SOUS-PRÉFET À LA RELANCE
RÉINDUSTRIALISATION POST-COVID DANS LE CALVADOS
Le confinement brutal de 2020 s’est accompagné d’un arrêt partiel de l’économie. L’occasion pour le Gouvernement de promouvoir des politiques de réindustrialisation, notamment à travers des plans d’investissements massifs. Mais comment ceux-ci se traduisent-ils concrètement dans les territoires ?
De beaux bâtiments de briques tout droit sortis de Germinal surplombent la ville. Pourtant, nous ne sommes pas dans le Nord, mais à Caen, dans le Calvados. « C’était là qu’étaient logés les ingénieurs, » m’explique Jean-Paul, mon chauffeur, alors que nous passons devant. Il parle de ceux de la Société Minière de Normandie, la « SMN » comme on dit ici, son père y était employé. Elle a fermé en 1993 mais on en parle encore. Comme Jean-Paul, tout le monde ici a un proche ou une connaissance qui y a travaillé. C’est une sorte de traumatisme local, symbole de la désindustrialisation de la fin du XXe siècle.
« La tour de refroidissement a été conservée comme symbole de la désindustrialisation. Le reste du site accueille désormais un nouveau centre d’activité pour startups et PME »
Je suis arrivé ici au milieu de la crise COVID, comme sous-préfet, pour porter les politiques de relance du Gouvernement qui s’appuient sur trois axes principaux : la compétitivité, la transition écologique et l’emploi, notamment celui des jeunes. Des objectifs parfois contradictoires.
Le plan de relance, c’est une enveloppe de 100 milliards d’euros. C’est suffisamment gros pour que chaque citoyen puisse légitimement demander à en voir les résultats près de chez lui. Côté transition écologique, cela sera essentiellement incarné par des rénovations thermiques de bâtiments publics : écoles, mairies, piscines communales… Côté industrie, les choses sont moins simples.
En effet, la plus grosse dépense de compétitivité du plan est une baisse des impôts de production. Vingt milliards d’euros sur deux ans, c’est colossal, mais difficile à mettre en lumière. Surtout qu’en parallèle, conséquence indirecte du COVID et de la guerre en Ukraine, le prix des matières premières nécessaires à l’industrie est en train d’exploser, limitant ainsi les marges d’investissement des entreprises.
Pour le reste, il y a essentiellement deux dispositifs phares : un guichet (non sélectif dans la limite de l’enveloppe disponible) de subventions pour l’acquisition de machines modernes et un appel à projets (sélectif) pour relancer certaines filières dites stratégiques telles que l’automobile ou l’aéronautique.
Deux dispositifs, un guichet de subventions et des appels à projets
Malgré les interminables délais et une procédure initialement papier, le guichet est victime de son succès. Presque toutes les PME du département y ont émargé. Cependant, lorsque je me rends dans les usines pour voir lesdites acquisitions, j’ai trois réponses récurrentes à la question « D’où vient-elle, cette machine ? » : Allemagne, Italie et Japon. La France n’est plus en mesure de fournir ses propres industries en robotique de pointe ; c’est dommage de ne pas voir ces crédits publics ruisseler un cran de plus.
Par ailleurs, le contraste est saisissant entre les entreprises pour qui cette subvention est un pur effet d’aubaine car elles sont déjà dans une démarche claire de passage au « 4.0 », et celles de l’ancien monde, qui tentent comme elles peuvent de retrouver de la compétitivité. D’un côté, des salles blanches avec lumière naturelle où l’on pourrait manger par terre, des machines à commande numérique et un vestiaire à part pour les femmes, ce qui permet d’avoir aussi des opératrices. De l’autre, un bitume gondolé sous un hangar de tôle, des tours mécaniques dans une atmosphère de cambouis, l’avenir semble moins radieux…
Pour les appels à projets, la théorie est la suivante : l’État territorial (comprendre la préfecture et ses différents services) doit se charger d’en faire la promotion pour limiter l’auto-censure, notamment des petites structures, sur les candidatures. Ensuite, c’est la centrale parisienne de BpiFrance qui examine et sélectionne les meilleurs projets à financer. Enfin, la préfecture reprend la main pour accompagner les lauréats jusqu’à la réalisation complète du projet : permis de construire, normes environnementales, installations classées, titres de séjours de personnels internationaux… Une usine ne sort pas du sol en signant un simple chèque !
Deux fois par mois, je rassemble les représentants des acteurs économiques du département pour un point collectif : le MEDEF, l’UIMM, la chambre de commerce, la banque de France, la direction départementale des finances publiques, Pôle Emploi et bien d’autres sont présents. « Les formulaires changent trop vite, les experts comptables n’ont pas le temps de s’adapter », déplore-t-on. C’est la contrepartie de l’agilité de Bercy qui cherche à couvrir à chaque fois un peu plus de cas particuliers. L’autre sujet, c’est l’emploi. Les chiffres sont formels, la reprise d’activité a créé un appel d’air majeur. Si le secteur de l’aide à la personne a toujours eu d’énormes besoins, le transport, l’industrie et la restauration sont à nouveau en demande.
Les dépenses d’activité partielle ont déjà coûté cher à l’État, environ 27 milliards d’euros sur l’année 2020. Pour autant, le plan de relance finance aussi les politiques d’emploi avec deux axes clairs : les jeunes, via le plan « Un jeune, une solution » et les personnes les plus éloignées de l’emploi.
Le premier axe fonctionne principalement avec des contrats aidés. Le best-seller ? Le soutien à l’apprentissage, qui est l’un des rares dispositifs avec de véritables débouchés vers l’industrie. Du côté des missions locales, les jeunes se voient plutôt dans les établissements culturels ou dans l’encadrement d’autres jeunes. Pas exactement la cible du Gouvernement, mais c’est mieux que rien.
« La mission locale Lisieux Normandie est l’une des trois du Calvados. Elle offre un suivi sur mesure aux jeunes de 16 à 25 ans pour les emmener vers l’emploi »
Pour aller chercher les « invisibles », les personnes les plus éloignées de l’emploi, celles qui sont hors de tout fichier, ce sont des associations qui présentent des projets à la puissance publique. Parmi les sélectionnées, certaines budgétisent jusqu’à 10 000 € par personne accompagnée. Le paradoxe ? Les lauréats estiment être en concurrence sur le vivier d’invisibles du territoire. Un discours qui ne convainc pas, tant les résultats sont médiocres.
Malgré tout, le taux chômage est en moyenne historiquement bas dans le département, particulièrement dans les zones rurales, autour de la célèbre coopérative d’Isigny-Sainte-Mère par exemple. Soutenue dans ses investissements par le plan de relance, elle ne dispose plus d’un chômeur à des kilomètres à la ronde pour répondre à ses nouveaux besoins. La réalité est tout autre dans les quartiers prioritaires de la ville autour de Caen, où le taux de chômage se maintient autour de 20 %.
Alors, qu’en conclure bientôt quatre ans après le début du plan ? Certains effets se mesureront à des échéances plus lointaines. Cependant, l’engagement des crédits a bel et bien été fait en temps et en heure. Le mur des faillites d’entreprises tant annoncé pendant la crise n’a finalement pas eu lieu et l’emploi se maintient à des niveaux satisfaisants. Pas si mal, non ?
Titulaire d’une thèse en machine learning, Nathan de Lara a commencé sa carrière en affectation temporaire chez Thales avant de rejoindre le corps préfectoral puis le ministère des Finances où il s’est successivement occupé du plan de relance puis du plan France 2030. Il est depuis quelques mois chercheur quantitatif pour le fonds SquarePoint Capital.
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