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01 mars 2019

EUROPE DE LA DEFENSE
POURQUOI LA FRANCE VA SURPRENDRE

Tout le monde attend une France conquérante et belliqueuse, le contraire absolu de ce que nous sommes en train de construire pour l’Europe.


Il est vrai que les annonces européennes concernant les budgets consacrés au soutien de l’industrie de défense ont attisé bon nombre de convoitises et de jalousies. Parmi les pays européens, peu sont capables de prétendre à une Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) complète et cohérente, et donc peu ont la possibilité, en théorie du moins, de construire des projets nombreux et coûteux pour prétendre aux financements de la Commission européenne.

La France est, pour cette raison, l’ennemi à abattre pour la plupart des pays européens, qui souhaitent développer leur industrie de défense ailleurs qu’à l’ombre de la nôtre, mais aussi pour des pays hors de l’Europe, pour lesquels toute opportunité de fragiliser la concurrence française est à saisir. Nous sommes suspectés de volonté d’hégémonie et de dominance écrasante.

SAUF QUE : ces suspicions et jalousies, basées sur des clichés et du trop facile French Bashing, n’ont absolument pas lieu d’être. L’intérêt de la France est ailleurs, nous devons agir pour une Europe de la défense forte et autonome.

Discours fondateur et ambition


Quand le Président de la République Emmanuel Macron souligne le 17 avril dernier, lors de son discours au Parlement européen, la nécessité de défendre la souveraineté européenne, sur les domaines numériques, santé, énergie, alimentation ou commerce, il insiste également sur l’indispensable solidarité entre pays européens : cette souveraineté doit se construire ensemble, en préservant les valeurs communes de protection et de démocratie.

L’ambition de souveraineté doit nous permettre de nous prémunir de pressions, blocages voire menaces qui nous empêcheraient de protéger notre unité et notre quotidien. Cette protection, aucun pays isolé ne peut l’assurer, mais les vingt-sept pays le peuvent s’ils conjuguent leurs efforts de manière coordonnée.

A nous d’aider l’Europe à identifier les axes d’efforts pertinents, en écoutant les besoins européens et dialoguant avec nos partenaires.

Les choix français pour des projets européens

Les projets poussés par la France sont des projets à l’échelle européenne, soit contribuant à la protection ou la surveillance à l’échelle de l’Europe, soit des projets contribuant à la souveraineté européenne mais impossibles à réaliser seuls : évolutions des technologies, interopérabilité, nouveaux concepts d’emploi pour une meilleure efficacité commune. La France cherche également à faire évoluer ses propres systèmes à l’échelle européenne, notamment en incluant plus de pays européens, volontaires et innovants, dans les chaînes d’approvisionnement

 

Comment l’Europe de la défense peut-elle se construire ?


Les dernières années ont été riches en initiatives européennes contri buant à la construction de l’Europe de la défense. En premier lieu on peut souligner la concrétisation de la Coopération Structurée Permanente (CSP, ou PESCO en anglais), pourtant prévue depuis 2009 dans le traité de Lisbonne et enfin matérialisée en 2017 et 2018 au travers de trente-quatre projets, soulignant les volontés politiques de coopération renforcée sur des nouveaux systèmes ou concepts d’opérations, sous la responsabilité du Haut représentant pour les affaires étrangères.

On peut citer aussi, au niveau de la Commission européenne, l’action préparatoire en matière de R&D de défense (PADR en anglais) mise en place dès 2017 et le programme européen de développement industriel en matière de défense (EDIDP en anglais) pour les années 2019 et 2020. Ces actions seront suivies par le Fonds Européen de Défense dès 2021, dont le règlement est en cours de négociations finales.

Comment la France agit-elle pour l’Europe ?


La montée en compétence européenne sert les intérêts français.

Il faut tout d’abord comprendre que la BITD française a été construite dans un contexte où la France devait défendre seule son autonomie et ses intérêts, en se basant notamment sur sa dissuasion nucléaire. Cette dernière est unique au sein de l’Union européenne (nos partenaires britanniques ayant fait le choix du Brexit). Son maintien passe de manière évidente par la défense d’une BITD franco-française, admise et assumée, nécessaire pour l’indépendance des évaluations de situations et de décision dans le contexte de la dissuasion nucléaire.

