hangar. Au cours de ce stage, il est prévu 3 heures maximum de démonstration des limites du domaine de vol d’un avion léger. J’en ferai 10, rapidement orientées vers la voltige aérienne, soit quasiment le volume normal vers ce qui était encore à l’époque la qualification « Premier Cycle ». Une révélation dès le premier vol ! L’aviation, c’est ça !
Quelques mois après, je reprends ma progression à l’Aéro-club du Bassin d’Arcachon, au sein de ce que je n’ai pas encore identifié comme une machine de guerre, une équipe de compétition sachant aussi bien manier le CAP 10 ou le CAP21 que les blagues et guérillas arrosées de troisième mi-temps. Et tout naturellement, la question arrive : « Tu viens faire de la compet’ ? » J’ai dû bredouiller une réponse suffisamment convaincante...
Trop tard. Le virus est inoculé. Dès ma première compétition amicale au-dessus des reflets vibrants du bassin d’Arcachon, je finis dans les premiers, et le principal étonné. Quelques semaines après, deuxième compétition : je gagne à Dax, puis troisième également, à Pau. Serait-ce si facile ?
Ce que je ne sais pas, c’est que j’en prends pour dix-huit ans...
Progression et consécration
Mais il faudra d’abord gravir les échelons : le « Second cycle », la qualification monoplace, les Championnats de France, et enfin la sélection en Equipe de France. Et comme souvent, un coup de pouce du destin : la Fédération Aéronautique Internationale, en marge de la catégorie historique, dite « Illimitée », crée une catégorie « de jauge » : puissance des avions encadrée, catalogue de figure subtilement restreint. Plus abordable physiquement et techniquement, elle peut se pratiquer en même temps qu’une activité professionnelle... La catégorie « Illimitée » en équipe de France est depuis lors presque réservée aux professionnels ou quasi-professionnels de l’aviation.
Dans le même temps, le club de Dijon se dote d’un avion novateur et bien adapté : le G202. C’est un petit avion « tout carbone » d’origine construction amateur américaine. Il est vif (trop ?) , petit (trop ?), difficile à poser (trop ?), mais c’est une bête de course, très « fun » et très remarquée.
De 1999, et mon premier Championnat du Monde, en République Tchèque, sur l’ancienne base soviétique de Mnichovo Hradiště, jusqu’à mon dernier Championnat d’Europe, en 2005, de nouveau en République Tchèque, à Hradec Králové, j’aurai vécu sept ans riches en émotions qui m’auront emmené en divers lieux d’Europe, sur une vingtaine de types d’avions différents.
Un programme de voltige, codifié selon le système international réglementaire.
La vie d’artiste
La voltige aérienne de compétition, comme n’importe quel sport de haut niveau, mène inéluctablement à une exacerbation des situations et des interactions humaines.
La compétition c’est dur : on dort mal, ou peu, parce que la tension nerveuse est longue à retomber. En outre, la nuit sert parfois pour travailler la mémorisation d’un programme dit « inconnu » que les juges ont publié le jour même pour le lendemain et qu’il faut apprendre par cœur, en le vivant mentalement à l’avance à l’aide de techniques depuis lors adoptées par tous les pilotes de l’Armée de l’air et de l’espace : les Techniques d’Optimisation du Potentiel (Sophrologie, relaxation, visualisation).
On mange mal, ou peu, et souvent à contretemps : cela a beaucoup changé en quelques années à peine, mais la gastronomie des pays de l’Est, trop souvent faite (à l’époque) sur les terrains d’aviation centreuropéens de « couilles de kangourou baignant dans le potage », n’était pas forcément optimale pour une activité physique exigeante pour l’estomac !
On s’irrite souvent et on communique mal, tant au sein de l’équipe qu’avec les autres concurrents, parce que le stress, la peur, la concentration enferment et rendent moins sociables. L’adversaire ne tarde pas à devenir un ennemi, comme les juges ou les décideurs de l’organisation, qui prennent parfois des décisions plus que surprenantes. Je me souviens d’un pilote américain, en 2001, à Groěenhain, près de Berlin, qui m’avait dit « Tu sais, je n’arrive pas à m’y faire, mais quand je m’installe dans mon Pitts (au début du programme de compétition), j’ai le cœur qui bat autant que quand je grimpais dans mon avion, pendant la guerre du Vietnam ! Je sais, c’est ridicule, mais je n’y peux rien...»
Et en filigrane, bien sûr, le risque, à ne pas sous-estimer : j’ai moi-même évacué in extremis en parachute un CAP231 devenu incontrôlable au-dessus du terrain de Condom, dans le Gers, en 1994. Et restent aussi les blessures jamais complètement refermées quand certains amis sont tombés : Jean-Hugues Morel, le Capitaine Delorme de l’EVAA, Richard Lothoz, etc...
Bien sûr, dans ce jeu sérieux, les joies et les amitiés seront alors durables et profondes, à la hauteur de l’engagement mutuel et des valeurs communes partagées. La victoire est un plus : on la recherche, mais elle n’est que le fruit d’une aventure humaine : comme pour un bon vin, le mûrissement, le temps, la confiance construite, feront le reste.
« Si tu peux être dur sans jamais être en rage, si tu peux être brave et jamais imprudent (...) alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire seront à tous jamais tes esclaves soumis, » écrivait le poète...
Auteur
Gérard BICHET a été double Champion du Monde et double Champion d’Europe par équipe de voltige aérienne, triple Vice-champion du Monde individuel et double Champion d’Europe individuel.
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