LES SILICON VALLEYS ALPINES
LE CEA-LETI ET L’ÉCOSYSTÈME GRENOBLOIS
Avec 23 000 emplois dans la filière microélectronique, le territoire grenoblois est un cas à part en matière de politique économique. Focus sur un territoire d’exception regroupant industriels, start-up et académiques, réunis autour d’un centre de recherche de premier ordre : le CEA-Leti.
La microélectronique à Grenoble : déjà une longue histoire
Moins connue que la Silicon Valley, la rencontre des trois vallées qui forment le territoire de Grenoble Alpes est un haut lieu de la microélectronique. Selon Forbes Magazine, Grenoble est au cinquième rang des villes les plus inventives au monde. Et l’Isère est le premier département français en nombre de brevets par habitant. Cette richesse s’explique par les liens étroits cultivés au sein de l’écosystème grenoblois réunissant industriels, académiques et collectivités. C’est également l’héritage de près de 70 ans de présence du CEA à Grenoble.
En effet le Centre d’Études Nucléaires de Grenoble (CENG) est créé en 1956. Le choix de Grenoble tient à son université, ses écoles d’ingénieurs, et son industrie forte dans les domaines de la mécanique, de l’électrotechnique et de la chimie. Mais il doit également beaucoup à la personnalité éminente de son principal promoteur, Louis Néel. Déjà célèbre pour ses travaux en magnétisme, notamment sur la protection des navires contre les mines, le futur prix Nobel devient le premier directeur du CENG, avec une large liberté dans le choix des thématiques de recherche.
Cette capacité d’initiative contribue à ce que le CENG se dote en 1967 d’un laboratoire d’électronique, le Leti. La démarche du centre est mue par l’intérêt de ses chercheurs pour les transistors et les circuits intégrés, et justifiée par leurs applications nucléaires puis spatiales. D’emblée le Leti obtient une liberté de recrutement accrue en échange d’un financement pour moitié par des revenus externes. Cela a été demandé par les créateurs du Leti, qui voulaient rapidement monter en puissance, et tablaient déjà à l’époque sur l’intérêt des industriels (et de la défense) pour cette nouvelle technologie. Cette vocation industrielle est aujourd’hui à la base du modèle de la Direction de la Recherche Technologique du CEA à laquelle le Leti est rattaché. Les retombées industrielles suivent rapidement la sortie des premiers transistors et circuits intégrés. La première start-up du CEA-Leti est ainsi lancée en 1972 : EFCIS, qui deviendra STMicroelectronics. C’est la première d’une longue série, puisque le CEA-Leti dénombre 76 entreprises créées, dont beaucoup sont toujours des acteurs majeurs du territoire grenoblois, à l’image de Lynred, Soitec, Tronics, Microoled, etc. Autant de sociétés innovantes qui maintiennent un lien fort avec le Leti, en lui confiant des travaux de R&D avancée.
Un écosystème riche en collaborations, au service de l’innovation en microélectronique
Le CEA-Leti est donc à l’origine d’une grande partie de son environnement industriel proche, et reste au cœur de sa capacité d’innovation. Celle-ci est stratégique dans un secteur en évolution technologique perpétuelle, toujours plus mondialisé et avec des coûts d’équipements croissants. Le Leti et Grenoble doivent donc disposer en permanence de plateformes technologiques à l’état de l’art mondial et des talents pour les exploiter et produire les innovations nécessaires au maintien de Grenoble parmi les hubs mondiaux de l’électronique. Cela nécessite clairement d’agir aux niveaux national, européen et mondial pour aller chercher les bons partenariats industriels ou académiques sur les bons sujets avec les bons financements. Cela suppose aussi une structuration efficace de l’activité sur le territoire.
Par exemple, au sein du campus MINATEC, le CEA-Leti partage ses salles blanches et ses grands équipements de nano caractérisation avec le CNRS et le groupe d’écoles d’ingénieurs Grenoble INP. Et les industriels peuvent aussi s’en servir pour du prototypage avancé. De même, les salles blanches de R&D sont interopérables avec celles des fonderies industrielles et un lot de « wafers » peut passer des unes aux autres. Ainsi les équipements sont mutualisés, et le transfert technologique est accéléré par la mise en œuvre, au sein du centre de recherche, de moyens et processus similaires à ceux de l’industrie.
