UN PLUS LEGER QUE L'AIR EN MAIN
C’est le matin, avant le lever du soleil, une petite équipe se retrouve un verre de café à la main. La question tourne autour du vent, du moins de la brise attendue, sa force et sa direction selon l’altitude. Ici, le vent en km/h s’aventure peu au-delà de la dizaine. C’est comme la température, alors que l’on sort pour récupérer le matériel dans la remorque du 4x4, la fraicheur du matin rassure l’aérostier.
Le plan est posé, une orientation générale des vents renvoie tout ce monde dans le coin adapté du terrain de jeu. Le temps reste compté car la température grimpe vite, surtout en été dans le sud de la France. Et même si l’opération nécessite un enchainement coordonné et minutieux de chaque membres de l’équipe pour :
- étendre la fine enveloppe synthétique,
- connecter les bouteilles de propane,
- tester les brûleurs,
- fixer les mousquetons des câbles des fuseaux constituant l’enveloppe,
- commencer le pré-gonflage du ballon à l’aide d’un ventilateur,
il est difficile d’être paré en moins d’une demi-heure. Puis les coups de gaz peuvent enflammer la base du ballon appelée « bouche » et l’immense volume d’air commence à chauffer. L’enveloppe se tend et trône soudainement avec légèreté au-dessus de la nacelle de rotin.
Après avoir procédé aux derniers contrôles de l’engin et à l’embarquement des passagers en rappelant les consignes de sécurité, le pilote va chercher le point d’équilibre qu’Archimède nous a légué. Le ballon oscille légèrement sous la brise, un dernier coup de chauffe et avec grâce, mais force, la nacelle se détache du sol pour effectuer son ascension.
Le mouvement se fait sans bruit, magique. L’ombre effilée de l’immense ballon éclairé par le soleil levant est restée au sol et se détache de nous, s’éloignant progressivement. En s’élevant les nouvelles orientations de la masse d’air se découvrent de manière parfois inattendue. Les caps sont associés aux altitudes, mètre par mètre, pied à pied. Le pilotage consiste principalement à choisir l’altitude pour disposer du cap souhaité. On peut alors constater que notre atmosphère est constituée de couches invisibles superposées, qui semblent indépendantes même si la transparence est la même. C’est le domaine de l’adaptation perpétuelle et de la remise en cause permanente du plan de vol initial. L’aérostier sait être opportuniste.
Puis, il faut bien convenir d’un lieu d’atterrissage et stopper cet instant de bonheur du vol poussé par le vent, parfois à très basses altitudes touchant les cimes des arbres, parfois à plusieurs milliers de mètres du sol. En se penchant vers ce sol, on peut alors réaliser de la fragilité de la position, totalement dans le vide. Le rebord de la nacelle est heureusement d’une hauteur conséquente pour rassurer l’équipage alors que l’immense ballon au-dessus de nos têtes s’estompe de nos esprits. La concentration du pilote est extrême malgré les apparences. Ses yeux doivent garder le fil imaginaire sur lequel le ballon se faufile jusqu’au point d’aboutissement. La moindre déconcentration et ce fil imaginaire se rompt. La maîtrise de la trajectoire doit être rapidement reprise au risque de passer le point de non-retour nécessitant un nouveau plan, un nouvel espace d’atterrissage. Autant une grande plaine de Beauce permet d’être confiant sur la disponibilité d’une zone de touché, plate et dénudée de tout obstacle, autant il n’est pas toujours évident de retrouver un champ accueillant au milieu des bois et des zones rocailleuses ou urbanisées de cette belle région entourant le premier duché de France. La manœuvre est délicate. En un éclair, le pilote prend sa décision aussi rapidement que son engin puisse être lent. Un dernier coup de chauffe et c’est la coupure finale et irrévocable des flammes, la sécurité est assurée. Agrippé à sa corde de soupape, il sonne la fin du vol en laissant s’échapper l’air chaud par l’ouverture du sommet du ballon. La nacelle prend contact, le reprend éventuellement par un petit rebond et s’immobilise enfin. Surtout que personne ne descende, sinon c’est une nouvelle ascension. Le pilote aérostier sera le dernier à quitter le bord, comme le capitaine d’un bateau (et comme le pilote d’un avion). Le pilote, laisse progressivement le ballon se dégonfler et s’étendre de tout son long sur le sol. Il peut alors lui aussi se détendre et savourer les souvenirs merveilleux de ce vol.