Néanmoins tout ce qui ne touche pas directement à la dissuasion peut faire l’objet d’une approche de partenariat, essentiellement européen, comme l’a souligné la Revue stratégique de 2017. Ainsi la plupart des systèmes d’armes peuvent être conçus et acquis en coopération, pourvu que chacun puisse conserver sa liberté d’emploi et d’export.

C’est d’ailleurs une des évolutions majeures de l’instruction régissant l’acquisition des programmes d’armement (la fameuse instruction 1516) : les futurs systèmes d’armes seront conçus pour ouvrir les possibilités de coopération, sauf contre-indication explicite.

Dans ce contexte, la France a tout intérêt à faire grandir l’offre technologique industrielle de défense européenne, ouvrant le champ des possibles, et permettant de s’appuyer sur des technologies maîtrisées en Europe.

Quelles actions françaises pour la construction de la défense européenne


Force est de constater que la notion de souveraineté n’est pas partagée par la plupart de nos partenaires européens. De même, peu de pays ont l’occasion d’être impliqués dans des conflits armés, et la France a malheureusement beaucoup d’expérience dans ce domaine.

Nous savons par conséquent l’intérêt primordial d’acquérir des systèmes d’armes donnant l’avantage sur le théâtre d’opérations, et nos grands principes sont donc que les développements européens doivent répondre à des besoins opérationnels réels, être innovants technologiquement, et rester autant que faire se peut indépendant de toute influence hors Europe.

Ceci est clair à dire, plus compliqué à faire respecter. Beaucoup de pays ne voient dans les fonds européens qu’une aubaine à faire travailler leur industrie, quitte à refaire ce qui existe déjà, pourvu qu’il y ait des emplois sur leur territoire à la clé.

La France a déployé tout son réseau, diplomatique, opérationnel, DGA, et même industriel, afin d’agir en concertation pour faire respecter ces grands principes dans les nouvelles initiatives européennes : promouvoir l’innovation et la non duplication, coller à un besoin opérationnel clair, favoriser la souveraineté européenne.

Les industriels français ont également été invités à diversifier leurs partenaires pour s’ouvrir davantage à l’Europe.

Ainsi l’énergie incontestable des petits pays actifs sur le plan militaire, forts de leur innovation dynamique et de leur réactivité, sera mise à profit de projets collectifs à envergure européenne.

Quelques projets emblématiques

Depuis la proposition en 2017 du système Essor (Radio logicielle européenne) à la CSP, afin de promouvoir l’interopérabilité entre systèmes européens, la France cherche à promouvoir et à construire des projets « inclusifs », c’est à dire permettant à des pays européens en phase de montée en puissance de rejoindre ces projets et d’y trouver leur place. L’objectif est de faire grandir l’offre européenne et de la consolider autour de projets solides et d’intérêts communautaires.

C’est le cas d’Essor, qui converge les efforts de huit pays européens, mais aussi de propositions d’actions qui n’auraient jamais existé sans l’EDIDP :

  • Euras (European Radionavigation solution), visant à déployer une offre de composants sécurisés Galileo, intégrés sur des porteurs militaire terrestres, navals et aériens ;
  • missile Blos (Beyond Line of Sight), dont l’objectif est de construire une suite de missiles sol-sol antichars intégrés à différentes plates-formes (différents porteurs terrestres et navals), dont la technologie, totalement souveraine, permet de réduire les effets collatéraux.

D’autres projets sont en construction en partenariat, comme par exemple :

  • EuroHaps (High Altitude Pseudo Satellites) avec l’Italie et Chypre, permettant la surveillance de l’arc méditerranéen à l’aide de capteurs stratosphériques ;
  • Protection médicale de Défense avec la Belgique et la Roumanie visant à aboutir à des vaccins ou traitements face à des menaces critiques comme la ricine ou l’anthrax.

Pourquoi le chemin est encore long


Depuis le début des débats sur la CSP et l’EDIDP, la France a maintenu les positions exposées plus tôt. Mais quoi qu’on dise, le French Bashing et l’image d’Epinal ont conduit systématiquement à la méfiance : nos points de vue et recommandations cachaient forcément des volontés hégémoniques. Ceci complique la communication française au sein des instances européennes, mais la progression des débats est pour l’instant rassurante. Nous devons donc surprendre et confirmer notre propos : nous ne cherchons pas la domination, mais bien la convergence des efforts vers un objectif et un intérêt commun, résolument européen.

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