Au-delà du partage des ressources, l’écosystème local s’appuie sur de nombreuses collaborations institutionnalisées. Et le CEA-Leti, fort de son positionnement « de la recherche à l’industrie », en est souvent membre, voire à leur origine. Citons Minalogic, le pôle de compétitivité de la transformation numérique, et ses 450 adhérents, majoritairement industriels, ou l’Institut de Recherche Technologique Nanoelec qui fédère des acteurs académiques et industriels autour de programmes communs de R&D. Citons également Clinatec, une unité partenariale entre le CEA-Leti, l’Université Grenoble Alpes, le CHU de Grenoble Alpes et le Fonds Clinatec, spécialisée dans l’innovation biomédicale par les micro-nano-systèmes.
Les collectivités apportent également un soutien important au succès de la microélectronique grenobloise. En particulier la Région Auvergne-Rhône-Alpes a abondé le financement de plusieurs plans de recherche, en tant qu’opérateur du FEDER et sur son budget propre. En 2024 a été annoncée sa contribution de 30 M€ pour des investissements en salle blanche qui bénéficieront prioritairement aux nombreuses entreprises locales positionnées sur le « More Than Moore » (c’est-à-dire les applications des semi-conducteurs autres que le calcul ou les mémoires : puissance, RF, capteurs etc.). De même la Région et les collectivités locales aident à financer les nouveaux bâtiments techniques dont les chantiers généreront de l’activité locale.
Le CEA-Leti dispose de 11.000 m² de salles blanches et de 700 équipements de micro et nanoélectronique, aux standards de l’industrie. © A.AUBERT/CEA
Penser global et agir local… et réciproquement
Enfin, le vivier de talents pour produire les futures innovations est considérable sur le territoire puisque 62 000 étudiants, dont 42% en sciences, s’y forment aux technologies de pointe sur les meilleurs équipements. Comme les 23 000 professionnels du secteur ils bénéficient des enrichissements croisés entre les points de vue académiques, technologiques et industriels.
Au fil des années, le territoire a ainsi acquis une importance économique majeure, et pas seulement à l’échelle locale. Car la crise d’approvisionnement de 2021-2022 l’a bien montré : l’industrie microélectronique revêt des enjeux de sécurité économique, comme de souveraineté européenne et nationale. Les pouvoirs publics se mobilisent pour entretenir et développer cet écosystème grenoblois.
Ainsi, outre les plans Nanoélectronique successifs au rôle essentiel (et auxquels les collectivités territoriales ont contribué), en 2022, le gouvernement a annoncé un plan à 5 milliards d’euros pour une nouvelle usine de semi-conducteurs à Crolles (Isère). De même, en 2024, l’Union européenne a confié au CEA-Leti l’une des quatre lignes pilotes du Chips Act, afin de préparer les futurs nœuds avancés en FD-SOI, une technologie CMOS mise au point au CEA, et notamment produite par STMicroelectronics, sur des substrats Soitec. Charge ensuite aux acteurs grenoblois d’aller chercher les applications et les marchés qui feront la pérennité de ces grands projets. Mais d’ores et déjà ils apportent la preuve de l’excellence du territoire en matière de microélectronique, héritée de décennies d’innovation et plus que jamais au cœur des principaux enjeux nationaux et européens.
L’impact de la microélectronique iséroise sur la BITD
Microcontrôleurs, imageurs infrarouges refroidis, convertisseurs analogiques-numériques hautes performances, circuits durcis contre les rayonnements… La BITD profite pleinement des composants développés et/ou produits par les entreprises situées autour de Grenoble.
Le CEA-Leti soutient la R&D de ces fournisseurs de composants (comme des systémiers de l’armement sur des besoins spécifiques). De plus, il apporte son expertise au ministère des Armées sur de nombreux sujets tels que la cybersécurité, le NRBC-E, ou encore la magnétométrie pour la patrouille maritime. Pour son ressourcement scientifique, le CEA-Leti bénéficie du soutien de l’État pour ses actions de recherche duale dans les domaines des composants et des technologies quantiques, au titre du programme 191, comme du programme de thèses AID-CEA.
X95, Ensta, Guillaume commence sa carrière à DGA MI. Il intègre ensuite l’UM ACE, en tant que manager d’études amont puis d’opérations d’armement, avant de devenir chef du bureau des opérations d’armement aéronautiques. En 2017, il rejoint le CEA-Leti, dans des fonctions d’encadrement au sein des laboratoires de cybersécurité.
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