Revenons sur les fondamentaux avec un peu de technique pour fixer les idées. Oui, Archimède avait trouvé ce principe il y a plus de 2000 ans et il se généralise à tous les fluides, donc à l’air : tout corps plongé dans un fluide au repos, entièrement mouillé par celui-ci ou traversant sa surface libre, subit une force verticale, dirigée de bas en haut et opposée au poids du volume de fluide déplacé.
Dans notre cas nous allons utiliser la différence de densité de l’air en fonction de la température en se servant de la différence de température entre l’air piégé à l’intérieur du ballon et l’air ambiant externe. Comme l’avaient initié nos aïeux, les frères Montgolfier, cette différence de densité conduit à une force, opposée au poids du volume d’air du ballon. Grâce à l’échauffement de l’air interne du ballon de l’ordre de 70 degrés, on peut espérer un peu moins de 300g de cette poussée d’Archimède par mètre cube pour une température raisonnable d’air ambiant de l’ordre de 15°C (les limites de la température interne du ballon n’étant guères supérieures à 100°C, il sera difficile de jouer en été par des températures ambiantes proches des 30°C). Des modèles de ballon dotés de gaz encore plus léger que l’air, tels que l’hélium ou l’hydrogène dont la densité est nettement inférieure à l’air (même chaud) sont également utilisés. Au final, il ne faut pas s’étonner de la taille de ces monstres des airs qui rapidement vont atteindre plusieurs milliers de mètre-cubes avec un diamètre de l’ordre de 10m au minimum pour un modeste ballon au chargement possible d’environ 600kg (masse totale en vol : enveloppe, nacelle, bouteilles de gaz, brûleur, équipage et divers petits accessoires).
La glace, l’air, le feu…
La principale commande d’un ballon à air chaud sera donc l’ouverture du gaz qui se détend et s’enflamme au contact de la veilleuse. Il n’y a pas de dosage, c’est en tout ou rien. Le pilote aérostier va donc devoir doser la durée et le cadencement de l’ouverture du gaz pour doser l’énergie qu’il souhaite dissiper dans le volume d’air de l’enveloppe qui se chauffera alors plus ou moins (plus : ça monte, moins : ça descend). Pour les initiés du mode de pilotage, celui d’un ballon se qualifie d’un pilotage en boucle ouverte, car avec l’inertie thermique sa réaction n’est pas immédiate (disons pour simplifier environ dix secondes). Il faut donc sentir cette réaction avec patience afin de doser finement les coups de chauffe et garder sa trajectoire soit en palier, soit en montée soit en descente. Pour accélérer la descente ou pour vider plus rapidement l’enveloppe après l’atterrissage, une autre commande est à la disposition de l’aérostier. Cette commande de descente, plus directe et rapide, est constituée d’une simple corde reliée à un disque de tissu d’environ 3m de diamètre obstruant une embouchure dans la partie supérieure du ballon. Tel une soupape, il permet de libérer naturellement l’air chaud en tirant sur la corde.
Une autre facette de cette activité est la logistique, aussi lourde que le poids de tout cet ensemble. Un véhicule, une remorque et des bras. Pour l’optimiser, une organisation presque militaire, sans check-list mais rodée et répétée comme un ballet permet d’assurer une mise en œuvre coordonnée, sécurisée, optimisée dans un temps réduit sans même que les passagers s’en rendent compte. Difficile de ne pas apprécier l’exercice d’équipe matinal, quelque peu physique, en marge du bonheur que l’évolution dans la 3e dimension puisse apporter.
Cela invite aussi à suivre et soutenir ce domaine du plus léger que l’air. Deux principaux projets sont en cours d’étude. Ils concernent de grands dirigeables à gaz légers de plus de 100m de long. Le projet Stratobus de Thales/Alenia dans lequel la DGA est impliquée, fondé sur le principe d’un drone longue durée (un an) évoluant en très haute altitude (20 km) et le projet de Flying-Whales initié pour les besoins de l’ONF afin de relever les troncs d’arbres abattus dans des zones inaccessibles des forêts.
Denis Deshayes, ingénieur navigant d’essais à DGA EV
Denis Deshayes a débuté sa carrière dans les services de programmes. Il sera ensuite formé à l’EPNER, et affecté sur le programme SEM comme ingénieur d’essais jusqu’à son retrait de service. Il est maintenant en charge de la certification des Falcons de Dassault Aviation, des appareils d’aviation générale, de quelques programmes militaires (MALE, AWACS…) et des plus légers que l’air.
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