L’EUROPE DE LA DÉFENSE VUE PAR AIRBUS
Il y a quinze ans, l’industrie européenne de défense tirait la sonnette d’alarme. Elle faisait alors face à une baisse continue des budgets d’équipements de défense, une difficulté croissante de recruter de nouveaux ingénieurs, une concurrence internationale sévère sur les marchés export, et surtout l’absence inquiétante de nouveaux programmes d’armement d’une masse critique suffisante à l’échelle européenne.
Aujourd’hui, à défaut de s’inverser, les courbes laissent apparaître quelques signes encourageants. Les budgets équipements et R&T reprennent le chemin de la hausse, sous la double contrainte d’un contexte géopolitique de plus en plus volatil, incertain et dangereux, et d’une nécessité d’autonomisation stratégique, en partie liée à une certaine forme de désengagement américain sur le sol européen.
Dans ce contexte, la France fait figure de bon élève en Europe et a su tenir son rang en respectant un niveau minimal en dessous duquel il n’aurait plus été possible de maintenir les compétences technologiques clés. Et c’est aussi sous son impulsion déterminante et celle de l’Allemagne qu’a pu voir le jour l’idée d’un Fonds européen de défense. Doté de 2 milliards d’euros par an, post 2021, ce mécanisme qui vise à faciliter la coopération des États en la matière (et ils en ont bien besoin) constitue indéniablement une avancée majeure pour l’Union européenne. Et c’est tout naturellement et avec vigueur qu’Airbus soutient cette initiative.
Ce Fonds européen de défense est un jalon essentiel qui vient enfin d’être posé. Il a pour triple objectif le renforcement de la coopération européenne en matière de recherche et technologie avec comme critère, le dépassement de la barre actuelle de 10 %, le soutien financier apporté au lancement de programmes communs d’armement à hauteur de 20 à 30 % d’abondement communautaire, et enfin, la compétitivité dans la durée de la base industrielle et technologique de défense européenne.
Les questions comme toujours, sont nombreuses : le niveau d’ambition est-il adéquat ? Les moyens envisagés sont-ils à la hauteur des enjeux ? Est-ce trop tard ? La seule qui relève de mon ressort est la suivante : comment Airbus compte s’y engager, et pourquoi ?
Dans un premier temps, il conviendra de mettre l’accent sur les drones. D’où la nécessité d’arrimer l’Eurodrone dans la dynamique européenne. C’est tout l’enjeu des discussions actuelles relatives aux programmes précurseurs du Fonds. De la même manière, une place devra être faite aux « upgrades » de programmes existants. Le passage au standard 3 du Tigre en ferait un bon candidat de même que le spatial, notamment au travers des programmes relatifs à l’alerte avancée et au « Situation Awareness ».
Dans un second temps, considérant que la supériorité technologique aérienne restera une des clés de voûte de notre posture de défense, il faudra nécessairement faire une large place au concept de « système » dans lequel graviteront un large éventail de capacités interconnectées et interopérables, comprenant l’avion de combat de nouvelle génération, des drones Male, la flotte d’avions existants (qui sera encore en service après 2040), de futurs missiles de croisière et des drones évoluant en essaim. C’est tout l’objet du Système de Combat Aérien du Futur (SCAF), programme structurant pour l’avenir. De la même manière, l’Europe devra contribuer et répondre au plus tôt aux exigences capacitaires fixées par l’Otan au rang desquelles on trouve le Futur système de Surveillance et de contrôle de l’Alliance (FSCA), considéré comme priorité capacitaire à l’horizon 2035.
Cette nouvelle politique de défense de l’Union européenne qui va la placer comme 4ème contributeur européen en R&T vient compléter les politiques de l’Union dans le domaine spatial et aéronautique civils.
Malgré les énormes progrès réalisés ces quinze dernières années, la politique spatiale européennedoit se réinventer très vite face à l’accélération des développements technologiques et l’arrivée de nouveaux entrants. Nous devons collectivement redoubler d’efforts en renouvelant la gamme des lanceurs (Ariane 6, Vega-C), en améliorant les programmes existants tels que Galileo dont la précision devra être augmentée pour notamment répondre aux exigences des modes de transport autonome (y compris taxis volants) ou Copernicus ; enfin, développer de nouveaux programmes sur la surveillance de l’espace (SST) et pour les communications sécurisées au bénéfice des forces publiques (Govsatcom). Pour ce faire, il est impératif de disposer d’une gouvernance des plus efficaces et complémentaire entre l’UE et l’ESA et de se doter d’une enveloppe financière à la hauteur de ces enjeux.
La politique aéronautique européenne s’est pour l’essentiel concentrée sur le soutien à la recherche et l’innovation, la gestion du trafic aérien, les accords internationaux ainsi que sur le cadre de certification et de règlementation. Avec succès. Les efforts consentis par l’Union à travers Clean Sky 2 pour avancer la recherche en matière de performance environnementale sont à poursuivre. Ils ont déjà produits des résultats significatifs, comme en témoignent le projet Racer d’Airbus Helicopters ou le démonstrateur d’Airbus sur les ailes laminaires. L’Union doit néanmoins passer à la vitesse supérieure. La concurrence internationale, très fortement appuyée par des soutiens gouvernementaux, exige une réponse européenne rapide et forte qui place l’industrie aéronautique comme priorité industrielle stratégique.
Airbus s’est construit sur le principe de la dualité civil militaire. C’est d’ailleurs ce qui explique pour une large part l’ancrage territorial d’Airbus si prégnant sur le sol européen alors même que près de deux tiers de ses ventes se font à l’international, hors Europe. Pendant longtemps, les transferts de technologies se sont effectués de la défense vers le monde civil. Aujourd’hui, nous reconnaissons tous le mouvement inverse et cherchons à maximiser les apports dans nos capacités de défense de l’intelligence artificielle, de la technologie quantique, de l’hypervélocité, des nano-technologies, de la robotisation, de l’autonomie, pour n’en citer que quelques-unes. Il est donc essentiel que les États, et en particulier la France, ainsi que la Commission européenne, appréhendent et défendent notre secteur dans toute sa dualité. C’est précisément ce qu’ont choisi de faire activement la Chine, la Russie et les États-Unis. Pour cela, il nous faut dépasser les cloisonnements institutionnels en s’affranchissant des mentalités en silos, combiner intelligemment les souverainetés nationales et européennes, et prendre la mesure de l’extraordinaire rapidité des changements auxquels notre industrie est confrontée en y apportant les réponses adéquates en termes de programmes structurants d’armement, en coordonnant au mieux nos politiques export (vers un accord Debré Schmidt 2.0) et en facilitant les ponts entre les mondes civil et militaire.
Je compte beaucoup sur la France pour insuffler une dynamique positive dans l’Europe de la défense, pour instiller une culture stratégique commune, et rester un acteur prépondérant, écouté et respecté dans l’Union et dans l’Otan. Pour ma part, je mesure les défis qui incombent à Airbus de rester à la pointe de l’innovation dans toutes ses composantes, aéronautiques, spatiales et de défense afin de continuer à permettre aux forces armées de disposer d’une supériorité technologique, garante d’une autonomie stratégique conduisant à la liberté d’action. Nous sommes prêts à relever ces défis.
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