LE SPORT DE HAUT NIVEAU ET L'INDUSTRIE
DES VALEURS COMMUNES ILLUSTREES PAR LA COURSE EN PLANEUR
Si la performance est le Graal vers lequel convergent les objectifs dans de nombreux domaines, elle affiche des visages qui peuvent être très différents. Dans le sport de haut niveau, le but est la médaille, dans l’industrie, la rentabilité. L’atteinte d’objectifs dissemblables pourrait reposer sur des qualités et des bases différentes, pourtant les valeurs du sport, en particulier dans le haut niveau, rejoignent pour beaucoup celles qui sont utiles à la réussite dans un milieu industriel. Cas pratique.
Les championnats du monde en planeur
La compétition en planeur est une course basée sur la vitesse sur un circuit imposé. En fonction des conditions météorologiques du jour, l’organisation décide d’une épreuve, annoncée aux pilotes lors du briefing journalier. Les planeurs décollent ensuite par avion remorqueur. La ligne de départ est ouverte 30 minutes après le dernier décollage afin de donner à tous les pilotes des chances équitables de se positionner pour le départ. Lorsque la ligne est ouverte, le départ est possible mais pas obligatoire : chaque pilote choisit l’heure de départ qui lui parait la meilleure.
En moyenne, une épreuve fait entre 300 et 600 km, est tournée entre 80 et 170 km/h et représente 3 à 6 h de vol. Si les conditions météorologiques ne permettent pas de boucler le circuit, les pilotes doivent se poser avant l’arrivée, souvent dans un champ, et le classement se fait sur la distance parcourue.
Un championnat du monde se déroule sur 2 semaines. L’équipe est constituée d’une douzaine de personnes comprenant le ‘team captain’, coordinateur de l’équipe et les équipiers, chargés de la préparation technique des appareils.
Gestion du risque
La gestion du risque est devenue une notion incontournable dans les domaines industriels. La pratique de l’aviation en est une excellente école : l’anticipation, l’identification et le traitement des événements anormaux y sont des nécessités vitales. La compétition en général, et tout particulièrement en planeur oblige à pousser encore plus loin les notions pratiques de gestion du risque en amenant plus fréquemment à des situations inhabituelles : traverser un front d’orage, voler dans d’épaisses fumées d’incendie, atterrir in extremis avant la tempête de sable ou éviter des kangourous à l’atterrissage sont des événements habituellement exceptionnels dans la vie d’un pilote. Ils étaient notre quotidien lors des championnats du monde féminins de 2020 en Australie.
Technicité et précision
Atteindre la performance en compétition amène à rechercher en permanence les optima techniques dans un domaine de vol poussé à ses extrémités.
Un exemple de l’intérêt de cette expérience au travers des premiers essais en Europe d’un drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) dont j’étais en charge à DGA Essais en Vol lors de mon premier poste. Ce système de drone, devenu ensuite le Harfang dans l’Armée de l’Air, était composé de stations sol et de 3 véhicules aériens. Les véhicules aériens, de la taille d’un avion léger pesant 1250 kg, étaient dotés d’un moteur à pistons et d’une hélice propulsive. Plusieurs cas de panne étaient prévus dans le plan d’essais, dont la panne moteur. Pour diverses raisons, la zone d’atterrissage d’urgence en cas de panne moteur était située dans une zone agricole, à l’extérieur de la base aérienne. La procédure avait été conçue par l’industriel israélien constructeur du système, validée par l’industriel européen partenaire et la zone cible avait été choisie avant mon arrivée. Toutefois le pinceau d’approche, basé sur les performances théoriques, me paraissait trop optimiste. Jeune ingénieur de l’armement en premier poste, mes arguments avaient du mal à persuader mes homologues expérimentés. Ayant tenté en vain de faire revenir la zone de secours dans l’enceinte protégée de la base, je finis après plusieurs mois par convaincre les industriels de l’intérêt d’une étude plus poussée de la précision d’atterrissage dans la zone d’urgence. Le résultat fut sans appel : la probabilité d’atterrir à l’endroit prévu était inférieure à 5%. La procédure de sécurité fut donc corrigée. Tout comme il fallait avoir été pilote de planeur pour poser un A320 dans l’Hudson avec 100% de survie, il était nécessaire d’avoir une expérience de l’atterrissage sans moteur pour identifier les failles de cette procédure de secours.
