MBDA, UN MODÈLE INDUSTRIEL GAGNANT POUR LA DÉFENSE EUROPÉENNE
La coopération européenne monte en puissance depuis quelques années et ce renforcement devrait encore s’accélérer avec la mise en place prochaine du Fonds Européen de Défense en 2021. La réussite de ces initiatives nécessite en particulier une coopération industrielle efficace, qui pourrait et devrait permettre la création de champions européens dans de nombreux secteurs de défense. Bien comprendre les mécanismes qui peuvent conduire à la création et au succès de ces champions paraît donc essentiel pour voir ces projets de coopération couronnés de succès. A ce titre, des enseignements utiles peuvent être tirés d’une analyse du modèle MBDA, modèle industriel à ce jour unique en Europe et qui a fait ses preuves en pérennisant et renforçant la filière des systèmes de missiles en France et sur notre continent.
Compte tenu des nouvelles dynamiques de coopération en Europe dans les domaines aéronautique (FCAS, EuroMale, Tigre MK3...), terrestre (char de combat...) et naval (FlotLog...), il est important de capitaliser sur les bonnes pratiques qui ont permis la réussite de programmes en coopération.
Pour comprendre l’émergence par étapes du champion européen qu’est MBDA, il faut remonter plus de vingt ans en arrière. En 1996, les activités missilières étaient fragmentées. Une concurrence sévère opposait non seulement les États mais aussi des entreprises au sein de chaque pays. C’est alors que la France et le Royaume-Uni, motivés par la volonté de développement d’une autonomie stratégique dans le domaine des missiles de croisière, ont décidé de joindre leurs forces pour développer le missile Scalp EG/Storm Shadow, seule possibilité d’accéder de façon autonome à cette nouvelle capacité. Le lancement de ce programme a alors permis le lancement de la consolidation industrielle franco-britannique qui a donné naissance alors à la société Matra BAe Dynamics (MBD). Cette consolidation a notamment permis de gérer ce programme complexe au sein d’une équipe industrielle unique et forte, capable de prendre rapidement les décisions nécessaires à la bonne exécution du projet. L’approche consistant à employer un programme en coopération pour favoriser une consolidation industrielle s’est ainsi révélée une méthode efficace.
Dans un second temps, le rapprochement des groupes Lagardère et Aérospatiale en 1998, une dynamique semblable avec Alenia, s’appuyant sur la coopération autour des missiles Aster, et le lancement du programme en coopération autour du missile air-air Meteor, a conduit à la création de MBDA en 2001. A la suite de la création d’EADS, la société allemande LFK rejoignit le groupe en 2006, ce qui permet à MBDA de représenter aujourd’hui près de 70 % de l’activité missiles en Europe. La consolidation industrielle qui s’est alors mis en œuvre a assez naturellement conduit à une intégration progressive du groupe MBDA, notamment entre les activités française et britannique de MBDA.
En effet, initiée lors du Sommet franco-britannique de Saint Malo en 1998 où les deux pays ont décidé d’œuvrer ensemble à la construction d’une défense européenne, cette ambition partagée a abouti en 2010 à la signature du Traité de Lancaster House. Ce traité a notamment lancé l’initiative « One MBDA » et la mise en place d’un partenariat fort entre MBDA et ces deux clients domestiques. Ce partenariat a prouvé son efficacité. MBDA a ainsi incité à la convergence des spécifications, en fonction des besoins exprimés par les armées, pour aboutir au développement de produits communs tout en optimisant la répartition des activités de part et d'autre de la Manche afin de trouver le juste équilibre entre efficacité industrielle et préservation des intérêts souverains des États.
L’étape suivante fut la création de centres d’excellence spécialisés visant à renforcer leur compétitivité grâce à une recherche de la taille critique optimale et une réduction des duplications industrielles. Cette étape fut rendue possible par l’acceptation par les deux pays d’une dépendance mutuelle, garantie et organisée par un accord intergouvernemental (AIG) ratifié en 2016. MBDA a ainsi mis en place depuis 2015 quatre centres d’excellence spécialisés. L’autonomie stratégique de la France et du Royaume-Uni a ainsi pu être renforcée par une acceptation d’une interdépendance nécessaire et choisie entre deux pays partageant une même vision stratégique et une même ambition en matière de défense.
L’AIG n'a d'ailleurs pas vocation à rester franco-britannique mais peut servir de modèle pour pousser plus avant l'intégration de toutes les bases industrielles nationales de MBDA et renforcer l'efficacité de son outil industriel d'ensemble. En ce sens, MBDA constitue le précurseur d’un modèle industriel reproductible dans d’autres segments du marché de l’armement pour favoriser la création d’une base industrielle réellement européenne, transcendant les frontières nationales, dans l’esprit du « Paquet Défense »adopté en 2009 par l’Union européenne.
Champion européen des systèmes de missiles, MBDA doit maintenir dans ce but une masse critique s’appuyant sur trois piliers : une base technologique large sur l’ensemble des segments missiles, des coopérations multinationales pour développer les systèmes complexes et un volume d’activité suffisant à l’exportation. Ce sont les trois conditions nécessaires pour assurer un statut de missilier de niveau mondial à l’égal de nos grands concurrents américains.
Consolidé de manière progressive, ce modèle économique permet d'avoir des produits performants à coûts maîtrisés, compatibles avec les budgets de nos pays d'origine et démontrés comme compétitifs par les nombreux succès obtenus lors des campagnes commerciales hors d’Europe. En atteignant la masse critique des compétences, il a élargi la gamme des capacités missilières dont les pays d’origine de MBDA peuvent se doter.
Le Royaume-Uni et la France sont les deux socles essentiels de la défense européenne, que ce soit par leur effort budgétaire, l’investissement dans la R&D et les capacités industrielles et technologiques. Les Britanniques ont malheureusement fait le choix de quitter l'Union européenne, mais il est important de ne pas mettre en péril une coopération industrielle et capacitaire efficace, condition de la masse critique et de l’efficacité d’une défense européenne. Ceci plaide pour un partenariat stratégique réservant au Royaume-Uni un statut particulier d’État tiers et d’acteur clé de la défense de l’Europe.
Cette dynamique vertueuse ne doit pas être inversée mais elle doit, au contraire servir de modèle pour réaliser l’objectif d’autonomie stratégique européenne que se sont fixés les pays de l’Union européenne en 2016. L’exemple franco-britannique du Scalp EG / Storm Shadow et celui du programme Meteor associant la Grande-Bretagne et la France avec quatre autres pays européensmontrent que la défense européenne peut progresser vers plus d’intégration même lorsque les capacités concernées sont au cœur de la souveraineté des pays.
Auteur
En 1991, il rejoint Matra Défense comme Directeur des Opérations Internationales, puis responsable Business Development du secteur anti-surface, puis directeur des programmes anti-surface.
En 2003, il dirige l’entité Defence Electronics France d’EADS, puis la stratégie de l’entité DS SAS d’EADS.
En 2007, il rejoint MBDA en tant que Secrétaire Général du groupe.
En 2021, il crée la société de conseil ICARION Consulting dont il est le Président.
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