Epreuve des championnats du monde féminins 2020 (Australie) : circuit de 465 km remporté à 122 km/h ©Naviter
Esprit d’équipe
La course en planeur repose sur un classement individuel. Cependant, les échanges radio autorisent un vol coopératif qui, bien mené, peut permettre d’augmenter la performance de l’équipe. Le vol d’équipe est un exercice difficile qui nécessite une confiance mutuelle et la capacité si nécessaire de subordonner si nécessaire son résultat individuel à la performance collective. Grâce à cette conscience des bénéfices du travail d’équipe, structurée par l’entraineur national, la France a atteint en 2016 le 1er rang mondial.
Dans le milieu industriel, le résultat n’est jamais le fruit d’une seule personne et l’esprit d’équipe est essentiel à la performance du groupe.
Persévérance et résilience
Une des grandes leçons du sport est que rien n’est jamais acquis. A chaque nouvelle compétition tout est à reconstruire. En cours de compétition tout champion du monde en tête de la course peut perdre. Alexis Pinturault en a fait la démonstration en slalom géant aux mondiaux de 2021 alors que favori et largement en tête, il chuta à la seconde manche. Faire preuve de résilience en sachant se relever d’un échec, mais aussi de persévérance en ne confondant pas difficulté et échec est essentiel pour rebondir et gagner même dans des circonstances adverses. Persévérance et résilience sont les valeurs qui permettent au sportif comme à l’industriel de revenir dans la course pour remporter la prochaine victoire.
Tactique et stratégie
En championnat international, la tactique et la stratégie deviennent des incontournables pour atteindre la performance. Si le team captain en est le chef d’orchestre, les pilotes doivent également développer leur compétence sur ces sujets pour être capables de prendre des décisions dans le feu de l’action.
Au matin de la dernière épreuve aux championnats du monde féminins de 2013, j’étais 2e derrière la pilote allemande, championne du monde en titre. Dans la même situation aux championnats du monde de 2011, cette pilote m’avait suivi durant toute la dernière épreuve pour m’empêcher de gagner sur elle les quelques points qui m’auraient permis de lui ravir l’or. En 2013, je réussis à retourner cette tactique à mon avantage : en me laissant verrouiller mais en prenant un départ tardif et donc risqué, je réussis à l’amener en point bas à une vingtaine de km de l’arrivée. Subissant cette situation critique à l’issue d’une épreuve où sa tactique de marquage l’avait privée de la majeure partie du contrôle sur son vol, elle ne réalisa pas que je visais une zone bien exposée pour remonter et divergea de mon cap pour aller vers un autre planeur en spirale. Arrivant trop bas, elle dut se poser dans un champ pendant que je remontai sur la zone que je visais pour boucler le circuit. Je remportai mon premier titre de championne du monde sur cette épreuve.
Savoir adapter son attitude aux circonstances y compris sous pression et arriver à anticiper les réactions des partenaires ou des adversaires peut permettre de remporter des victoires même en tant que challenger.
Auteur
Ingénieur Navigant d’Essais en vol, Airbus
X98, ISAé SUPAERO, Empire Test Pilots’ School (UK)
DGA Essais en Vol - Essais sur drones et Tigre
Ecole du Personnel Navigant d’Essais et de Réception - Chef instructeur hélicoptères
Atelier Industriel de l’Aéronautique Cuers – Chef du pôle conception, principal bureau d’études de l’A. de l’Air
Double championne du monde féminine de course en planeur
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.